n 2017, Shuji Takahashi, Director, President et COO du Seiko Group Corporation, expliquait à Europa Star pourquoi et comment Grand Seiko, jusqu’alors perçue aux yeux de tous comme une collection de haut de gamme à l’intérieur de la marque Seiko, venait d’acquérir son «indépendance» de marque pleine et entière mais conservait pourtant la dénomination Seiko dans son nom.
«Si nous avions créé une nouvelle marque à partir de rien, expliquait-il alors avec franchise, nous l’aurions appelée autrement (…) Mais dès 2010 nous avons décidé de développer internationalement Grand Seiko qui jusqu’alors avait été la ligne de Seiko réservée aux collectionneurs, exclusivement au Japon. Même si Grand Seiko est désormais autonome, nous ne devons pas changer son nom car nous ne changeons ni son identité ni sa nature, nous sommes fiers de son histoire et redevables de son héritage.»
(Et, amusé, il remarque en passant que nous-mêmes, si nous devions créer notre magazine aujourd’hui, nous l’aurions certainement appelé d’un autre nom qu’Europa Star car «ce n’est pas un nom qui évoque immédiatement l’horlogerie, mais votre héritage dans l’industrie remonte à plus de 90 ans. Ne perdez pas votre identité, c’est votre atout le plus précieux», conclut-il en adage.)
- La première Grand Seiko, 1960
Mais cet «héritage», quel est-il plus précisément à la fois à l’intérieur de la galaxie Seiko et dans le cadre de son actuelle expansion à l’étranger? «Toute la philosophie de Grand Seiko se base sur trois piliers: lisibilité exceptionnelle, beauté, pureté, élégance et précision mécanique superlative. C’est sur ces bases, cette identité propre à Grand Seiko que nous développons la marque internationalement», précise-t-il. Et l’on pourrait ajouter: en appuyant sur la culture et une japonité assumée et fièrement brandie.
Dès le départ, un concentré de savoir-faire
Historiquement, la première Grand Seiko est née en 1960. A l’époque, elle était vouée à concentrer le meilleur des divers savoir-faire de la compagnie en termes de mouvement, de design et de capacité manufacturière. Son mouvement, le Calibre 3180, était une version avancée du Calibre 560, à l’époque le mouvement de la plus haute précision fabriqué au Japon, aux performances conformes aux standards internationaux officiels de la montre chronomètre, et incluait de nouvelles technologies telles que le système antichocs Diashock, une seconde indépendante et un balancier à réglages fins.
Son design: de larges aiguilles précises, des index épaissis aussi élégants que visibles sur un cadran blanc d’une parfaite pureté, un boîtier d’or – ou de platine – cerclé d’une fine lunette.
Son prix: 25’000 JPY de l’époque, soit «le double du salaire mensuel d’entrée d’un employé de compagnie avec degré universitaire».
- La toute récente Grand Seiko Evolution 9 Collection SLGW003
D’emblée, l’ambition était posée. La Grand Seiko, alors confinée au territoire japonais, s’adressait en priorité aux collectionneurs aisés, destinée à sensibiliser son public à une horlogerie nationale de prestige, s’appuyant sur des codes esthétiques propres au Japon – pureté des formes, délicatesse artisanale, qualité graphique.
Par ailleurs, les objectifs de qualité et de chronométrie imposés par la ligne Grand Seiko ont agi comme un stimulant à l’intérieur de Seiko et auprès de ses équipes, qu’il s’agisse de recherche, de développement, de procédés de fabrication, de matériaux…
Et à l’international, Grand Seiko entendait aussi démontrer la qualité technique et chronométrique de ses mouvements, en participant avec succès à de nombreux concours de chronométrie (lire l’encadré).
Ces impressionnants progrès conduisirent Grand Seiko à créer une nouvelle norme de précision qui lui est propre, le standard GS, aux niveaux d’exigences élevés, dont la réserve de marche la plus longue possible, soit 50 heures au minimum. De nouveaux alliages furent conçus, des techniques issues de la fabrication des semi-conducteurs furent adaptées à l’horlogerie, de nouveaux locaux furent construits. En 1998 sortent les nouveaux calibres 9S51 et 9S55. Le calibre suivant, le 9S67, doté d’une réserve de marche de 72 heures, naît en 2006. Et depuis lors, cette ligne des mouvements 9S d’excellence a continué d’être sans cesse retravaillée.
- Manual-winding Mechanical Hi-Beat 36000 80 Hours, calibre 9SA4
Cette année, «pour la première fois depuis plus de 50 ans», Grand Seiko introduit un tout nouveau mouvement à remontage manuel à haute fréquence (36’000 alternances/heure) doté d’une réserve de marche de 80 heures, le 9SA4 qui rejoint la «plateforme» des nouveaux mouvements mécaniques Calibres 9S, après l’automatique Calibre 9SA5 sorti en 2020 et le mouvement chronographe Tentagraph Calibre 9SC5 sorti en 2023.
Japonité au cœur d’Evolution 9
n 2022, Grand Seiko a introduit un nouveau concept de design, sous le nom d’Evolution 9. Ce concept formalise et intensifie les fondamentaux du style Grand Seiko définis pour la première fois avec la montre 44GS de 1967. Il «établit de nouveaux standards de lisibilité, d’esthétique et de confort adaptés à la nouvelle génération», une évolution permise grâce aux nouvelles technologies et aux nouveaux matériaux développés par la manufacture.
Le style Evolution 9 repose essentiellement sur trois principes dont, outre l’évolution de la lisibilité et celle du confort au porté, une évolution de l’esthétique, dans le but proclamé «d’accentuer l’esthétique japonaise et la sensibilité à la nature placées au cœur du style Grand Seiko».
Junichi Kamata, Grand Seiko Design Director, que nous avons rencontré durant la dernière édition de Watches and Wonders, nous en détaille les fondamentaux: «Au cœur de la sensibilité culturelle et esthétique japonaise, on retrouve les jeux de l’ombre et de la lumière qui ne sont pas vus comme des éléments contrastants mais qui coexistent pour créer la beauté. Une beauté en relation directe avec la nature comme le démontre parfaitement la maison traditionnelle japonaise, structurée par des panneaux coulissants en papier qui offrent non seulement de très subtils et variés jeux de lumière, selon les saisons, mais abolissent aussi la différence entre l’intérieur et l’extérieur. Nature et bâti coexistent ainsi en harmonie.»
- Subtils jeux de lumière, entre polissage Zaratsu et surfaces brossées, cadran avec ombres ivoire et blanc dit «mane», soit ici une imitation texturée d’une peau de lion, pour cette montre de la collection sportive «Tokyo Lion». Modèle Grand Seiko SBGE307 équipé d’un mouvement Spring Drive GMT. Rappelons qu’un lion en relief figurait au dos de la première Grand Seiko de 1960, symbole de la détermination d’alors à en faire «the king of watches». D’où le nom «Tokyo Lion».
«La vue d’un objet étincelant nous procure un certain malaise (…) Non point que nous ayons une prévention a priori contre tout ce qui brille, mais à un éclat superficiel et glacé, nous avons toujours préféré les reflets profonds, un peu voilés», explique l’écrivain Junichiro Tanizaki dans son célèbre ouvrage L’Éloge de l’ombre, publié en 1933.
Un autre concept-clé du style Evolution 9, nous explique Junichi Kamata, est celui que l’on appelle mitate. «Le mitate est une forme de métaphore, que l’on retrouve notamment dans les jardins japonais. En regardant un jardin de gravier et de pierres dressées, par exemple, on peut y voir un océan au milieu duquel émergent des îles. Ce concept nous guide dans l’élaboration de nos cadrans qui peuvent suggérer par exemple un champ de neige, des fleurs de cerisiers, des ondulations à la surface d’un étang, l’écorce d’un arbre… Autant d’éléments directement liés à la nature, dont l’inspiration est partout présente.»
«Je pourrais encore évoquer l’art poétique du haïku, poursuit M. Kamata, sa concision, sa précision, sa simplicité, son élégance minimaliste et son rapport si sensible à la nature, aux saisons. Et sous cette simplicité se cachent des règles de composition: un haïku est formé de trois lignes, la première de 5 syllabes, la deuxième de 7 syllabes, puis la troisième à nouveau de 5 syllabes, soit 17 syllabes en tout, à l’exemple de l’emblématique haïku de Bashô:
Dans le vieil étang
Une grenouille saute
Le bruit de l’eau!»
- Le design et le cadran de cette nouvelle montre Evolution 9, la SLGH021, tire son inspiration des gorges de Genbikei où coule la rivière Iwai, dans la préfecture d’Iwate, non loin du Grand Seiko Studio Shizukuishi. Edition limitée à 100 pièces. Mouvement automatique 36’000 alternances/heure. Boîtier et bracelet acier Ever-Brilliant.
Junichi Kamata pense-t-il à travers cette comparaison évoquer la relation étroite entre l’apparente simplicité (le cadran) qui cache la précision des règles qui gouvernent l’ensemble (le mouvement) – la montre étant le poème ?
Toujours est-il que l’ensemble de ces règles et inspirations stylistiques forment ce qu’il appelle un «dô». En japonais dô signifie «le chemin, la voie», sous-entendu le chemin vers l’accomplissement. On retrouve ainsi le dô dans le kendô, soit l’accomplissement par la voie de l’épée, le bushidô, la voie du guerrier, le judô, mais aussi dans le shodô, la voie de la calligraphie, ou le kadô, la voie des fleurs, plus connue sous le nom d’ikebana.
Aussi propose-t-il d’appeler la démarche stylistique codifiée dans le style Evolution 9 «Grand Seiko dô», soit la voie que Grand Seiko cherche à tracer vers la «perfection».
Une montée en gamme remarquée
Jusqu’en 2010, donc, Grand Seiko n’était disponible qu’au Japon où la marque fait figure de «collection de luxe». Son expansion à l’international s’est déroulée pas à pas et ce n’est qu’en 2017 qu’elle acquiert sa pleine autonomie et que disparaît définitivement des cadrans la mention Seiko qui jusqu’alors cohabitait sur la plupart des cadrans avec la signature Grand Seiko.
Dès l’année suivante, en 2018, la Grand Seiko Corporation est créée aux Etats-Unis, exclusivement destinée à la distribution des montres Grand Seiko. De même, dès 2020 en Europe puis, en 2022 a été créée la Grand Seiko Asia-Pacific Corporation.
Aujourd’hui donc, l’ensemble des opérations entre Seiko et Grand Seiko sont séparées, de l’exclusivité des mouvements jusqu’à à la commercialisation des montres en passant par leur design et leur manufacture.
- Cette édition limitée célèbre le 20ème anniversaire du mouvement Spring Drive de Grand Seiko, le calibre 9R, créé en 2004. Elle présente également le célèbre cadran à motif «snowflake» qui, lui, a fait son apparition dès 2005. Le cadran de ce garde-temps présente un dégradé de rose qui capture avec éclat la scène du lever de soleil sur les montagnes enneigées Hotaka, visibles depuis le Shinshu Watch Studio, là où toutes les montres Grand Seiko Spring Drive sont fabriquées.
Grand Seiko dispose aussi désormais de plus d’une dizaine de boutiques exclusives à travers le monde et, en février 2024, une nouvelle boutique exclusive Grand Seiko a été ouverte Madison Avenue à New York, après la Place Vendôme à Paris. Grand Seiko, nous affirme-t-on, ne cherche pas à ouvrir le plus de boutiques possibles mais privilégie avant tout le choix d’emplacements premium qui correspondent à l’image de marque supérieure qu’elle entend se donner.
L’ambition est donc élevée et la palette de l’offre s’avère large mais très structurée, avec une offre mécanique (les mouvements 9S et les pièces à complication), l’offre Spring Drive (mouvements 9R et 9RA de dernière génération), la plus forte à l’international, et, minoritaire, l’offre quartz (mouvements 9F), un quartz «spécial» avec «time compensation», assemblé main, aux finitions soignées et dont la précision est de +/- 10 secondes par an.
Lors du dernier salon Watches and Wonders, tous les commentateurs ont noté une augmentation assez notable du prix moyen des montres Grand Seiko, certains pour s’en inquiéter. Mais n’est-ce pas le cas aussi, à niveaux de qualité, de légitimité et de notoriété comparables, de bien des maisons helvétiques?
Il faut aussi y voir une tendance globale à élever une distinction nette entre le haut du panier et le plus courant. Dans ce jeu mondial, où les grandes marques suisses sont désormais ses concurrentes directes, Grand Seiko abat ses cartes, avec cohérence, précision et constance. Et un brio certain.
- En 2022, Grand Seiko a présenté sa première complication mécanique, la Kodo Constant-force Tourbillon, une montre révolutionnaire qui combinait un tourbillon et un mécanisme à force constante en une seule unité, sur un seul axe, pour la première fois dans l’histoire de l’horlogerie. En tant que telle, elle a représenté une étape majeure dans l’histoire de Grand Seiko et a été reconnue par la communauté horlogère internationale lorsqu’elle a reçu le prix de chronométrie lors du Grand Prix d’Horlogerie de Genève de cette année-là. Aujourd’hui, l’histoire de la Kodo se poursuit avec l’introduction d’un garde-temps en édition limitée inspiré par le lever du jour; son design complète parfaitement celui de la première.
Petite remarque finale: dans la galaxie de Seiko, il existe encore une autre marque, fort discrète mais qui propose des montres à complications, à sonnerie, à répétition minute et des montres «métiers d’art» encore plus sophistiquées que celles de Grand Seiko: Credor.
Quand, il y a quelques années, Europa Star avait posé la question de son éventuelle internationalisation à Shinji Hattori, celui-ci nous avait répondu qu’il avait «bien l’intention de promouvoir Credor internationalement, mais seulement en temps voulu. Un lancement mondial à grande échelle demande un immense effort et nous le faisons actuellement avec Grand Seiko.»
«Chaque chose en son temps.»