Le marché horloger japonais


Les petits papiers éphémères

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juillet 2024


Les petits papiers éphémères

Au Japon, on dit que l’emballage est bien souvent plus important que ce qu’il emballe. Ce qui compte dans le cadeau– tout comme dans la nourriture qu’on rapporte du marché – c’est le geste, c’est son emballage. Ce qu’il contient viendra en second lieu.

E

n d’autres mots, l’éphémère – en l’occurrence le papier d’emballage – est plus important que le «permanent», soit l’objet qu’il contient.

L’écrivain et philosophe Roland Barthes l’exprime limpidement dans L’Empire des signes en parlant «du moindre paquet japonais»: «(…) par la technique même de sa confection, le jeu du carton, du bois, du papier, des rubans, il n’est plus l’accessoire passager de l’objet transporté, mais devient lui-même objet; l’enveloppe en soi est consacrée comme chose précieuse, quoique gratuite: le paquet est une pensée…» Et il précise: «(…) une confiserie, un peu de pâte sucrée aux haricots, un souvenir ordinaire sont emballés avec autant de somptuosité qu’un bijou.»

Ajoutez à ceci le fait que le Japon, est un «empire des signes» et que ceux-ci excèdent la seule écriture, la seule transposition de la parole, pour offrir un véritable langage visuel et graphique propre constitué de signes, de motifs, de trames évocatrices. Évocations de la nature, expressions de l’eau (la mer, la vague, la plage, le torrent…), du végétal, de l’animal, des phénomènes atmosphériques (pluies, brumes, brouillard du matin, nuages, éclairs).

En fait, une véritable profusion et une richesse graphique qui est inscrite dans la vie quotidienne, jusque sur le modeste «petit papier» éphémère qui emballera un légume, un poisson, une délicate friandise, deux crayons…

Pour tous ceux d’entre nous qui ne sommes ni japonais ni japonisants, cette profusion graphique de signes codifiés et de motifs stylisés, aussi belle esthétiquement que nous pouvons la trouver, reste une énigme à bien des égards indéchiffrable. Aux yeux d’un Japonais, chacun de ces motifs parle. C’est un langage qui évoque souvent l’éphémère d’une vague qui déferle, d’un nuage qui passe, de la neige qui tombe, d’une tortue qui chemine.

Si nous avons choisi d’illustrer ce dossier Japon avec des exemples de petits papiers d’emballage, c’est non seulement pour évoquer l’éphémère des choses mais aussi parce que nous avons été frappés par le soin – subtil, graphique, évocateur de la nature, poétique, sobre – des cadrans des horlogers japonais.

Tous affirment haut et fort leur japonité, en disant ainsi que «l’emballage» de la montre compte tout autant que son contenu (parfaitement maîtrisé, par ailleurs).


PETITS PAPIERS JAPONAIS par SUSANNE RAMBACH

Depuis les années 1960, Susanne Rambach, artiste peintre et décoratrice née à Paris en 1932, recueille les papiers d’emballage du Japon. Ce sont autant de chefs d’œuvre éphémères, voués à disparaître après usage, qui témoignent pourtant d’un art graphique au quotidien d’une grande beauté et d’une rare sensibilité. Ces petits papiers sont autant de témoignages d’une attention minutieuse portée à l’emballage qui procure à chaque chose, aussi dérisoire soit-elle, sa dignité. Une leçon de civilisation.

Ce travail, objet de diverses expositions, a été publié dans l’ouvrage Petits papiers japonais, (Picquier 2011 – non traduit), dûment annoté et commenté.

Poursuivant également un travail d’écriture, elle est l’autrice de nombreux articles sur l’art japonais du quotidien et est aussi coautrice avec Pierre Rambach du Livre secret des jardins japonais (Skira 1973), suivi en 2005 d’un multimédia sur le Sakutei-ki: Le Possible et l’impossible dans l’art de dresser les pierres.

Pour aller plus loin: