u prochain top, il sera 23 heures, 59 minutes et 59 secondes…» Le premier juillet 2022 marquait la fin de l’horloge parlante consultable par téléphone en France, après 89 ans de bons et loyaux services. En Suisse, le service continue à être assuré par l’opérateur national Swisscom qui disait, étonnamment, avoir reçu plus d’un million d’appels en 2016.
Distribuer l’heure exacte est la mission du Bureau international des poids et mesures (BIPM), basé à Paris. Cette institution guide depuis 1875 notre manière de mesurer le monde et agit comme gardien officiel des unités fondamentales. Elle définit le mètre, la seconde ou encore le kilo, clarifie la manière technique de les réaliser en pratique et coordonne le travail des métrologues du monde entier. C’est elle qui distribue le temps universel coordonné (UTC en anglais), à savoir l’heure «officielle», d’une précision époustouflante, au dixième de milliardième de seconde par jour.
Ce signal intéresse tous les domaines nécessitant un marquage temporel très précis: la recherche fondamentale bien sûr, mais également la géolocalisation par satellite, la navigation, les télécoms, la gestion des réseaux électriques ou encore la finance. Par exemple, les transactions bancaires doivent être enregistrées en Europe avec une précision allant jusqu’à un dix-millième de seconde.
L’heure de Paris
L’histoire de la course à la précision de l’heure officielle nous emmène de la Révolution française aux étoiles et au monde des atomes. En 1875, le BIPM est fondé à Paris dans le but de conserver des étalons du mètre et du kilogramme. C’est l’aboutissement d’un mouvement entamé peu après la Révolution française visant à simplifier les centaines d’unités en usage en utilisant des multiples de dix. Il donnera les kilogrammes et kilomètres, les décilitres et millisecondes et, plus récemment, les terrawattheures et autres pétabytes.
Au 19ème siècle, c’est le jour astronomique – la durée prise par la Terre pour faire un tour sur elle-même – qui définit l’unité de temps: la seconde vaut la 86’400ème partie d’une journée (24 heures de 60 minutes de chacune 60 secondes). Les observatoires astronomiques livrent cette information en relevant le moment où des étoiles lointaines reviennent exactement à la même position dans le ciel.
Mais la rotation de la Terre n’est pas parfaitement stable et la durée du jour diminue de quelques secondes par siècle. En 1960, le BIPM change donc la définition de la seconde: elle devient une fraction de l’année solaire, qui est à la fois plus longue et plus stable.
Le temps de l’atome
Ce changement, hélas, fait long feu. En 1967, la seconde prend sa définition actuelle, fondée sur la vibration d’un atome. C’est ce phénomène, extrêmement stable, qui se trouve à la base des horloges atomiques. «Il s’agit d’une vraie césure, explique Patrizia Tavella, responsable du Département du temps au BIPM. Pour la première fois, la seconde n’est plus reliée à l’observation des mouvements célestes, mais à un phénomène indépendant et universel, que l’on pourrait en principe reproduire dans une autre galaxie.»
Une horloge atomique fonctionne en calibrant la fréquence d’une onde électromagnétique sur un changement d’énergie précis d’un ensemble d’atomes. Dans le cas du césium, cette fréquence vaut 9’192’631’770 Herz et définit la seconde comme la durée nécessaire à compter 9’192’631’770 vibrations. A l’instar d’une montre mécanique ou à quartz, c’est l’addition successive des secondes mesurées par des horloges atomiques qui définit l’heure officielle.
Les pays possédant de tels dispositifs réalisent leur propre temps, qui a valeur légale, et le partagent avec les pays voisins. En Suisse, le temps officiel UTC(CH) est réalisé par l’Institut fédéral suisse de métrologie METAS. Le BIPM de Paris établit le temps universel coordonné UTC en moyennant les temps officiels livrés par plus de 450 horloges atomiques de 89 instituts de métrologies dans 65 pays. C’est pourquoi le temps officiel est un consensus, souligne Patrizia Tavella.
Le temps astronomique, lui, n’a pas entièrement disparu. Car l’UTC n’est pas uniquement défini par le temps atomique: il est régulièrement ralenti d’une seconde afin de mieux coller à la rotation de la terre. Cette seconde appelée «intercalaire» pourrait bien disparaître d’ici 2035.
Le temps qu’il fut le mois passé
Jusque dans les années 1980, les horloges atomiques devaient être transportées physiquement pour être comparées et ajustées. On le fait désormais à l’aide des satellites de géolocalisation tels que le GPS des Etats-Unis ou le système Galileo de l’Union européenne. Les horloges atomiques embarquées dans ces satellites, nécessaires à une géolocalisation à quelques mètres près, permettent aux laboratoires de se synchroniser. Ils échangent leur réalisation de la seconde, mesurent la différence et la transmettent au BIPM.
Moyenner les 89 temps atomiques permet au BIPM d’augmenter la précision, mais prend du temps. En pratique, ce sont donc les temps locaux définis par les instituts de métrologie qui sont utilisés. Le BIPM publie chaque mois les écarts entre son temps officiel et les réalisations locales du temps afin de les contrôler. L’heure internationale officielle UTC n’est donc pas disponible en temps réel et en pratique, on connait en fait l’heure l’exacte qu’il fut le mois passé!
«L’heure suisse que nous réalisons affiche des différences avec l’heure UTC inférieures à quelques nanosecondes, explique Antoine Jallageas, spécialiste du temps à l’Institut de métrologie METAS. Les instruments sont comparés chaque jour et corrigés pour réduire le plus possible l’écart avec l’heure UTC.» L’heure officielle suisse UTC(CH) est utilisée dans l’industrie et dans la recherche. Elle permet d’étalonner les horloges en fonction, soit via satellite, soit en amenant un instrument de référence. Elle est également diffusée gratuitement sur internet, mais sa précision d’une milliseconde se voit de toute façon brouillée par les délais existant sur le réseau, souligne le physicien.
La fontaine temporelle
METAS maintient cinq horloges atomiques: quatre fonctionnent avec des atomes de césium, une avec de l’hydrogène. Elles sont opérées dans un environnement très contrôlé qui doit minimiser tout risque de perturbation: vibrations, champs électromagnétiques ou encore variations de température. Avec la précision visée de 0,0000000000001% (1e-15), il est nécessaire de prendre en compte des effets physiques d’intensité extrêmement faible: radiation thermique, dilatation temporelle due à la différence de la force gravitationnelle terrestre entre le haut et le bas de l’appareil (effet de la relativité d’Einstein), ou encore effet Doppler dû au mouvement relatif des atomes.
L’une des horloges de METAS, appelée FoCS-2, est unique au monde, poursuit Antoine Jallageas: «C’est le seul instrument validé pour la définition de la fréquence primaire (soit l’équivalent de la seconde, ndlr) qui utilise un jet continu d’atomes de césium refroidis par laser, ce qu’on appelle une fontaine. Une telle approche alternative permet de renforcer la confiance que nous pouvons accorder à la réalisation de la seconde faites par les instituts de métrologie autour du monde.» (voir l’infographie ci-dessous). Le développement de cet instrument a débuté à la fin des années 1990 à l’Université de Neuchâtel, avec qui METAS collabore depuis des décennies.
«L’Observatoire cantonal de Neuchâtel a joué un rôle très important dans la chronométrie internationale, relève Jürg Niederhauser, chef des affaires de la direction de METAS. En 1853, le Conseil fédéral s’est tourné vers Neuchâtel pour obtenir une heure officielle précise, la région abritant de nombreuses entreprises horlogères.» L’Observatoire devint ensuite l’une des références pour les horloges de précision, notamment au travers du Concours international de chronométrie qu’il organise. Cette tradition se poursuivra au Laboratoire temps-fréquence de l’Université de Neuchâtel, qui développe des horloges atomiques de précision ainsi que des modèles de petite taille embarqués dans des engins spatiaux.
Une seconde sur 30 milliards d’années
Les meilleures horloges atomiques, fonctionnant au césium, atteignent aujourd’hui une précision de 8 picosecondes par jour – soit une variation d’une seconde sur 300 millions d’années. Mais de nouvelles approches repoussent déjà ces limites, souligne Sébastien Bize, physicien à l’Observatoire de Paris. Des instruments utilisent d’autre types d’atomes tels que le strontium ou l’ytterbium, qui vibrent à des fréquences bien plus élevées que le césium.
Le premier avantage de ces «horloges optiques» est une précision dix à cent fois meilleure, car le décompte d’un nombre plus important d’oscillations avant d’atteindre une seconde réduit l’erreur relative produite par le fait d’en rater quelques-unes. Le deuxième est que le signal produit par ces instruments a déjà la bonne fréquence pour être transmis par fibre optique, alors que celui d’une horloge au césium doit être d’abord converti. «En métrologie, garder un signal pour soi ne sert à pas grand-chose, note Sébastien Bize. Il faut être en mesure de le partager. D’abord parce que l’objectif est de mettre à disposition des signaux de référence. Ensuite parce que la métrologie fonctionne en moyennant les mesures faites par différents laboratoires, ce qui exige de les partager. Pouvoir le faire à l’aide de réseaux de fibres optique constitue un énorme pas en avant.»
Les nouvelles générations d’instrument atteignent déjà des précisions phénoménales correspondant à une seconde sur 30 milliards d’années, soit deux fois l’âge de l’Univers. Si elles démontrent leur précision, fiabilité et robustesse, elles se verront intégrées dans le temps officiel distribué par le Bureau des poids et mesures à Paris, cette honorable institution qui veille depuis un siècle et demi sur la bonne marche du temps.