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Bulgari: «Après l’extra-plat, être là où on ne nous attend pas»

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mai 2023


Bulgari: «Après l'extra-plat, être là où on ne nous attend pas»

Quelques jours après le lancement de la version revisitée de l’Octo Roma ce printemps, Antoine Pin, le directeur général de la division horlogerie de Bulgari, nous recevait afin d’évoquer le présent et surtout le futur de la marque. Entretien.

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«alliance parfaite entre l’innovation technique et la créativité», c’est ainsi qu’Antoine Pin envisage la division horlogère de Bulgari. L’une ne saurait aller sans l’autre au sein de cette marque née à Rome et dont les origines italiennes doivent s’exprimer à la fois dans les créations joaillières et horlogères. Il y a un design italien, comme il existe un design suisse, américain, français ou allemand. C’est une question de références stylistiques, certes, mais pas seulement: il est question d’une certaine rondeur, d’une extravagance dans le bon sens du terme, d’une sensualité qui peut parfois frôler la provocation. On retrouve tout cela à des degrés plus ou moins élevés au cœur des créations de la marque.

Nommé à la direction de la division horlogère de Bulgari en septembre 2019, Antoine Pin n’a cessé de faire évoluer la marque dans la direction qui lui semble la meilleure. Le directeur général a commencé sa carrière dans le groupe LVMH chez Zenith en 2002 et il connaît très bien le groupe – ayant également œuvré chez TAG Heuer et Berluti – ainsi que les attentes de son propriétaire Bernard Arnault qui en font le succès. A savoir: une exigence de performance constante pour assurer le long terme et les stratégies à venir. Pour y parvenir, il peut s’appuyer à la fois sur le studio de création et sur les trois sites de production horlogers de Neuchâtel, du Sentier et de Saignelégier avec ses nouveaux ateliers d’habillage. Tous travaillent étroitement ensemble.

Antoine Pin, directeur général de la division horlogerie de Bulgari
Antoine Pin, directeur général de la division horlogerie de Bulgari

Même si les premières montres joaillières portant le nom de Bulgari remontent à 1918, elles ont commencé à faire parler d’elles en 1962, lorsque la star Elizabeth Taylor immortalise la montre Serpenti, qui fête cette année ses 75 ans, sur une photo prise alors qu’elle tournait le rôle-titre du film Cléopâtre réalisé par Joseph L. Mankiewicz dans les studios de la Cinecittà à Rome. Une autre montre nommée désir est apparue dans les années 1970: la Bulgari Bulgari. Après avoir racheté les marques Daniel Roth et Gerald Genta en 2000, Bulgari a intégré les savoir-faire horlogers des deux ateliers, tout en exploitant progressivement certaines approches esthétiques historique comme les designs octogonaux pour lancer son modèle Octo à son en 2010, un modèle au design subtilement revisité cette année. Mais la véritable reconnaissance est arrivée lorsque la marque s’est lancée dans la course à l’extra-plat, avec son modèle Octo Finissimo. Après huit records du monde et le modèle Octo Finissimo Ultra lancé en 2022, épais de seulement 1,80 mm et fruit de 8 brevets, on peut dire qu’elle a gagné cette course de l’ultra-fin à plate couture. La marque pourrait aller plus loin mais «so what?», souligne le directeur général.

Europa Star: Comment l’horloger Bulgari aborde-t-il 2023?

Antoine Pin: Nous sommes conscients qu’il s’agit d’une année complexe: le monde n’est pas devenu stable, au contraire, et nous savons très bien que nous sommes encore en train de gérer la crise de 2008, avec l’apparition de nouvelles crises, entraînant d’autres répercussions. Dans ce contexte, nous choisissons de nous appuyer sur nos certitudes et ce que nous maîtrisons, à savoir nos produits, notre capacité de production, nos équipes. Nous faisons en sorte d’absorber les ondes de choc extérieures, nous y adaptant le mieux possible afin de protéger le cœur de ce que nous sommes: notre identité, que l’on continue à construire et à déployer en tant qu’horloger, nos développements produits et nos investissements industriels, pensés sur le long terme et basés sur la confiance que nous avons dans le développement de notre activité.

La version automatique de 41 mm de la nouvelle Octo Roma, avec trois aiguilles et date, est animée par le mouvement manufacture Calibre BVL 191, doté de 42 heures de réserve de marche.
La version automatique de 41 mm de la nouvelle Octo Roma, avec trois aiguilles et date, est animée par le mouvement manufacture Calibre BVL 191, doté de 42 heures de réserve de marche.

Comment?

Nous poursuivons le rythme de nos innovations pour préparer l’avenir. Nous investissons dans les personnes, les outils, les métiers. Nous avons intégré en Suisse l’activité de sertissage, nous avons élargi le nombre de métiers d’art réalisés chez nous, non pas pour tout intégrer mais parce qu’il y a des limites dans les capacités de production et que la demande est forte. Nous travaillons aussi sur de nouvelles méthodes de production industrielles. Voilà comment Bulgari aborde 2023: en ayant une grande confiance en ce que nous faisons, tout en sachant parfaitement que le chemin est long parce que nous nous inscrivons dans le temps long des horlogers. Nous protégeons ce qui est le plus important: le long terme.

Protéger le long terme, c’est aussi faire évoluer les modèles existants. Pourquoi avoir repensé l’Octo Roma?

L’identité horlogère de Bulgari s’est véritablement affirmée autour de l’Octo Finissimo, après huit ans de records du monde, mais il s’agit d’un produit très spécifique: c’est une montre plate, large, plus carrée que ronde, très iconoclaste. Or nous avions une autre pièce qui se vendait très bien: l’Octo Roma, au design plus rond, plus classique. Elle a fait son chemin toute seule. C’est comme si l’on avait deux enfants, que l’on portait tous nos efforts sur le développement de l’un et qu’on laissait l’autre de côté, même si ce n’est pas tout à fait comme cela que les choses se sont passées car la plupart de nos grandes complications ont été montées sur la boîte de l’Octo Roma. Nous avons donc naturellement décidé de lui donner un coup de boost et de capitaliser sur la famille Octo afin d’être mieux présent sur le segment de l’horlogerie masculine le plus difficile à conquérir: celui où l’on trouve les grands leaders de l’horlogerie, des maisons qui ont 100 ans ou plus de savoir-faire horloger derrière elles et qui sont reconnues par le grand public. Face à elles, nous sommes des enfants.

«Nous avons accès à un portefeuille d’innovations qui casse tellement de codes que l’on peut repenser beaucoup de choses.»

Comment avez-vous fait évoluer ce modèle?

Si nous voulions gagner des parts de marché, nous devions lui donner le meilleur de tout ce que nous avons pu acquérir ces dernières années. La boîte a été arrondie, adoucie, sans perdre son caractère, nous lui avons offert un travail de finition du même niveau que celui de la Finissimo. Nous avons travaillé la texture du cadran avec un décor Clous de Paris très fin. Nous avons également développé un système de bracelets interchangeables totalement invisible et très facile d’utilisation. Nous avons fait en sorte de proposer la nouvelle Octo Roma quasiment au même prix que la précédente, en ajoutant simplement le prix du bracelet supplémentaire. Nous étions conscients qu’il s’agissait d’un défi mais le retour des professionnels est remarquable et j’en suis extrêmement heureux.

La Serpenti fête ses 75 ans cette année. Comment faites-vous pour que ce modèle reste toujours actuel?

Après 75 ans, rester créatif, c’est compliqué. Il nous restait une nouvelle dimension à explorer: l’innovation qui permet de repenser la création. C’est le cas de la Serpenti Tubogas Infinity que nous avons lancée en janvier. Nous avons cassé la contrainte technique que représentait la production historique du tubogas. Le tubogas traditionnel est fabriqué en enroulant un fin fil de métal (en or ou acier) autour d’un ressort en titane. La finesse du fil ne permet donc pas de le décorer avec un sertissage de pierres ou un gravage du métal. Pour résoudre ce problème et permettre une créativité démultipliée sur le corps du serpent, ce sont des maillons qui sont enfilés autour de la lame de titane. Sensiblement plus épais que le fil de métal, on peut les sertir, comme ici, de diamants du premier maillon au tout dernier. Chacun a une taille différente pour créer cette belle harmonie de forme et préserver la souplesse du modèle. Le sertissage peut prendre toutes les formes, nous pouvons désormais orner ce modèle avec des pierres de couleurs, inventer des graphismes différents et cela permet de relancer la créativité.

Par ailleurs, depuis quelques années le secteur horloger a commencé à observer les brevets déposés dans d’autres catégories que la catégorie 14 qui est celle de l’horlogerie, et y rechercher ce qui pourrait être intéressant. L’horlogerie a créé des passerelles avec l’aéronautique, la biotechnologie, l’électronique, des industries qui travaillent sur la chimie des matières. Certaines de ces sociétés ont des budgets de recherche qui correspondent aux ventes des leaders de l’horlogerie! Nous avons accès à un portefeuille d’innovations qui casse tellement de codes que l’on peut repenser beaucoup de choses. On peut certainement anticiper des innovations géniales dans le domaine de l’horlogerie dans les prochains cinq à dix ans.

Animé par le Calibre BVL 399, l'Octo Roma Chronograph de 42 mm se distingue par un cadran très fin, d'une grande lisibilité en bleu comme en noir.
Animé par le Calibre BVL 399, l’Octo Roma Chronograph de 42 mm se distingue par un cadran très fin, d’une grande lisibilité en bleu comme en noir.

L’an passé vous avez lancé le calibre Pic-colissimo qui anime des montres féminines de plus petit calibre. Un an plus tard, comment analysez-vous ce lancement?

Un an plus tard, nous sommes encore étonnés d’avoir réussi à le lancer aussi justement et rapidement, car c’est un développement 100% interne. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur notre maitrise de la miniaturisation acquise avec le calibre Finissimo pour le développer. Nous nous rendons aussi compte qu’il est très compliqué d’industrialiser un petit mouvement comme cela. Mais savoir que nous allons pouvoir capitaliser dessus génère une immense satisfaction. Ce calibre nous offre l’opportunité d’être reconnus à juste titre dans un segment étroit: celui des complications horlogères de haute joaillerie. Cela a du sens car, comme Cartier et Chopard, nous sommes une marque qui maîtrise très bien ces deux métiers. La plupart des montres de haute joaillerie que nous créons aujourd’hui sont animées par le calibre Piccolissimo.

Quelle est la valeur ajoutée de Bulgari, le joaillier romain, dans le monde de l’horlogerie suisse?

Il existe 300 marques horlogères. Bulgari est à la fois suisse et italienne. Nous nous sommes interrogés sur nos origines italiennes et tout particulièrement sur le design italien et la façon dont il se différencie d’un design germanique, par exemple. Chez nous, la fonction ne crée pas le design: l’esthétique s’impose au même titre que l’usage. Le studio de création travaille main dans la main avec nos constructeurs: il co-crée les mouvements avec eux. C’est ce qui fait notre différence.

La collection Octo Roma accueille également quatre exceptionnels modèles à tourbillon, dont l'Octo Roma Precious Naturalia avec sa platine visible côté cadran et ses index ornés d'oeil de tigre, pierre dure aux accents bruns et marron.
La collection Octo Roma accueille également quatre exceptionnels modèles à tourbillon, dont l’Octo Roma Precious Naturalia avec sa platine visible côté cadran et ses index ornés d’oeil de tigre, pierre dure aux accents bruns et marron.

Allez-vous continuer la course à l’extra-plat ou êtes-vous parvenus à la limite de l’exercice?

Oui et non. Il existe de nombreuses formes d’expression de la performance et nous en avons certaines en cours, mais descendre à 1,70 mm ne présente aucun intérêt. Nous pourrions le faire, mais si c’est juste pour battre un record de plus, «so what?», alors qu’il y a plein d’autres choses que l’on peut réaliser en réfléchissant à la manière de maîtriser cette technologie de l’extra-plat. Ce n’est pas la fin de l’histoire, mais je préfère que l’on travaille sur la chronométrie, la fiabilité, la réserve de marche, l’extrêmement petit. Et je ne veux pas tomber dans cette folie du record du monde. La prochaine fois que nous en obtiendrons un, j’aimerais que les gens trouvent que ce que nous avons fait est génial. J’aime l’idée d’être là où on ne nous attend pas: j’aime l’inattendu.