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Montres LVMH: un costume sur mesure pour Frédéric Arnault

ANALYSE

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janvier 2024


Montres LVMH: un costume sur mesure pour Frédéric Arnault

Les chaises musicales au sein de la division Watches & Jewelry de LVMH ont parlé, après des mois de rumeurs. Julien Tornare remplace Frédéric Arnault chez TAG Heuer et Benoît de Clerck reprend le pilotage de Zenith. Quant à Frédéric Arnault, que certains voyaient reprendre les rênes de Bulgari, les oracles en ont décidé autrement. Il hérite la nouvelle division Montres du groupe, créée sur mesure, qui inclut les trois marques horlogères «dures» de LVMH: TAG Heuer, Hublot et Zenith. Une forme de continuité naturelle pour l’horlogerie LVMH.

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VMH et l’horlogerie est une histoire qui date d’une vingtaine d’années. Après la mode, les spiritueux en tous genres, la maroquinerie et bien d’autres segments, le groupe s’est lancé dans la montre avec fracas à la fin des années 1990 en rachetant en 1999 TAG Heuer, Zenith et Ebel. Cette dernière sera rapidement liquidée pour être reprise par le groupe Movado. Suivra plus tardivement Hublot, reprise en 2008 des mains de Carlo Crocco et Jean-Claude Biver.

C’est autour de ces trois marques que LVMH va tenter de régater dans une arène très disputée, avec des fortunes diverses. Alors que TAG Heuer (rachetée par LVMH au groupe TAG, Techniques d’avant-garde) flambait sous la houlette de Jean-Christophe Babin depuis le début des années 2000, Zenith oscillait entre la flamboyance des années Nataf – crédit lui est donné d’avoir redonné de la visibilité à la marque - suivi par le passage éclair de Jean-Frédéric Dufour, aujourd’hui à la tête de Rolex, avant d’être confiée aux bons soins d’Aldo Magada.

Montres LVMH: un costume sur mesure pour Frédéric Arnault

Rumeurs infondées

Puis est arrivé Julien Tornare, qui a donné à la marque une certaine cohérence après des années d’errance et clairement d’absence de vision et positionnement. Quant à Hublot, elle a permis au groupe de se renforcer avec une marque reformatée avec talent par Jean-Claude Biver. Il est vrai que la formule «mono-produit», si elle a connu son heure de gloire, semble de plus en plus à la peine aujourd’hui et que la diversification est clé.

Restent dans le portefeuille du groupe les montres de marques comme Louis Vuitton, Dior, Fred, pour lesquelles l’activité horlogère n’ a pas de poids significatif dans le chiffre d’affaires global - même si ce qui passe à La Fabrique du Temps chez Louis Vuitton mérite d’être suivi de près.

Frédéric Arnault
Frédéric Arnault

Ces rocades au sein de la division Watches & Jewelry chez LVMH avaient alimenté les rumeurs depuis que Business Montres avait levé le lièvre durant l’été. Il y a eu des indices supposés. Frédéric Arnault photographié aux côtés de Stéphane Bianchi, boss de la division, et de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari, lors de l’événement annuel Haute Joaillerie de la marque italienne à Venise. Ça ressemblait fort à une photographie d’intronisation.

Rien de tout cela. On disait dans le milieu Frédéric Arnault désireux d’évoluer, mais encore fallait-il savoir où et comment. La réponse est tombée, après trois années passées à la tête de TAG Heuer, qui s’ajoutent aux deux années dédiées aux montres connectées aussi sein de la même marque. Même si celle-ci s’est réorientée vers la réédition de ses grands classiques ces dernières années, le mérite lui revient d’être entré dans cette arène, que beaucoup d’horlogers ont déconsidéré.

Montres LVMH: un costume sur mesure pour Frédéric Arnault

Continuité familiale

Cette évolution est somme toute naturelle. Le quatrième des cinq enfants de Bernard Arnault a eu de quoi aiguiser ses compétences chez TAG Heuer et il était temps d’élargir son rayon d’action avec cette nouvelle position, dont il reste maintenant à mieux connaître les contours.

Elle s’inscrit toutefois dans une logique familiale. Bernard Arnault assure sa maîtrise du groupe en positionnant ses enfants à la tête de maisons-phare ou à des postes-clé. Outre Frédéric Arnault, on trouve chez Tiffany & Co. Alexandre Arnault, directeur produits et communication, Delphine Arnault à la tête de Christian Dior Couture et Antoine Arnault à la direction générale de la société financière qui contrôle 41% des actions du groupe LVMH).

Reste Jean Arnault, le plus jeune (25 ans), qui dirige Louis Vuitton Watches et qui a très récemment annoncé un virage stratégique pour les montres signées LV, très remarqué et pertinent. Un fils cadet, par ailleurs, qui a rapatrié à La Fabrique du Temps Daniel Roth et Gerald Genta, avec quelques premiers lancements très prometteurs. Sans parler des collaborations récentes lancées avec quelques horlogers indépendants et du prix qui leur sera dédié cette année.

L’homme aime l’horlogerie, ça se voit, et a très bien compris à l’évidence les dynamiques actuelles du marché. A suivre, sans aucun doute. Pour la petite histoire, c’était Bulgari qui avait intégré ces deux marques en 2010 mais, faute d’activation forte, elle ne pourra désormais plus en faire fructifier le potentiel, alors que tous les indicateurs annoncent une position prometteuse pour les marques de niche à forte valeur ajoutée et inscrites dans les mémoires.

Bulgari en mode attaque

Le maintien apparent de la «locomotive» Jean-Christophe Babin aux commandes de Bulgari n’est pas surprenant en soi. Bulgari est multi-produits, mais la joaillerie s’arroge le gros du chiffre d’affaires (plus de deux milliards) et Jean-Christophe Babin n’a de cesse de pousser cette division depuis des années, à juste titre.

La joaillerie constitue pour les acteurs du marché du luxe l’axe-roi de la croissance dans les années à venir, avec un grand potentiel de parts de marché à conquérir. De son côté, le champ de l’horlogerie est plus encombré: l’horlogerie voit des marques à profusion se battre sur le marché, des mastodontes aux micro-marques qui naissent toutes les semaines ou presque, la guerre est sans fin pour trouver sa place sur les poignets des amateurs.

La joaillerie, en termes de marques, demeure un terrain largement vierge. Au contraire de l’horlogerie, les marques dominant le marché sont une petite poignée. Dans le désordre: Cartier (Richemont), Tiffany & Co., Van Cleef & Arpels (Richemont), Bulgari et Harry Winston (Swatch Group) et à leurs côtés Pomellato (Kering), Chopard, Chaumet (LVMH), Boucheron (Kering), Graff et quelques autres. Pour le reste, le terrain est constitué d’une multitude de producteurs anonymes ou de marques sans dimension internationale.

La joaillerie s’impose donc comme le terrain de jeu des grands groupes de luxe pour une raison limpide et évidente: le chiffre d’affaires de la catégorie dépasse – et de loin – celui de l’horlogerie. Pousser la joaillerie Bulgari, en parfaite synchronisation avec Tiffany & Co., pour rivaliser face à Richemont: voici la feuille de route de Jean-Christophe Babin.

Le marché mondial de la joaillerie était évalué en 2022 à 216 milliards de dollars, avec une croissance projetée à 308 milliards pour 2030 selon FortuneBusinessInside. En comparaison, l’horlogerie devrait atteindre en 2023 75,75 milliards de dollars selon les estimations de Statista.

Montres LVMH: un costume sur mesure pour Frédéric Arnault

Quelles perspectives pour la nouvelle division?

Retour aux montres. Julien Tornare, actuel patron de Zenith, reprend donc le siège de direction chez TAG Heuer. Zenith, la marque dont on a longtemps dit non sans malice que «tout le monde l’aime mais personne ne l’achète», a bénéficié d’un catalyseur en Julien Tornare, qui a su faire oublier les épisodes précédents dans l’histoire de la maison. Révision de l’offre produits, communication intensive ciblant une clientèle rajeunie, il s‘est démené comme un diable pour sortir Zenith des errances pénalisantes de son passé, musclant les ventes et la transformant en une marque plus désirable.

Montres LVMH: un costume sur mesure pour Frédéric Arnault

Zenith cependant laisse le sentiment de pouvoir ou devoir passer encore un cap supplémentaire. Energique, menant ses affaires au pas de charge, Benoît de Clerck va apporter sa patte à Zenith et prendre en mains les prochains développements de la marque, avec un style différent de celui de Julien Tornare, dans un contexte général qui ne sera pas forcément favorable.

Julien Tornare
Julien Tornare

Du côté de TAG Heuer, la marque que Julien Tornare va reprendre en main, nombre d’observateurs s’accordent à dire qu’elle pourrait délivrer davantage dans ses résultats. A lui de démontrer qu’il a les épaules pour amener la marque vers le milliard de francs de chiffre d’affaires, face à de redoutables concurrents comme Breitling, Tudor et Omega en particulier, dont la «lisibilité» est claire.

Dans le fond, rien d’exceptionnel, donc, à ces mouvements naturels, un patron en chasse un autre. Mais face aux ambitions de Richemont, Swatch Group ou Rolex, LVMH doit encore s’imposer comme un «major» de l’horlogerie. La création de sa nouvelle division montres s’inscrit ainsi dans une bataille qui ne fait que commencer.