eux ronds roses sur fond noir. Le cadran du régulateur Louis Erard x Sylvie Fleury, que la marque horlogère a présenté en début d’année, est à la fois minimaliste et flamboyant, deux mots qui correspondent bien à l’univers créatif de l’artiste genevoise. Cette co-création est comme une petite œuvre d’art de 39 mm qui a l’élégance de donner l’heure. Une édition limitée à 178 pièces.
Avec ses trois aiguilles en ligne, le régulateur est un modèle signature de Louis Erard. Manuel Emch, qui a repris les rênes de la marque horlogère en 2018, fait régulièrement appel à des artistes - Olivier Mosset fut l’un d’eux - ou à des horlogers indépendants pour le revisiter.
«L’horlogerie est mon métier, j’adore les montres, mais j’ai aussi toujours été passionné par l’art contemporain. J’ai commencé à collectionner à l’âge de 15 ans, donc relativement jeune», nous explique-t-il. Ces collaborations, qui devraient devenir un rendez-vous annuel, lui permettent de créer une passerelle entre ses deux passions. «Je me considère comme un éditeur de modèles et ma responsabilité, c’est de choisir les bonnes personnes avec lesquelles créer une œuvre unique.»
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- Sylvie Fleury - EYE SHADOWS, Salon 94, New York, 2017
- Photo: Diego Sanchez
«J’ai pris cette proposition comme un petit défi d’artiste, explique Sylvie Fleury. D’autre part, j’adore les objets et cela m’amuse d’en dessiner. Je ne veux pas devenir designer mais j’aime l’idée d’avoir une pratique artistique extrêmement variée. Cela me fut donc facile d’accepter.»
Ce régulateur fait référence à son exposition Palettes of Shadows qui s’est tenue à la galerie parisienne Thaddaeus Ropac en novembre 2018 et où elle avait présenté des «shaped canvas» - soit des toiles façonnées à la façon de Frank Stella ou de Tom Wesselmann - qui s’inspirent de palettes de maquillage en format XXL.

Les accessoires de beauté ont toujours fait partie du vocabulaire stylistique de Sylvie Fleury et ce dès sa première exposition à la galerie Art et Public à Genève en 1993. «Cela fait longtemps que j’utilise des palettes de cosmétiques dans mon travail, sous d’autres formes: je les photographie, je les casse… Je trouve ces objets tellement jolis! On dirait des petits tableaux abstraits», souligne l’artiste.
Si ses Palettes of Shadows arborent plusieurs teintes - turquoise, bleu nuit, blanc… - pour ce régulateur Sylvie Fleury a choisi un rose qui évoque des fards à joue. Quand on lui demande pourquoi elle n’a pas fait usage d’une teinte qui soit moins féminine, elle répond que le genre n’avait rien à voir dans son choix.
«Quand on pense à des palettes de maquillage, les premières qui viennent à l’esprit sont noires. Or il est vrai que le noir et le rose, c’est toujours une très belle combinaison. J’ai souvent utilisé le rose pour genrer mon travail, mais pas dans ce cas. J’ai pensé cette montre dans l’optique qu’elle irait à tout le monde. Il est des hommes que cela gênerait peut-être de porter une montre avec du rose, mais bon, elle est comme ça…»
Le processus de création de ce modèle fut assez long: trois ans. «Nous avions plusieurs designs, totalement différents, et sur celui-ci nous avons également fait plusieurs itérations, explique Manuel Emch. Quand le choix des couleurs a été défini, nous voulions nous approcher le plus possible de celles d’un fard. Il a fallu faire en sorte que les teintes des aiguilles s’harmonisent avec celles des cadrans, or les fabricants d’aiguilles ne sont pas les mêmes que les fabricants de cadrans. Cela nous a pris du temps.»
Lorsqu’il a présenté ce modèle à la presse en début d’année, Manuel Emch a évoqué les raisons pour lesquelles il a choisi de créer des éditions limitées à 178 exemplaires. Et ce choix ne relève pas du hasard: il s’agit en réalité d’un jeu de mot phonétique. «Il fallait que je trouve un chiffre qui soit suffisamment petit pour conférer un sentiment d’exclusivité à un collectionneur et en même temps que ce chiffre soit suffisamment grand pour justifier les investissements qui furent nécessaires pour développer ce modèle, explique Manuel Emch. Ce chiffre oscillait entre 120 et 250 parce que je ne voulais pas aller au-delà. Mon choix s’est porté sur 178 parce que cela a une signification en chinois: le 1 se dit yi, le 7 qi et le 8 bā. Yiqi veut dire «ensemble» et bā a une prononciation proche de fā qui signifie «prospérer». Phonétiquement, 178 résonne comme «prospérer, réussir ensemble». Nous n’avons pas de client en Chine, mais ce chiffre a un sens.»
Quand on lui demande s’il possède une œuvre de Sylvie Fleury, le patron de Louis Erard répond par l’affirmative. «J’ai beaucoup collectionné et, je ne sais pas si c’est une question d’âge mais aujourd’hui, je n’ai plus envie de posséder. Je privilégie l’expérience à l’objet et comme j’aime être mobile, je ne possède pas de bien immobilier ni de voiture. J’ai des bagages et des œuvres d’art dans un entrepôt. Je vis une partie de l’année à Abu Dhabi et je réfléchis à m’installer au Japon afin de développer ce marché. Deux ou trois fois par an, je vais voir ma collection et j’éprouve du plaisir à la redécouvrir. J’aime cette liberté.»
Un collectionneur d’art n’est pas forcément un collectionneur d’horlogerie, mais ce régulateur peut réunir les deux. D’ailleurs, pour Sylvie Fleury, ce régulateur est une création artistique. «Le fait que ce soit une montre ne saute pas aux yeux: la couleur des aiguilles est la même que celle des cadrans. On peut la voir comme un petit tableau abstrait que l’on porte au poignet et en même temps on peut lire l’heure dessus.»
