n ne compte plus aujourd’hui les relances de marques horlogères, dont beaucoup autour d’une histoire plus fantasmée que réelle. Celle opérée sous le nom d’«Adam Benedict» par Adam Lassner, un New-Yorkais de 24 ans, se distingue malgré tout dans ce paysage saturé. Nous avons d’ailleurs retrouvé des documents de la marque de ses ancêtres, Benedict Watch à La Chaux-de-Fonds, dans nos propres archives – notamment pour le modèle «Park-o-Phon», qui, dans les années 1950, avait été lancé pour permettre à l’automobiliste de contrôler aisément son temps de stationnement grâce à une alarme réglable.
- Le modèle Park-o-Phon de Benedict Watch dans Europa Star en 1968. Il remplit la même fonction que la Jaeger-LeCoultre Memovox Parking, mais le mécanisme d’alarme et le design sont légèrement différents.
- ©Europa Star Archives
- Un modèle Park-o-Phon de Benedict Watch
«Mes ancêtres sont originaires d’Europe de l’Est, de Biélorussie plus précisément, relate Adam Lassner. Au milieu du 19ème siècle, mon arrière-arrière-arrière-grand-père Baruch Reinin s’est installé à Moscou où la famille a commencé à opérer une fabrique d’horlogerie. C’était l’une des plus modernes de son temps, passant notamment à la mécanisation de l’assemblage à partir de composants dont beaucoup venaient de Suisse. Ils ont quitté le pays, comme beaucoup d’autres, suite à la révolution de 1917, alors que leur entreprise est reprise par l’Etat.»
«A Moscou, avant la révolution de 1917, mes ancêtres opéraient une fabrique d’horlogerie qui comptait parmi les plus modernes du pays.»
Certains s’en vont en France, d’autres aux Etats-Unis, d’autres encore en Suisse. En effet, grâce à ses liens avec la Suisse horlogère, une partie de la famille trouve refuge dans le pays et y poursuit la tradition horlogère sous le nom Benedict Watch. La société a été fondée dans les années 1930 par Leon Zuckermann, un grand-oncle d’Adam Lassner. «Benedict» dérive de «Baruch», qui signifie bénédiction en hébreu, c’est aussi le deuxième nom d’Adam Lassner (pour plus d’informations sur l’importance des communautés juives dans le développement de l’horlogerie dans l’arc jurassien, relire notre article dédié).
- Les bureaux de Benedict Watch à La Chaux-de-Fonds dans les années 1950.
- Adam Lassner devant ces mêmes bureaux lors de son périple de redécouverte de l’héritage horloger familiale en 2021.
Une passion retrouvée
C’est par hasard qu’il y a quelques années, le jeune homme découvre cette histoire familiale, longtemps oubliée (la société Benedict Watch, comme bien d’autres, a disparu durant la période de la crise du quartz): «En 2019, mon père m’a offert une montre en or avec ce nom, Benedict, sur le cadran, explique-t-il. J’ai fait des recherches et réalisé que j’avais encore de la famille en Suisse. C’était un moment assez surréaliste pour moi, qui avait toujours apprécié les montres. Je me suis rendu sur place pour rencontrer un membre de ma famille, qui m’a donné plus d’informations sur la marque. Je me suis aussi rendu dans le cimetière où repose toute ma famille à La Chaux-de-Fonds.»
- Leon Zuckermann, le grand-oncle d’Adam Lassner, dans son bureau à La Chaux-de-Fonds dans les années 1950. Au-dessus, le portrait de Baruch Reinin, qui a démarré la tradition horlogère familiale en Russie au 19ème siècle.
Les volumes de production de Benedict Watch étaient de l’ordre de 15’000 à 20’000 pièces par an. Mais elles ne sont pas faciles à retrouver aujourd’hui. Le jeune entrepreneur parvient à récupérer quelques modèles en ligne. Petit à petit, l’idée s’installe de relancer cette tradition familiale. Spécialisé dans le marketing du sport, Adam Lassner a retracé toute l’histoire familiale (à retrouver ici et ici). La révolution numérique est passée par là: contrairement à ses ancêtres, il lui est possible de lancer une production horlogère depuis chez lui, loin de la Suisse horlogère et au cœur d’une pandémie qui a pourtant ralenti toutes les chaînes logistiques!
La révolution numérique est passée par là: contrairement à ses ancêtres, il lui est possible de lancer une production horlogère depuis chez lui!
- Une annonce pour Benedict Watch en 1950 dans Europa Star
- ©Europa Star Archives
Aller au-delà du vintage
La première collection, entièrement autofinancée, a été présentée cette année: 200 modèles baptisés Genesis dans quatre variantes de cadrans à 295 dollars pièce, vendus en ligne. La marque est baptisée Adam Benedict, associant le prénom d’Adam Lassner et le nom de Benedict Watch. Outre la résurgence d’une tradition familiale (lire à ce propos notre article sur les relances de «belles endormies»), la marque a une autre particularité: elle véhicule un message autour de la méditation de pleine conscience, un exercice populaire et universel de «recentrage» grâce à la respiration, dont le jeune homme est un adepte (inconsciemment, une manière d’amener le calme des vallées suisses au cœur de la frénésie new-yorkaise?).
- La collection Genesis d’Adam Benedict. Notez les marques d’inspiration et d’expiration pour travailler sa respiration en pleine conscience.
Même si l’ajout de cette dimension nouvelle peut rendre le message de relance d’une marque plus complexe, Adam Lassner y tient: «L’histoire et l’aspect familial sont la partie la plus facile du projet à comprendre, mais je voulais aussi apporter un nouveau message pour aujourd’hui, grâce à la pleine conscience. D’autres montres et outils de pleine conscience existent, mais la plupart sont soit numériques, soit utilisent d’autres méthodes de calcul de la respiration.»
Outre la résurgence d’une tradition familiale, la marque a une autre particularité: elle véhicule un message autour de la méditation de pleine conscience.
La fonctionnalité est très simple à utiliser: le cadran est découpé par tranches de quatre à six secondes indiquées par autant de bâtonnets de couleurs distinctes. Celles-ci servent à contrôler sa respiration. Une fonction finalement pas si différente du modèle Park-o-Phon qui servait dans les années 1950 et 1960 à identifier les temps de stationnement!
«Aux Etats-Unis, nous aimons mettre un prix sur tout, vous pouvez débourser 1’000 dollars pour une séance de méditation pleine conscience, poursuit Adam Lassner. Mais grâce à une montre, la pratique est toujours à bout de bras. Je ne cherche pas à «vendre» la pleine conscience mais à la rendre disponible facilement pour tous, puisque cette pratique m’a beaucoup aidé personnellement.»
- Un modèle Benedict Watch retrouvé par Adam Lassner, au-dessus des rues de Valence (Espagne), où le jeune homme a étudié.
Son frère est également impliqué dans l’aventure, qui a repris tout son caractère familial: tous deux planchent sur un nouveau modèle, une montre de plongée avec mouvement automatique Sellita SW20… logique pour une marque au concept centré sur la respiration!
Les modèles, équipés d’un mouvement quartz Ronda, sont assemblés sur sol américain: après une production en Russie, puis en Suisse, la tradition horlogère familiale connaît à présent une nouvelle étape aux Etats-Unis.