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Charles Zuber: un mystérieux créateur remis en lumière

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novembre 2022


Charles Zuber: un mystérieux créateur remis en lumière

En juillet 2019, la marque Charles Zuber, née du nom d’un maître joaillier décédé en 2012, a présenté à la presse sa première montre: la Perfos. Covid oblige, il a fallu attendre trois ans pour assister à son lancement officiel. C’est le fameux designer Eric Giroud qui l’a dessinée. Mais comment crée-t-on une montre ex nihilo? Rencontre.

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n juillet 2019, lors d’un concert donné dans le cadre du Festival de Bellerive, dans le canton de Genève, les spectateurs ont pu découvrir des montres portant le nom d’une marque probablement nouvelle à leurs yeux: Charles Zuber. Et pour cause, si un certain Charles Zuber, maître joaillier et inventeur, avait bien existé et dirigeait l’atelier Ch. Zuber & R. Baumgartner situé à Carouge, il n’avait jamais créé de marque portant son nom.

Il a fallu attendre que trois hommes – le sertisseur Vincent Perego, le bijoutier Aram Garabetian et l’entrepreneur Mohamed Hilal – décident de la créer pour qu’elle existe. Pourquoi rendre hommage à Charles Zuber et pas, par exemple, à Jean-Claude Gueit, un de ses proches, lui aussi un génie du design horloger et joaillier? L’idée serait née d’une rencontre de Vincent Perego avec Charles Zuber en 2006, qui l’aurait profondément marqué.

Création de Charles Zuber pour Audemars Piguet
Création de Charles Zuber pour Audemars Piguet

Une fois les droits et les archives rachetés, il ne restait «plus qu’à»… Plus qu’à créer une ligne de montres et trouver le dessinateur qui saurait à la fois respecter la grande époque du design horloger – les années 1970-1980 – tout en leur apportant une touche contemporaine. Le choix s’est porté sur le designer Eric Giroud, un artiste aussi talentueux que discret.

La mission: respecter la grande époque du design horloger – les années 1970-1980 – tout en leur apportant une touche contemporaine.

Création de Charles Zuber pour Harry Winston
Création de Charles Zuber pour Harry Winston

Le résultat s’appelle Perfos, une montre de forme séduisante avec un look subtilement vintage. Il existe une anecdote très étrange autour du visage de cette montre: en mai 2022, alors que la Perfos avait déjà été produite et lancée trois ans auparavant, Vincent Perego s’est rendu chez l’épouse de Charles Zuber pour lui demander quelques portraits de son mari, à des fins de communication. Or, en fouillant dans une boîte d’archives, il découvre des dessins de montres esquissées de la main du designer, qui présentent un surprenant air de famille avec la Perfos dessinée par Eric Giroud – qui pourtant n’en avait pas connaissance lorsqu’il avait imaginé ce modèle trois ans plus tôt!

Esquisses d'une montre de la main de Charles Zuber: elles ont été découvertes dans ses archives trois ans après la création de la Perfos!
Esquisses d’une montre de la main de Charles Zuber: elles ont été découvertes dans ses archives trois ans après la création de la Perfos!

Charles Zuber: un mystérieux créateur remis en lumière

Le modèle Perfos est décliné en versions 36, 39 et 42 mm
Le modèle Perfos est décliné en versions 36, 39 et 42 mm

Le mouvement de forme, doté d’un micro-rotor, a été développé pour la marque par des co-traitants en Suisse. Les fondateurs de Charles Zuber ayant racheté la Manufacture Contemporaine du Temps (MCT) SA, on peut imaginer qu’à terme les mouvements de la marque seront fabriqués in-house. La gamme de prix des nouvelles collections est large et plutôt élevée: elle va de 7’900 CHF à 75’300 CHF selon les dimensions et le sertissage. La Perfos 39 mm en acier avec bracelet cuir est positionnée à 17’900 CHF. Nous avons rencontré Eric Giroud.

Le designer Eric Giroud
Le designer Eric Giroud
©JohannSauty

Europa Star: Comment cette aventure a-t-elle commencé?

Eric Giroud: J’étais à Baselworld quand mon téléphone a sonné. C’était Vincent Perego, que je connaissais. Il m’a demandé si j’étais disponible là, tout de suite: il voulait me parler d’un projet. C’est ainsi que j’ai rencontré ses associés Mohamed Hilal et Aram Garabetian. Ils m’ont demandé de leur montrer mon portfolio. C’était à la fois inattendu et très spontané, très simple comme premier contact. Ils m’ont dit qu’ils voulaient créer une nouvelle marque de montres et après cela, les choses ont démarré.

Le mouvement de la Perfos
Le mouvement de la Perfos

Connaissiez-vous Charles Zuber?

Oui, je l’avais croisé au début de ma carrière, quand je travaillais pour Harry Winston. Je le voyais toujours aux côtés du fameux designer Jean-Claude Gueit. Avec eux deux, j’ai passé des moments rares: c’était une autre époque. Je l’avais aussi rencontré dans ses ateliers alors qu’on travaillait sur des prototypes. Charles Zuber, c’était un magicien, un personnage assez étonnant, un peu mystérieux. Comme s’il venait d’une autre époque. Il fumait beaucoup et ne parlait pas beaucoup. Je me souviens de sa silhouette très sèche et de ses costumes croisés. Il avait la réputation d’avoir réalisé des choses impossibles et inventé des microsystèmes dans le domaine de la joaillerie et de l’horlogerie pour des grandes maisons comme Piaget, Harry Winston…

«Charles Zuber, c’était un magicien, un personnage assez étonnant, un peu mystérieux. Comme s’il venait d’une autre époque.»

Quel était le brief de départ pour la Perfos?

Une montre avec une boîte et un bracelet en métal, très élégante, qui s’inscrive dans la lignée des icônes que l’on connaît, comme la Royal Oak et la Nautilus, et qui rende hommage aux années 1970-1980, la belle époque de Charles Zuber. Le clin d’œil qu’on lui a fait, c’est le cadran qui est extrêmement difficile à réaliser.

Pourquoi est-il si difficile à réaliser?

Avec ses formes géométriques, il est très travaillé, soigné, élégant, complexe. J’ai dessiné comme des rayons de soleil pour indiquer le temps. Au centre, on trouve un anneau avec une petite minuterie. Jusque-là, le dessin est très simple. Mais si l’on regarde la montre de près, on découvre que le cadran est fabriqué en deux plaques: celle du dessus, avec son soleil, et celle du dessous, avec des éléments qui montent entre les rayons de la plaque supérieure. Quand on bouge le poignet, ce cadran, c’est un peu comme de la cinématique. Cela donne une certaine vie à la montre. On se demande comment ce cadran a été réalisé: qu’est-ce qui est au-dessus et en dessous?

«Avec ses formes géométriques, le cadran est très travaillé, soigné, élégant, complexe. J’ai dessiné comme des rayons de soleil pour indiquer le temps.»

Charles Zuber: un mystérieux créateur remis en lumière

Comment crée-t-on une montre pour une marque qui n’existait pas et donc sans historique ou archives pour soutenir votre démarche?

C’est justement pour cela que c’est un beau projet: le manque d’informations a généré de la place. On m’a demandé une montre de caractère: je n’avais pas grand-chose. Je me suis plongé dans les années 1970-1980 et j’ai foncé. J’avais fait d’autres propositions aux fondateurs de la marque, des montres rondes, plus classiques, mais ils ont aimé cette version, pour ses lignes.

Je fabriquais des montres en papier à l’échelle 1/1 et je les leur présentais lors de nos réunions (rires). Il y avait beaucoup d’humour dans ces moments. Quand j’ai créé cette forme, quelque chose s’est passé. Je suis très satisfait de ce projet et je me suis senti porté par l’équipe. Cette montre tombe un peu du ciel: c’est comme s’il y avait eu un coup de baguette magique…

«Quand on bouge le poignet, ce cadran, c’est un peu comme de la cinématique. Cela donne une certaine vie à la montre.»

Charles Zuber: un mystérieux créateur remis en lumière