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Alexandre Labails: pousser à fond les curseurs horlogers

PORTRAIT

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février 2023


Alexandre Labails: pousser à fond les curseurs horlogers

Accompagné de Jean-François Mojon (Chronode) et du designer Benjamin Muller, le jeune entrepreneur s’est lancé un défi audacieux, avec la création d’une nouvelle marque s’inscrivant autour d’une innovation sur le chronographe: un système d’optimisation de la gestion de l’énergie à deux modes, éco et sport. Boîtier saphir, tourbillon finitions haut de gamme et prix dépassant les deux millions distinguent également ce projet non conventionnel. Rencontre avec Alexandre Labails.

Q

u’est-ce qui a bien pu mener Alexandre Labails, un ingénieur en mécanique, spécialisé dans les turboréacteurs pour l’industrie aérienne, vers l’horlogerie de pointe – et pas n’importe laquelle, une marque aux produits dépassant allègrement le double million? «D’abord un intérêt intellectuel pour la physique et la mécanique, associées à la créativité artistique, répond le principal intéressé. Mais surtout le fruit du hasard: je suis issu d’un milieu simple et n’ai pas grandi entouré de belles montres.»

C’est une compétition organisée en 2016 au sein du cabinet de consulting en ingénierie dans lequel il travaille à la gestion de projets industriels (notamment pour Airbus) qui va tout déclencher. Le défi interne proposé est assorti d’une récompense sous forme de bon d’achat de 5’000 euros pour une montre de luxe. Davantage intéressé par le défi à relever en lui-même qu’incité par cette récompense horlogère, Alexandre Labails remporte cette compétition et le bon d’achat à la clé.

En 2016, à l'âge de 25 ans, Alexandre Labails découvre l'horlogerie et décide de tout quitter pour débuter le projet de la construction de sa marque. Cet ingénieur français spécialisé dans les moteurs aéronautiques, issu d'une famille de musiciens et d'artistes, cultive le désir de créer des montres parmi les plus exceptionnelles qui soient.
En 2016, à l’âge de 25 ans, Alexandre Labails découvre l’horlogerie et décide de tout quitter pour débuter le projet de la construction de sa marque. Cet ingénieur français spécialisé dans les moteurs aéronautiques, issu d’une famille de musiciens et d’artistes, cultive le désir de créer des montres parmi les plus exceptionnelles qui soient.

Puisque son patron refuse d’échanger le bon contre autre chose, il se met, à contre-cœur, à étudier les modèles disponibles dans cette gamme de prix. Son choix se portera sur une Panerai mais, plus important encore, il tombe «nez à nez avec une nouvelle passion», associant la haute précision mécanique dont il a fait son métier avec une fibre créative qu’il a développée depuis longtemps dans une famille active dans les milieux artistiques. Un produit à la fois «technique et émotionnel».

Alexandre Labails: pousser à fond les curseurs horlogers

Le jeune homme s’instruit, en premier lieu à travers le «Traité de construction horlogère», un ouvrage de référence. Il commence à saisir les intrications mécaniques propres à l’horlogerie. Et neuf mois plus tard, il annonce à son patron qu’il entend démarrer sa propre marque de montres.

Aujourd’hui à peine trentenaire, Alexandre Labails est de caractère méthodique: sa première année horlogère est consacrée à une étude approfondie du marché horloger, «de Daniel Wellington à Greubel Forsey», sans a priori sur le positionnement qu’aura sa future marque.

«Petit à petit, mon projet a pris des dimensions que je n’imaginais pas, confesse l’entrepreneur. Je ne suis pas arrivé en me disant que j’allais construire l’une des montres les plus chères du marché. C’était d’abord une démarche d’introspection, afin de savoir qui j’étais et ce que je voulais proposer. A mes débuts, j’imaginais plutôt me concentrer sur l’habillage et m’équiper avec un mouvement Vaucher Manufacture

Les rencontres font les opportunités et parmi les fournisseurs qu’il contacte début 2018 figure Jean-François Mojon, directeur du réputé bureau de R&D horlogère Chronode. Un autre acteur-clé du projet est le designer Benjamin Muller, fondateur de Luxury Concept Development à Genève. Tous trois se réunissent à Besançon pour évoquer de possibles pistes de création pour la marque imaginée par Alexandre Labails.

Le premier garde-temps de la marque, Temerity, est doté d'un tourbillon basse fréquence, d'un chronographe haute fréquence et d'un système d'optimisation de la gestion de l'énergie exclusif.
Le premier garde-temps de la marque, Temerity, est doté d’un tourbillon basse fréquence, d’un chronographe haute fréquence et d’un système d’optimisation de la gestion de l’énergie exclusif.

«Parmi les designs qui m’avaient marqué, il y avait notamment l’Epic X de Jacob & Co ou encore certains modèles de Louis Moinet, raconte l’entrepreneur. Des designs qui émanaient de l’esprit de Benjamin Muller: j’avais donc le sentiment de partager un environnement créatif similaire avec lui. Il fallait en profiter. Je suis donc revenu à une feuille blanche en abandonnant toutes mes idées préalables pour imaginer un projet commun dès le départ.»

A ce moment, son concept change complètement de nature: «J’ai pris le parti de ne mettre aucune limite en termes de temps, de complexité et de coûts. Et ce que je voulais faire au fond de moi, c’était de l’exceptionnel, en entrant dans le monde de la très Haute Horlogerie, parce que j’étais soutenu par les bonnes personnes.»

Alexandre Labails: pousser à fond les curseurs horlogers

La genèse du premier modèle, adéquatement baptisé «Temerity» et dont seuls dix exemplaires seront produits, est celle d’une volonté de pousser une complication dans ses ultimes retranchements. Un modèle à la fois traditionnel et contemporain, qui reflète aussi les deux facettes de la personnalité d’Alexandre Labails, technique et artistique.

Sur quel pôle de l’univers horloger travailler? «Dans le monde du sport, la complication-phare est le chronographe. Qu’est-ce qu’on peut améliorer dans un chrono? Je voulais aller sur des temps de mesure plus fins, en travaillant sur de la haute fréquence. Cependant, la haute fréquence impacte sévèrement la consommation d’énergie et peut avoir des effets néfastes sur le long terme sur la chronométrie de la fonction primaire lorsque celle-ci y est reliée.»

L’éternel dilemme entre performance et énergie en horlogerie... La solution usuelle au problème est de créer deux chaînes cinématiques distinctes: une pour la fonction primaire, l’autre pour le chronographe. «Mais cela engendre non seulement une perte d’espace utile dans un espace déjà extrêmement restreint mais aussi, et surtout, une perte d’énergie utile puisqu’une dans une telle architecture une source d’énergie est en permanence dédiée à une fonction secondaire qui est ponctuellement utilisée.»

En mode Eco (Economie d'énergie), la source d'énergie est entièrement dédiée à la fonction primaire. La consommation d'énergie est faible. La chaîne cinématique haute fréquence est désactivée; par conséquent, le balancier haute fréquence est immobile. En mode Sport, la source d'énergie continue d'alimenter la fonction primaire mais alimente également la fonction secondaire. L'organe réglant haute fréquence est opérationnel, permettant ainsi à l'utilisateur d'utiliser le chronographe.
En mode Eco (Economie d’énergie), la source d’énergie est entièrement dédiée à la fonction primaire. La consommation d’énergie est faible. La chaîne cinématique haute fréquence est désactivée; par conséquent, le balancier haute fréquence est immobile. En mode Sport, la source d’énergie continue d’alimenter la fonction primaire mais alimente également la fonction secondaire. L’organe réglant haute fréquence est opérationnel, permettant ainsi à l’utilisateur d’utiliser le chronographe.

«C’est précisément là qu’intervient notre innovation», poursuit Alexandre Labails. La solution? «Une seule et même source d’énergie, un double barillet, donnant à l’utilisateur la possibilité de choisir entre mode Eco ou mode Sport, un peu comme dans une voiture. Nous avons créé une architecture unique articulée autour de la gestion de l’énergie avec deux chaînes cinématiques en une: la première dédiée à la fonction heures-minutes et la seconde, optionnelle, dédiée à un chronographe haute fréquence. Cette architecture est gérée par le biais d’un système d’optimisation de la gestion de l’énergie innovant et exclusif.»

L’utilisateur peut gérer la façon dont l’énergie est utilisée par l’intermédiaire d’un commutateur de vitesse situé à 9h.

En mode Eco, la fonction heure-minute est régulée grâce à un premier organe réglant oscillant à 3Hz et embarqué dans un tourbillon dont la cage effectue un tour par minute. «Afin de prévenir de possibles disparités d’inertie lors de la phase de réglage de l’organe réglant, nous avons opté pour un balancier à inertie variable équipé de 4 vis d’ajustement en or. Le mécanisme de stop-seconde ajouté au tourbillon permet à l’utilisateur d’effectuer une remise à l’heure précise grâce à un marqueur embarqué sur la cage.»

Le mode Sport, qui permet l’utilisation du chronographe, est opéré par un organe réglant haute fréquence oscillant à 10Hz, permettant de mesurer des évènements avec une précision d’affichage de 5 centièmes de seconde. Le régulateur 10Hz oscille 10 foix par seconde, ce qui signifie que la roue d’échappement change de position 20 fois par seconde (72’000 fois par heure); en d’autres termes, elle change de position tous les 5 centièmes de seconde.

Afin de faciliter la lecture du temps mesuré, trois aiguilles sont positionnées sur trois cadrans distincts: un pour les minutes sautantes, un pour les secondes, un pour les 5 centièmes de seconde. Ce dernier est divisé en trois segments d’une seconde, par conséquent l’aiguille des 5 centièmes de seconde tourne à une vitesse angulaire de 120°/seconde.

Le brevet sur cet innovant «Système d’Optimisation de la Gestion de l’Energie» est en cours de dépôt. Malgré la haute fréquence de la fonction chronographe, l’architecture du modèle, articulée autour de la gestion de l’énergie, combinée à deux ressorts de barillet, permet d’offrir jusqu’à 5 jours de réserve de marche pour sa fonction primaire.

La consommation d'énergie du mode Sport est élevée: pour prévenir un arrêt potentiel de la fonction primaire, lorsque la réserve de marche restante atteint 24 heures, la chaîne cinématique haute fréquence est automatiquement arrêtée.
La consommation d’énergie du mode Sport est élevée: pour prévenir un arrêt potentiel de la fonction primaire, lorsque la réserve de marche restante atteint 24 heures, la chaîne cinématique haute fréquence est automatiquement arrêtée.

L’analogie avec le monde de l’automobile se poursuit dans le design du modèle, imaginé à la manière d’une «hypercar», aux formes aérodynamiques exceptionnelles. «Benjamin Muller m’a aidé à «accoucher» de ce design, son apport crucial a été de se projeter dans mon univers artistique, raconte Alexandre Labails. Et les niveaux de finition sont proprement artistiques, sans vouloir galvauder ce terme. Entre 100 et 200 heures sont nécessaires uniquement pour décorer les plus de 550 pièces du mouvement.»

Le choix des matériaux devait quant à lui affirmer le côté nerveux et racé de cette «hyperwatch», avec des ponts et platines en titane, ainsi qu’un boîtier en saphir, fourni par un spécialiste basé au Locle. «Normalement, le recours au saphir, qui est très difficile à usiner, marque plutôt l’aboutissement d’une collection, explique Alexandre Labails. Nous avons pris le postulat inverse en commençant par le saphir. En tant que nouveaux venus, nous devons impacter les esprits. Les collections en métal viendront par la suite.»

S’affirmant la fois «téméraire et pragmatique», l’entrepreneur a amené lui-même le capital de départ de la société, tout en étant conscient que ce projet audacieux requerrait des investissements en R&D de l’ordre de plusieurs millions de francs. Une première augmentation du capital a été menée en 2020 avec la participation d’investisseurs extérieurs. «Il était important qu’ils aient pleine conscience de mon propre investissement sur les trois premières années. Cela les a rassurés et m’a ouvert certaines portes.»

La conception par modèle personnalisé prendra entre 24 et 36 mois. L’assemblage commencera dans l’atelier de Chronode, mais la volonté affichée est de progressivement intégrer un certain nombre de métiers.

Le prix superlatif de 2,2 millions de francs est «la conséquence de la démarche menée», celle d’une R&D sans concessions ni limites. «Il y a différents curseurs que nous pouvons pousser ou non à différentes étapes de la conception, par exemple le niveau de finitions: nous avons poussé tous ces curseurs au maximum.»

Un niveau de prix qui fixe nécessairement une barrière à l’entrée très forte pour de nombreuses sollicitations. D’où la transparence choisie et la volonté de communiquer ce montant sans aucune réserve, afin que la clientèle ait bien connaissance de cette donnée en amont. La distribution n’est de toute façon pas classique mais adaptée à ce type de clientèle, par le contact direct ou via des intermédiaires.

«La typologie de clients que nous visons a l’habitude d’acquérir des produits exceptionnels, quitte à attendre parfois des années pour les obtenir, relève Alexandre Labails. Nous nous adressons à une cible de peut-être 2’000 clients potentiels dans le monde, qui possèdent déjà une belle collection horlogère, sur 200’000 personnes qui auraient les capacités d’acquérir notre modèle. Les premiers clients doivent tomber amoureux du produit mais aussi du projet, celui de participer à la naissance d’une marque hors du commun.»

Alexandre Labails: pousser à fond les curseurs horlogers

SPÉCIFICATIONS TECHNIQUES

MOUVEMENT

  • Dimensions (L x l x h): 32 x 36.25 x 11.6 mm
  • Masse: 20,68g
  • Nombre de composants: 551
  • Cage de tourbillon: 35 composants, 0.38g
  • Nombre de rubis: 65; logements chanfreinés et polis

Fonction heures & minutes:

  • Organe réglant: Tourbillon 60-secondes avec système de stop-seconde, régulateur 3Hz (21’600 alt/h; 8.30mm de diamètre; anti-choc incabloc), balancier à inertie variable avec vis d’ajustement en or
  • Aiguilles: rhodiées avec Super-Luminova, chanfreinées, polies et satinées
  • Réhaut: Bleu ciel en Grenat d’yttrium et d’aluminium, poli
  • Indexes: or rose (18K) avec Super-Luminova

Chronographe:

  • Organe réglant: Régulateur haute fréquence (10Hz / 72’000 alt/h; 8mm diamètre; anti-choc incabloc) avec deux systems stop-seconde, balancier à inertie variable avec vis d’ajustement en or
  • Fonction chronographe (start/stop/reset): trois cadrans et trois aiguilles (minutes sautantes, secondes, 0.05 secondes)
  • Cadrans: saphir, polis, gravés, laqués
  • Aiguilles: aluminium (densité 2.7), traité or rose, satinées

Gestion de l’énergie:

  • Source d’énergie: deux barillets en parallèle à brides glissantes pour éviter les surtensions
  • Remontage manuel
  • Système d’Optimisation de la Gestion de l’Energie (Energy Management Optimization System) avec deux modes (Eco & Sport)
  • Barillets à rotation rapide: 1 tour toutes les 24 minutes en mode Sport
  • Réserve de marche: Jusqu’à 120 heures (full mode Eco)
  • Réserve de marche du chronographe: Jusqu’à 5 heures (full mode Sport)
  • Deux indicateurs de réserve de marche adaptatifs
  • Système de sécurité de la réserve de marche quand la réserve de marche restante atteint 24h

Ponts et platine:

  • Titane
  • Microbillé, satiné, anglé poli, poli

Rouages :

  • Profil à dévelopante de cercle
  • Terminaisons: cerclé, rhodié, anglé poli, poli

BOÎTIER

  • Dimensions (L x l x h): 51.95 x 48 x 16.8 mm
  • Etanchéité: 5 ATM
  • Boîtier full saphir: poli, gravures laser
  • Couronne: bi-matière or rose (18K) et saphir, polie, microbillée, logo gravé laser
  • Poussoirs et commutateur: or rose (18K), poli, microbillé
  • Glaces saphir anti-reflets traités deux faces

BRACELET

  • Matériau: FKM
  • Largeur: 20 mm
  • Inserts en titane
  • Boucle ardillon: or rose (18K), polie, satinée, microbillée

PRIX

  • CHF 2’200’000