lessio Muller, 27 ans, est un jeune serial entrepreneur avec une passion pour l’horlogerie. Ou plutôt: il met les entreprises qu’il crée au service de cette passion. A 17 ans, le natif du Luxembourg lance sa première start-up, qu’il revend deux ans plus tard. Puis à 19 ans, il fonde Cosmerre, une société de services pour le secteur cosmétique – ce qui lui permet de réunir le financement nécessaire pour réaliser son rêve horloger en fondant en 2016 la Manufacture Grand-Ducale, qui compte aujourd’hui des ateliers à Luxembourg et La Chaux-de-Fonds, puis en lançant le premier modèle de sa propre marque Duke l’an dernier.
Il a de qui tenir: son père Denis Muller, qui s’investit également dans cette nouvelle aventure horlogère familiale, a une longue expérience dans l’industrie du luxe et de la mode et particulièrement de la Haute Couture. Il a fait de l’événementiel dans le monde de la Haute Couture sa spécialité, avec l’organisation de très exclusifs défilés dans le monde entier. Dès les années 1990, il convie également certains maîtres de l’horlogerie à ces événements, comme Daniel Roth, Gérald Genta, Vianney Halter et Antoine Preziuso.
Première marque luxembourgeoise
De quoi donner le goût de cet art à son fils, qui très tôt a souhaité s’initier au métier. Vianney Halter est en quelque sorte devenu son parrain dans le monde horloger: un modèle Duke «by Vianney Halter» vient d’ailleurs d’être présenté cette année, la deuxième série de la jeune marque. Il faut dire qu’Alessio Muller est très déterminé: «A 18 ans, après avoir rencontré plusieurs horlogers indépendants dont Vianney Halter, celui-ci a accepté de me soutenir. Pendant plusieurs années, j’ai fait l’aller-retour entre le Luxembourg et la Suisse chaque semaine.»
- Le premier modèle de Duke, First Edition Clarity Tourbillon, fait l’éloge de l’épure absolue. Il est limité à huit exemplaires.
En parallèle, il se forme également au polissage auprès de l’expérimenté Bekim Fifaj, qui a rejoint la Manufacture Grand-Ducale. Pendant six ans, entre 2016 et 2022, il acquiert les savoir-faire et les outils qui permettront d’aboutir à la First Edition de Duke, le premier modèle de la première marque horlogère luxembourgeoise: deux séries de huit pièces.
Ce premier modèle à tourbillon de 44 mm a eu une longue gestation: Alessio Muller a commencé à le dessiner en 2015 dans l’idée d’associer une esthétique minimaliste inspirée par l’Art déco avec des angles affirmés plus contemporains. Sa première décision: surtout pas de montre ronde! Le boîtier est forgé à partir de fibre de carbone produite au sein de l’atelier luxembourgeois, avec des insertions de titane.
«A terme, mon objectif est de tout réaliser à l’interne, à l’exception des verres saphirs, rubis, spiraux et bracelets en caoutchouc», explique l’entrepreneur. Mais quel label d’origine donner à cette montre? «Le Swiss made n’avait pas vraiment d’intérêt pour nous; quant au Made in Luxembourg, il n’est pas assez ciblé pour une marque comme Duke. Nous avons donc créé notre propre label, MGD pour Manufacture Grand-Ducale», répond le principal intéressé.
Leçons de la Haute Couture
Surtout, le duo veut insuffler son expérience de la Haute Couture au monde de l’horlogerie. «Nous venons d’un secteur qui fait référence dans les pratiques du luxe, avec des attentes élevées en matière d’accueil, de service, de prise en charge, de bespoke et de prestations sur mesure, relève Denis Muller. En Haute Couture, une cliente peut investir 300’000 euros et faire plusieurs voyages pour une robe qu’elles ne portera au final qu’une fois. C’est une mentalité différente et nous souhaitons amener ce niveau de services et de bonnes pratiques en horlogerie.»
- Le deuxième modèle de la jeune marque, Duke By Vianney Halter, a été créé en collaboration avec le maître-horloger.
Rencontrés à La Chaux-de-Fonds alors qu’ils revenaient tout juste du Qatar et du Koweït et s’apprêtaient à repartir pour l’Asie, père et fils parcourent le monde pour livrer en personne leurs modèles. La première édition, d’un prix de 98’000 euros, est d’ailleurs «sold out». Pour renforcer l’exclusivité de leurs séries, aucun calibre ne sera réutilisé pour de nouvelles lignes et la production ne dépassera pas 25 pièces par an, l’objectif étant à moyen terme d’atteindre les 100 pièces.
- Le calibre 9600 est muni d’un tourbillon et d’un remontage automatique grâce à une masse oscillante invisible en saphir brevetée qui n’obstrue aucun de ses détails. La réserve de marche atteint 72 heures.
«Notre but est d’aller à la rencontre des quelques centaines de vrais grands collectionneurs de montres actifs dans le monde, poursuit Denis Muller. Cela passe par nos propres réseaux du monde de la mode, le bouche-à-oreille ou encore des intermédiaires spécifiques. Mais nous ne souhaitons pas que nos modèles se trouvent en boutique, nous conservons une approche très exclusive.»
Même volonté dans la personnalisation extrême qui peut concerner leurs modèles: ceux-ci sont vus comme des «canevas» sur lesquels les clients peuvent intervenir. En produisant sa propre fibre de carbone, Duke peut par exemple insérer des matières (titane, or) ou des couleurs spécifiques. Les entrepreneurs nous confient aussi qu’un client japonais, amoureux du mouvement mais souhaitant une autre boîte, leur a même demandé d’en dessiner une nouvelle. Dont acte.
Surtout, Alessio et Denis Muller souhaitent se donner le temps, d’où la décision de ne pas avoir recours à des investisseurs externes. Leur identité horlogère ressort d’abord du design audacieux des modèles mais aussi de ce mélange entre métiers d’arts – «pas de montres sans finitions mains» – et une approche plus contemporaine des matériaux, le travail sur le carbone ou le saphir étant impossible sans un parc machine moderne.
«Vianney Halter m’a dit un jour que si j’avais fait l’école d’horlogerie traditionnelle, mes choix de design seraient sans doute bien différents», souligne Alessio Muller. Ce parcours inhabituel a aussi conduit à une innovation intéressante: une masse en saphir, invisible, désormais brevetée. «Nous avons repoussé le lancement d’un an pour pouvoir incorporer cette innovation. Cela aussi, c’est un luxe.»