a dernière fois que Patek Philippe avait lancé une nouvelle famille, c’était en 1999 avec la Twenty-4. Thierry Stern, né en 1970, avait alors 29 ans. Précédemment, il avait pu assister au lancement de l’Aquanaut en 1997, mais pas à celui de la Gondolo en 1993, voire la Nautilus en 1976, lancée alors qu’il avait 6 ans. Sans parler de la Golden Ellipse (1968) ou bien avant encore la Calatrava (1932).
Mais c’est bien lors d’un lancement, à Paris en 2009, celui du chronographe féminin Ladies First, non pas une famille proprement dite mais une nouvelle offre, inédite, que fut acté le passage de témoin entre son père Philippe et lui-même, marquant du coup son entrée à la présidence de la Maison familiale.
C’est dire l’importance et la rareté de ces moments «de lancement». Et celui de la Cubitus – immédiatement répercuté par tous les fils de la toile – n’y fait pas exception.
La Cubitus, assumée «à 100%» par Thierry Stern
Quelques heures auparavant, Thierry Stern nous recevait dans les vastes bureaux de la Deutsche Patek Philippe, (dirigée par le très cordial Yannick Michot), dans cette même ville de Munich. A ses côtés se tenait son fils Adrien, en stage à Munich auprès de l’entreprise tout comme lui-même l’avait été il y a quelques décennies. «C’est son choix, il n’avait aucune obligation de rentrer chez Patek Philippe, tient-il à souligner. Mais c’est l’occasion pour lui de vivre un lancement et peut-être en vivra-t-il encore deux ou trois au maximum durant son existence», précise un Thierry Stern visiblement heureux de la rareté de l’instant.
D’autant plus que par bien des aspects ce lancement est capital à ses yeux. Car la Cubitus est aussi une montre «pour une nouvelle génération». Thierry Stern décrit son implication totale et directe dans ce projet. Il déclare être «personnellement responsable à 100% du design de la Cubitus».
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- Thierry Stern lance la Cubitus à Munich le 17 octobre 2024.
Quant au mouvement et aux questions techniques, il estime y contribuer «à 50% à 60%». «Je suis passionné par la recherche car, contrairement à ce que d’aucuns prétendent, non et non, tout n’a pas été fait en horlogerie, loin de là. J’ai mille idées techniques et esthétiques et jamais Patek Philippe n’arrêtera d’innover dans ce double domaine. Avec nos propres règles – par exemple, pour en citer une, nous n’irons jamais dans les matériaux autres que ceux dits nobles. Ceci dit, je suis à la base de nombre d’idées, qui sont ensuite étudiées, validées puis mises en œuvre par l’équipe de R&D pilotée par Philip Barat. Être un leader implique d’avoir une vraie force créative, de surprendre, de s’aventurer dans des secteurs difficiles. Je me méfie de la monoculture, c’est très dangereux. Nous nous devons de présenter à notre clientèle un panel de mouvements et de formes très large tout en respectant strictement notre ligne, notre identité profonde et l’exigence qualitative qui fait la marque de Patek Philippe.»
Et de souligner, un peu goguenard, qu’elles sont rares, «les maisons ou les groupes dont le président est impliqué à 100% dans tous les détails du design et de la technique». Et qui se sente totalement en légitimité pour le faire.

Etonnamment déjà familière
La Cubitus, donc. La Cubitus devait être un secret bien gardé jusqu’à sa présentation officielle à Munich mais, quatre jours plus tôt, un leak dévoile la montre. Aussitôt, c’est la ruée sur les réseaux sociaux dont la plupart des commentateurs et influenceurs auto-proclamés s’étranglent devant cette «grosse montre carrée» qu’ils n’ont encore jamais touchée et dont ils ne connaissent qu’une petite et maigre photographie. Thierry Stern regrette bien évidemment cette fuite mais prend la chose avec philosophie: «Se faire flinguer quand on sort une nouveauté n’a rien de nouveau et, pour tout dire, je m’en fiche éperdument. Mais il n’empêche que c’est déplorable. Ceci dit, nous sortons une montre uniquement quand nous sommes sûrs d’elle à 100%.»
Alors, cette Cubitus? Passé le premier étonnement de découvrir une montre «carrée» chez Patek Philippe (bien qu’historiquement, notamment à l’époque Art déco, nombre de formes carrées, rectangulaires, voire trapèzes et coussins aient été créées par la marque), une montre qui plus est aux dimensions généreuses et apparemment contre-intuitives en ce moment où toutes les tailles refluent, la Cubitus, une fois prise en mains, séduit immédiatement. Et d’emblée, une fois passée au poignet, elle nous semble étonnamment familière; de toute évidence c’est une Patek Philippe! Presque d’ores et déjà un classique.
Son diamètre – ou plus exactement sa diagonale 10h/4h de 45 mm – s’adapte parfaitement au poignet, même au plus étroit. La forme originale et subtile de son boîtier apparie harmonieusement carré, cercle et octogone. Son boîtier constitué de deux seules pièces (le fond/carrure et la lunette, avec emboîtage par le haut) est flanqué de deux vigoureuses attaches de part et d’autre. Il arbore un profil en toute minceur (de 9,6 mm à 8,3 mm selon les modèles). Ses finitions contrastées entre satiné vertical sur le plat de la lunette et le dessus du boîtier, et biseau poli de la lunette et des flancs de la carrure, fruit d’opérations manuelles (55 en comptant les bracelets métalliques de deux des trois premiers modèles présentés), sont du plus bel effet, et «ça, entre autres, aucun contrefacteur – et ils sont innombrables – ne sera capable de le faire», savoure Thierry Stern.
La signature distinctive de la collection – qui d’emblée la rend reconnaissable – se retrouve sur les cadrans: un décor de lignes horizontales frappé en vue de créer de subtils effets de lumière. Une trame qui se retrouve sur les rotors et mini-rotors des mouvements qui équipent les différents premiers modèles de la Cubitus.
Sauts instantanés
Le modèle-phare des trois Cubitus présentées en introduction à Munich est la Cubitus Grande Date, Jour et Phases de Lune instantanés référence 5822P-001 en platine. En soi, cette montre est emblématique de l’importance que Patek Philippe a l’intention de donner à la famille des Cubitus. Ce modèle est en effet équipé d’un tout nouveau mouvement affichant grande date (avec disques positionnés exactement à la même hauteur), indication du jour et des phases de lune dont les sauts respectifs s’effectuent tous instantanément. Pour parvenir à ce que les divers affichages et leurs sauts simultanés et alignés s’effectuent parfaitement, en 18 millisecondes, six demandes de brevets ont été déposées.
Comme nous l’explique Philip Barat, cette volonté de coordination pour parvenir à ce que toutes les indications sautent exactement en même temps à minuit pile a nécessité à elle seule l’intégration de 106 composants supplémentaires, pour parvenir à un total de 353 composants. Les six brevets déposés à cet effet démontrent aussi que «du point de vue de sa sophistication mécanique, ce mouvement inédit est d’une très grande complexité», souligne-t-il. «Nous voulions une grande date, certes, mais à condition qu’elle ait quelque chose de spécial, d’unique», précise-t-il. (Pour tous les détails techniques et la liste exhaustive des brevets, voir europastar.com)
Mais si cette référence 5822P-001 en platine et avec micro-rotor, sur bracelet composite (75’000 CHF / 87’000 €), est la pièce-phare du lancement de la nouvelle famille Cubitus, celle-ci est flanquée de deux autres élégantes propositions plus accessibles, à heure, minute, seconde et date, en acier (35’000 CHF / 40’000 €) ou en bicolore, or rose et acier (52’000 CHF / 60’000 €), toutes deux sur bracelet métallique.
Un nom à plusieurs sens
D’ores et déjà on sait que la famille Cubitus va grandir et qu’il y aura à l’avenir d’autres tailles, notamment pour Dames et certainement d’autres innovations sont dans le pipeline pour cette nouvelle ligne sport-chic qui tient à s’adresser à une clientèle sensible à son design moins classique. «Mais nous utilisons strictement ce qui nous appartient, conclut Thierry Stern. En évoluant, nous nous appuyons sur les marches précédentes que sont notamment la Nautilus et l’Aquanaut. C’est une forme d’évolution organique.»
Et à la question sensible qui lui est posée sur l’importance de ces deux lignes dans l’offre globale de Patek Philippe, il dévoile qu’actuellement «plus ou moins 40% de la production de la manufacture leur est consacrée». Et qu’avec l’arrivée de la Cubitus, ce chiffre baissera tendanciellement au fur et à mesure de la montée en puissance de la nouvelle famille.
Car pour Patek Philippe, la croissance ne consiste pas à augmenter à tout prix la production (environ 70’000 montres par an) «car ce serait au risque de baisser la qualité, ce qui n’est pas envisageable» mais à trouver le juste équilibre de l’offre. Et «lancer une nouvelle famille ne se résume pas à présenter une nouvelle pièce. On oublie trop souvent tout ce que ça implique en termes de qualité irréprochable du produit lui-même mais tout aussi bien en accompagnement, en formation, en préparation et en qualité du service après-vente.»
Mais, lui demande-t-on, est-ce vraiment le bon moment pour lancer une nouvelle collection alors que l’horlogerie fait face à une crise ou un début de crise? «Mais oui, parfaitement, c’est un très bon moment pour sortir un nouveau modèle, qui renouvelle et enrichit notre offre. L’horlogerie a toujours été cyclique et crise ou pas, pour nous, parce que nous contenons qualitativement notre production, il n’y a aucun risque de mévente.»
Anatomiquement, le «cubitus» est l’os de l’avant-bras qui, grâce aux articulations du coude et du poignet, permet d’orienter la paume de la main vers le haut ou vers le bas. Belle trouvaille que ce nom qui non seulement évoque la forme carrée – le cube – mais est aussi symboliquement ce qui permet à notre main de se tourner dans tous les sens.