a hache de guerre semblait avoir été enterrée. Baselworld et Watches & Wonders avaient enfin convenu de dates compatibles et concomitantes. Chacun de son côté, les deux salons étaient en pleine refondation, s’ouvrant plus largement au public, côté Watches & Wonders avec l’initiative «In the City», ou, côté Baselworld, avec la volonté de devenir une plateforme globale et interactive pour l’ensemble de la communauté horlogère internationale.
Las! Le coronavirus a tout envahi, tout chamboulé comme un boulet lancé dans un jeu de quilles alors qu’elles étaient en train de se rassembler et de se remettre en place.
Baselworld a tiré le premier, décidant de faire cavalier seul en annulant son salon d’avril 2020 et en le déplaçant sans concertation au mois de janvier 2021, laissant du même coup le Watches & Wonders solo dans la panade, incapable pour raisons pratiques d’occupation de ses lieux d’exposition de revenir à ses dates d’origine.
S’il s’agissait d’un jeu de go, donc d’occupation de territoire, on ne pouvait que saluer le coup de Baselworld. Mais le joueur, trop sûr de sa maîtrise, allait commettre une faute fatale en se croyant dès lors incontournable.
S’il s’agissait d’un jeu de go, donc d’occupation de territoire, on ne pouvait que saluer le coup, cynique certes, de Baselworld qui semblait ainsi reprendre l’avantage. Mais le joueur, trop sûr de sa maîtrise, allait commettre une faute fatale en se croyant dès lors incontournable. Alors que toutes les manufactures étaient contraintes de fermer leurs portes et voyaient un à un leurs marchés - remplis de stocks - se fermer, Baselworld, propriétaire de ses murs d’exposition et forte d’un beau trésor de guerre en liquide, édictait de nouvelles règles du jeu parfaitement byzantines.
En réponse à l’annulation de son salon, elle proposait à ses exposants de «reporter 85% des coûts facturés pour 2021, tout en conservant pour elle-même 15% représentant ses dépenses courantes» ou, à choix, de «rembourser 30% de coûts facturés tout en reportant 40% sur 2021» et donc en conservant 30% pour elle-même. Allez y comprendre quoique ce soit. La bronca a été immédiate.
LES GRANDS SE REBIFFENT
Dix jours à peine plus tard, un communiqué tombe, signé des piliers les plus solides qui jusqu’alors soutenaient Baselworld, soit les incontournables que sont Patek Philippe, Rolex et Tudor, Chopard et Chanel.
En annonçant qu’ils avaient pris la décision commune, historique et concertée, de quitter Baselworld et de se replier stratégiquement sur Genève en s’alliant à Watches & Wonders, programmé pour avril 2021, et à la Fondation de la Haute Horlogerie, ils allumaient une bombe dont la déflagration va, au-delà du coup probablement mortel porté aux ambitions de reconquête de Baselworld, faire de nombreuses victimes collatérales. Et comme toujours, celles-ci sont à compter parmi les populations - horlogères - les plus fragiles.
Comme toujours, les victimes collatérales sont à compter parmi les populations - horlogères - les plus fragiles.
Après les retraits du Swatch Group, de Seiko et Grand Seiko, de Casio, de Breitling et d’autres acteurs, ce départ des quatre grands est sans doute le prélude à la défection définitive de LVMH (TAG Heuer, Hublot et Zenith, Bulgari étant déjà parti) dont on pressentait déjà les hésitations et les doutes.
LES PETITS TRINQUENT
Baselworld va donc se retrouver dépouillée de l’essentiel de sa légitimité horlogère internationale. Que va-t-elle devenir? Mais surtout, que vont devenir toutes les marques, maisons et horlogers indépendants, couvrant tant le haut, le moyen que le bas de gamme qui forment une des trames essentielles du tissu horloger?
La richesse exceptionnelle de Baselworld provenait de son mélange démocratique entre toutes les «classes» horlogères.
La richesse exceptionnelle de Baselworld provenait de son mélange démocratique entre toutes les «classes» horlogères. Les petits indépendants forts de quelques dizaines de sublimes montres par an, les inventeurs, les fous d’horlogerie, les grands seigneurs, les marchands de montres à 100$, les marques historiques et abordables, les rêveurs et les innovateurs, les amoureux du vintage comme ceux de du steam-punk, les fashionistas, bref, tout le peuple horloger, innombrable et si divers pouvait s’y croiser et échanger dans une ambiance d’émulation mutuelle qui est désormais perdue.
Au bout du compte, victime collatérale du coronavirus, c’est l’horlogerie elle-même qui va y perdre. Et ce n’est pas le digital et ses plateformes interactives qui en ressuscitera la saveur perdue.
Toutes les images sont tirées de Logorama, un exceptionnel court-métrage d’animation, réalisé par François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain, du collectif français H5, et qui a reçu un Oscar en 2010.