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Roger Dubuis: «Notre héritage, c’est le futur»

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mai 2023


Roger Dubuis: «Notre héritage, c'est le futur»

Que signifie le concept d’«Hyper Horology» appliqué par Roger Dubuis? Pour le comprendre, nous avons rencontré son CEO Nicola Andreatta, qui nous a évoqué son parcours et sa vision pour la marque.

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icola Andreatta a grandi dans le monde horloger. La première fois qu’il s’est rendu à la fois de Bâle, en compagnie de son père, un sous-traitant horloger qui dirigeait la société Timeo SA, il n’avait que 16 ans. Il fait ses premiers pas dans l’horlogerie en Asie, où il travaille pour plusieurs marques horlogères puis, en 2003, il reprend la direction de l’entreprise familiale, tout en créant en parallèle sa propre marque, N.O.A Watches (pour None Of the Above, ndlr). Mais la crise financière de 2008 freine fortement cette expérience entrepreneuriale. En cherchant des financements pour relancer sa marque, il prend contact avec plusieurs entreprises. Faute d’investir, l’une d’entre elles, Tiffany & Co., lui propose une alternative: devenir Vice-Président et General Manager de sa division horlogère Tiffany & Co Swiss Watches SAGL. L’aventure durera cinq ans. Lorsqu’il fut nommé CEO de Roger Dubuis en décembre 2018, la marque n’avait plus de capitaine depuis le mois de juin de la même année.

Roger Dubuis, l’homme, fait partie de ces horlogers qui ont mis un grand coup de pied dans la fourmillière, au même titre qu’un Franck Muller. Ces «enfants terribles», spécialistes des complications, voulaient faire bouger les lignes, créer une horlogerie contemporaine comme l’on parle d’art contemporain. Ils étaient des pionniers qui ont ouvert la brèche à de nombreux indépendants ayant depuis lors tracé brillamment leur voie. Ils ont réinventé des codes horlogers, poussant les complications et le design à l’extrême. Ils avaient compris que les montres traditionnelles plaisaient à une certaine clientèle, mais qu’il en existait une autre, tout aussi fortunée, prête à embrasser une horlogerie différente. C’est à ce besoin de nouveauté que Roger Dubuis a répondu grâce au visionnaire Carlos Dias, l’homme d’affaires qui a co-créé la marque en 1995 et l’a dirigée jusqu’en 2008. Tout en respectant les règles de la tradition, ils ont créé ensemble des montres surdimensionnées, des complications inattendues, avec des affichages rétrogrades, un design différent.

Nicola Andreatta, CEO de Roger Dubuis
Nicola Andreatta, CEO de Roger Dubuis

Conscient du potentiel créatif et inventif de Roger Dubuis, le groupe Richemont acquiert 60% de l’entreprise en 2008 avant de racheter les parts restantes en 2016. Près de trente ans après la naissance de la marque, tout a été fait, ou presque. Reste l’esprit. On attend toujours de Roger Dubuis d’étonner. Et c’est notamment à cela que s’attelle le CEO Nicola Andreatta en présentant cette année une concept watch porteuse de trois brevets. Le modèle Monovortex™ Split-Seconds Chronograph est animé par le Conical Monovortex™ Tourbillon, un tourbillon qui compense les effets de la gravité sur tous les axes en tournant sur une trajectoire conique à 360°. Pour les besoins de ce chronographe à rattrapante hors norme, la marque a développé une nouvelle masse oscillante, baptisée Turborotor Cylindrical Oscillating Weight, positionnée à 12h et placée de manière verticale. Quant au boîtier de 47 mm, Roger Dubuis a développé un nouveau matériau pour le réaliser: la fibre de composite minéralique (MCF) composée de 99,95% de silice. Fabriquée selon un procédé de moulage de feuilles, cette matière est à la fois très résistante et plus légère que le carbone.

Europa Star: Depuis sa création en 1995, Roger Dubuis fait partie des quelques marques horlogères qui ont révolutionné l’horlogerie contemporaine. Quelle direction désirez-vous donner à la marque?

Nicola Andreatta: Toujours la même direction: le futur. Notre héritage est le futur. Nous ne pouvons pas nous permettre de regarder en arrière. Depuis les origines de la marque, créée par Roger Dubuis et Carlos Dias, la volonté a toujours été la même: dire et faire quelque chose de différent. La marque puise ses origines dans la tradition horlogère mais ses fondateurs s’étaient fixés pour but de la faire évoluer. L’innovation, la performance et le savoir-faire sont nos angles d’attaque pour nous faire notre place dans le monde de la Haute Horlogerie. Nous avons beaucoup travaillé ces dernières années à recentrer le message, à expliquer ce que Roger Dubuis représente et à clarifier nos valeurs. Cela me semblait être la clé pour bâtir l’avenir de la marque.

Quels sont les mots qui caractérisent le mieux Roger Dubuis selon vous?

L’excès, le plaisir, la folie et la liberté. Nous essayons de mettre en application au moins deux de ces mots chaque fois que nous créons un modèle. Notre but est d’aller au-delà de l’horlogerie classique. Nous proposons une formidable alternative. Ce que nous faisons, c’est de l’«hyper-horlogerie».

Le modèle Monovortex™ Split-Seconds Chronograph est animé par le Conical Monovortex™ Tourbillon, un tourbillon qui compense les effets de la gravité sur tous les axes en tournant sur une trajectoire conique à 360°.
Le modèle Monovortex™ Split-Seconds Chronograph est animé par le Conical Monovortex™ Tourbillon, un tourbillon qui compense les effets de la gravité sur tous les axes en tournant sur une trajectoire conique à 360°.

Vous venez de présenter le Monovortex™ Split-Seconds Chronograph. Pourquoi une concept watch et pas un modèle commercialisable?

Parce qu’une concept watch est une plateforme pour montrer ce dont Roger Dubuis est capable. Pour ce modèle, nous avons déposé trois différents brevets et un nouveau matériau. Un des brevets concerne notre tourbillon qui tourne autour d’une trajectoire conique à 360° en deux minutes. Nous avons eu l’idée de lui faire effectuer une révolution complète autour d’un axe qui reproduit les différentes positions possibles de la montre, et qui compense ainsi les effets de la force gravitationnelle. C’est une interprétation différente du tourbillon.

Ces innovations vont certainement se retrouver sur des modèles qui vont être commercialisés?

Absolument. D’ici quelques mois vous verrez apparaître des modèles qui intègrent ces innovations. Mais je ne peux pas en parler pour l’instant.

Combien de montres produisez-vous aujourd’hui?

Les meilleures choses de la vie se présentent en quantités très limitées. Le luxe, c’est inventer et créer des objets difficiles à obtenir. L’exclusivité a toujours fait partie intégrante de Roger Dubuis. Du fait de la complexité de ce que nous faisons, nous ne pouvons les fabriquer en masse. Nous ne donnons pas de chiffres mais je peux vous dire que nous produisons quelques milliers de montres. Nous n’allons pas augmenter la production. Nous l’avons d’ailleurs diminuée, car nous avons ôté l’entrée de gamme: les montres avec les cadrans simples. Nous nous concentrons sur ce que nous savons le mieux faire: des produits à haute valeur ajoutée.

De ce fait, avez-vous encore besoin de boutiques physiques?

C’est une piste que nous explorons, en effet. Dans tous les cas, nous avons besoin d’un lieu pour nous connecter avec nos clients et rester en contact avec eux. Du fait de la pénurie que connaissent certaines marques, le monde de l’horlogerie propose de plus en plus souvent des expériences qui permettent aux maisons de faire plaisir et de choyer la clientèle. Nos boutiques sont des lieux où nous pouvons parler de la marque. Après seulement 28 ans d’existence, nous ne pouvons pas uniquement compter sur nos produits: nous devons continuer à représenter la marque, à la vendre, à créer une communauté et la meilleure manière de le faire est de la construire autour d’un lieu physique. Pour l’instant, ce lieu, ce sont nos boutiques. Nous nous rapprochons de plus en plus de nos clients, que ce soit via les canaux digitaux ou par le biais de ce que nous appelons «les grands vendeurs», qui travaillent directement avec nos clients finaux. La marque vient à eux. Mais cela vaut pour notre clientèle existante. Afin d’en recruter une nouvelle, nous avons encore besoin de boutiques où les faire venir jusqu’à nous.

Quel est le prix d’entrée d’une montre Roger Dubuis?

Environ 55’000 euros. C’est dans ce segment que nous pouvons apporter une valeur ajoutée. Nous faisons en sorte que le client puisse voir comment nous manufacturons nos mouvements, tous les détails, y compris le Poinçon de Genève. Or ceci est impossible si l’on ferme le boîtier. Nous nous concentrons donc sur des mouvements squelette, sur la qualité, sur tout le travail de décoration. Le Poinçon de Genève a été créé en 1886 et nous suivons toujours les mêmes règles à ce jour.

Qu’est-ce qui vous a attiré chez Roger Dubuis?

J’ai rêvé pendant toute ma carrière de me retrouver ici. Après tant d’années dans l’horlogerie, je ne peux imaginer aucune autre place qui pourrait me rendre aussi heureux. Bien sûr, cela a à voir avec ce que nous faisons, l’univers de Roger Dubuis, l’adrénaline. J’ai passé une grande partie de ma vie à faire des sports extrêmes et je me sens très connecté avec la marque, mais l’une des principales raisons, c’est le lien particulier que ma famille entretenait avec Roger Dubuis. Mon père, qui était un très grand ami de Carlos Dias, a fabriqué pour la marque. Quand j’étais jeune, je me souviens que je venais à Genève pour montrer des échantillons et je repartais contrarié parce que la qualité n‘était jamais suffisante pour eux deux! J’ai toujours considéré cette marque comme l’épitomé de l’art horloger. Pas seulement à cause de toutes les complications que Roger Dubuis et Carlos Dias ont créées, mais parce qu’ils ont eu l’idée de réinventer l’horlogerie.

Excalibur Monobalancier Titanium
Excalibur Monobalancier Titanium

Franck Muller aussi faisait partie de cette génération.

Absolument! Mon père fabriquait aussi des boîtiers pour Franck Muller.

Vous lancez en mai un nouveau modèle d’Excalibur. Qu’apporte-t-il de nouveau?

Il s’agit de la quatrième évolution de l’Excalibur: le Monobalancier en titane. Nos clients nous ont demandé un garde-temps plus facile à porter, quelque chose de plus «classique», si l’on peut dire. Celui-ci est en titane, super léger. Il a un potentiel commercial énorme! Cette montre représente désormais notre prix d’entrée à 55’000 euros.

L’Excalibur Blacklight Spin-Stone™ est comme un oxymore: sobre le jour, elle brille comme un night-club la nuit. Quel était le but de créer une montre dont le look novateur se révèle surtout la nuit?

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas joué avec la luminescence et la dualité. Nous avons décidé de sertir avec des spinelles synthétiques, parce que cela aurait été impossible de couper des pierres naturelles de cette façon courbée. La montre est complètement différente selon qu’il fasse jour ou qu’il fasse nuit. Un peu comme les personnes, d’ailleurs…