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Cartier: définir un territoire et s’y tenir

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octobre 2025


Cartier: définir un territoire et s'y tenir

La capacité de différenciation est la clé de la réussite dans le luxe. La grande force de la maison parisienne est d’avoir su définir un territoire très clair, tant en horlogerie qu’en joaillerie, qui a dopé sa désirabilité ces dernières années. Les nouveautés 2025 s’expriment sous le sceau de la «métamorphose». Le directeur du marketing de Cartier, Arnaud Carrez, partage cette vision.

A

ssurer une forme de «fluidité» entre joaillerie et horlogerie, apparues respectivement en 1847 et 1853 chez Cartier. Mais surtout exprimer des créations sur un territoire hautement reconnaissable, notamment sur la montre de forme. Les maisons les mieux dotées pour affronter tous les temps du luxe sont aussi celles qui se connaissent le mieux, selon le vieil adage attribué à Socrate.

Car se connaître dans les moindres détails permet d’aller très loin dans l’expression de ce détail, justement, sur une cartographie donnée. Plutôt que d’étendre ses bases, au risque de se perdre, on les approfondit.

Cette dernière décennie, Cartier a mené ce stratégique exercice de clarification. Une leçon en maîtrise que nous partage Arnaud Carrez.

Arnaud Carrez, Senior Vice President, Chief Marketing Officer, Cartier International
Arnaud Carrez, Senior Vice President, Chief Marketing Officer, Cartier International

Europa Star: Vous avez fait de l’«art de la métamorphose» le thème central de cette année. Pourriez-vous nous préciser comment ce thème s’incarne dans les créations que vous avez présentées?

Arnaud Carrez: Ce thème, qui fait écho à une forme de «magie», a toujours été partie intégrante de la Maison. En effet, notre métier repose en grande partie sur notre capacité à transformer des pierres et des matières en objets de désir. Nous exprimons également la volonté d’offrir des nouvelles formes, de revisiter des designs en les réinventant de manière pertinente et juste. Ces objets de désir deviennent autant de vecteurs d’émotion. C’est la force de cette Maison, celle de continuer à surprendre. Les femmes et les hommes qui opèrent chez Cartier sont des alchimistes!

Plus concrètement, cette vision s’est traduite dans un grand travail de clarification de l’identité de la Maison ces dernières années. Il s’est agi de redéfinir le portefeuille des produits. Ce travail a mené à une dynamique assez incroyable. C’est l’un des facteurs-clés du succès contemporain de Cartier, car nous avons su définir un territoire qui nous est propre. Nous sommes l’horloger des formes, de l’élégance, sur un style bien défini, ce qui crée de la désirabilité. On le constate aussi lors des ventes aux enchères, où la Crash a pu dépasser le million de dollars. Le succès des montres anciennes témoigne de l’intérêt et de la pertinence continue de la Maison. La cote des montres Cartier n’a cessé d’augmenter, ce qui concourt à notre désirabilité.

Après Tonneau, Tank Normale, ou encore Tortue, c'est la Tank à Guichets, apparue chez Cartier dès 1928, qui fait l'objet d'une réinvention dans la collection Cartier Privé. Un modèle tout d'épure qui met la technique au service du design pour proposer une lecture de l'heure numérique. Mouvement 9755 MC à remontage manuel, avec heures sautantes et minutes traînantes, spécialement développé pour ce modèle.
Après Tonneau, Tank Normale, ou encore Tortue, c’est la Tank à Guichets, apparue chez Cartier dès 1928, qui fait l’objet d’une réinvention dans la collection Cartier Privé. Un modèle tout d’épure qui met la technique au service du design pour proposer une lecture de l’heure numérique. Mouvement 9755 MC à remontage manuel, avec heures sautantes et minutes traînantes, spécialement développé pour ce modèle.

La Tank à Guichets est réinterprétée: quels sont les points-clés du processus créatif pour l’horlogerie Cartier, en particulier en ce qui concerne la sélection des modèles qui sont réexplorés à partir de votre patrimoine?

La collection Cartier Privé a été lancée en 2016 pour revisiter des formes et designs emblématiques de la Maison. Cette année voit la création du neuvième opus de cette série, après la Tank Chinoise, la Crash ou encore la Tank Cintrée. Lancée en 1928, la Tank à Guichets est la quintessence du style Cartier, avec ses fonctions ramenées à l’essentiel. C’est une montre qui reflète le mieux la singularité de la Maison, formée d’un seul bloc de platine ou d’or, sans brancards mais avec deux ouvertures, soit un geste minimaliste, un design épuré. Tous les codes de la Tank sont là!

Vous avez développé pour ce modèle un nouveau mouvement, le Calibre 9755 à remontage manuel. Comment intégrez-vous création artistique et développement technique, en prenant cet exemple particulier?

La Tank à Guichets a été un exercice complexe à relever pour les équipes mouvements. Heureusement, nous avons développé un outil manufacturier extrêmement performant et agile, sur six sites différents, qui a évolué avec le développement de l’horlogerie. Chez Cartier, le point de départ est toujours le design. Et le mouvement est au service de ce design. Des progrès considérables ont été menés en termes de qualité, de fiabilité et de durabilité des calibres, avec des taux de retour extrêmement faibles et qui n’ont cessé de diminuer ces dernières années.

Votre Maison des Métiers d’Art a fêté ses dix ans et vous remettez un prix aux nouveaux talents de l’horlogerie depuis plus de vingt ans. Une manière d’assurer la relève dans certains des savoir-faire les plus rares?

Oui, car cette culture de l’héritage et de la transmission est fondamentale, au quotidien. La Maison des Métiers d’Art reflète notre idée de la transmission. Aujourd’hui, quelque 70 personnes travaillent dans cette maison – une vraie richesse de métiers et de talents. De plus, elle est aussi très ouverte à l’écosystème externe de l’artisanat et des métiers d’arts. Le but est de préserver mais aussi de développer des expertises. La Maison des Métiers d’Art nourrit une forme de fluidité entre joaillerie et horlogerie, fondamentale pour nous. Si Cartier a été fondée en 1847 comme maison joaillière, l’horlogerie est arrivée très vite, seulement six ans plus tard dès 1853. Quant à l’Institut d’Horlogerie Cartier, situé à Couvet dans le Val-de-Travers, il a été fondé en 1993: il remet un prix annuel aux nouveaux talents et 2025 a été une très belle édition (lire à ce sujet Europa Star 2/25, ndlr).

En phase avec son thème de la métamorphose, Cartier imagine pour cette nouvelle Panthère un pelage abstrait, ni tout à fait zèbre, ni tout à fait tigre... Laque noire et brun-doré, pavage de diamants, spessartites orange et jaunes.
En phase avec son thème de la métamorphose, Cartier imagine pour cette nouvelle Panthère un pelage abstrait, ni tout à fait zèbre, ni tout à fait tigre... Laque noire et brun-doré, pavage de diamants, spessartites orange et jaunes.

En tant que marque universelle, la force de Cartier est de couvrir une vaste gamme aux codes reconnaissables. Votre stratégie de communication repose-t-elle aujourd’hui davantage sur certains modèles d’exception ou sur des modèles plus courants?

Cartier a toujours eu une offre très riche et très vaste, allant de collections positionnées sur des segments accessibles jusqu’à des prix illimités pour des commandes spéciales et exceptionnelles. Cette versatilité est un point extrêmement important. Nous proposons une horlogerie universelle parce que nous avons des collections aspirationnelles sur l’ensemble des marchés, comme la Panthère et la Santos, et en même temps transgénérationnelles, avec des lignes qui s’adressent à des clients de toute maturité. L’âge n’est pas un sujet pour nous. Ce serait antinomique d’avoir des «collections pour les jeunes».

Quelles sont les lignes qui ont connu les développements les plus importants dans l’horlogerie Cartier ces dernières années?

Ce travail de clarification et de recentrage, en même temps d’enrichissement, de Cartier, a démarré en 2017 avec la relance de la montre Panthère. Ont suivi celles de la montre Santos Dumont, puis de la Baignoire et de la Tank, en tant que collections iconiques. Dans le même temps, nous n’avons cessé de créer et d’innover, avec la montre Coussin de Cartier ou la Tressage. Nous avons une colonne vertébrale de collections iconiques et, autour d’elles, faisons preuve d’une créativité débridée. Le même travail a été mené pour la joaillerie autour des collections iconiques Love, Trinity, Juste un Clou et Clash de Cartier.

Avec la montre Tressage, l'or, les diamants et les pierres se métamorphosent selon une alchimie propre à Cartier, dans le sillage des montres Maillon, Coussin et Reflection de Cartier. Or jaune, volumes singuliers, contrastes de matières
Avec la montre Tressage, l’or, les diamants et les pierres se métamorphosent selon une alchimie propre à Cartier, dans le sillage des montres Maillon, Coussin et Reflection de Cartier. Or jaune, volumes singuliers, contrastes de matières

L’essor du vintage a été l’une des grandes révolutions en horlogerie cette dernière décennie. Comment abordez-vous cette nouvelle réalité qu’est la fusion des marchés primaire et secondaire?

Nous avons été l’une des premières maisons à racheter des pièces historiques pour constituer une collection retraçant l’évolution du style Cartier. Cela fait partie d’une stratégie constante d’enrichissement de notre patrimoine. Nous faisons l’objet d’expositions dans de grandes institutions, comme celle qui se tient cette année au Victoria & Albert Museum de Londres et réunit quelque 350 objets, dont la plupart proviennent de nos propres collections.

A travers plus de 350 objets, l'exposition dédiée cette année à Cartier au Victoria & Albert Museum retrace l'évolution de l'héritage artistique, stylistique et artisanal de la maison depuis le début du 20ème siècle.
A travers plus de 350 objets, l’exposition dédiée cette année à Cartier au Victoria & Albert Museum retrace l’évolution de l’héritage artistique, stylistique et artisanal de la maison depuis le début du 20ème siècle.