orsque David Chaumet entre chez Roger Dubuis en 2008, il n’est pas encore question d’«Hyper Horlogerie». Il est alors en charge de la qualité et du service client, avant de prendre la responsabilité du marché suisse, puis de l’Europe et de l’Asie-Pacifique. La manufacture genevoise fondée en 1995 vit alors un tournant, tout juste rachetée par Richemont après une première décennie de frénésie créative sous l’impulsion de Roger Dubuis et Carlos Dias: l’heure est à la rationalisation industrielle, à la concentration des efforts de développement, à une gestion plus mature des produits.
Après un passage de quatre ans et demi chez Baume & Mercier, David Chaumet revient à la tête de Roger Dubuis. Il y a tout juste un an, il en devient CEO. Sa mission: revisiter trente ans d’histoire pour clarifier le positionnement stratégique de la marque, entre l’exubérance créative et le calme d’une haute horlogerie genevoise fondée sur la bienfacture et le Poinçon de Genève.
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- Visite cher Roger Dubuis en 2001, un reportage paru dans Europa Star six ans après la création de la marque par le duo Roger Dubuis et Carlos Dias.
- ©Archives Europa Star
Les 30 ans de la marque sont ainsi l’occasion d’un double mouvement: explorer le patrimoine – avec notamment l’Hommage La Placide et l’Excalibur Calendrier Birétrograde – et réaffirmer le territoire d’expression le plus spectaculaire de Roger Dubuis avec la nouvelle Excalibur Knights of the Round Table, The Enchanter Merlin. Autant de pièces qui condensent cette dualité originelle: la placidité du maître horloger et la théâtralité flamboyante de la marque.
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- David Chaumet, CEO de Roger Dubuis
Europa Star: Vous fêtez les 30 ans de Roger Dubuis. Que représente cet anniversaire pour vous?
David Chaumet: Trente ans, à l’échelle de l’horlogerie, c’est très jeune mais cela a déjà été une période de créativité accélérée. Cet anniversaire a été l’occasion de tout revisiter: les grandes créations, les calibres fondateurs, les designs emblématiques. Nous avons un patrimoine plus important qu’on ne le croit, notamment sur le bi-rétrograde, les petites séries très pointues et les pièces de Haute Horlogerie à fortes complications.
Dès l’origine, il y a eu cette tension très fertile entre la passion de Roger Dubuis pour la tradition genevoise – la quête de bienfacture, la précision, le Poinçon de Genève, avec des complications comme le double tourbillon, les affichages rétrogrades, le calendrier perpétuel – et de l’autre, le tempérament de Carlos Dias: l’exubérance, les tailles de boîtes inhabituelles, les cadrans très expressifs.
On pourrait décrire cela comme «le calme et le feu». Cette dualité est dans l’ADN de la Maison: des montres capables de parler à des collectionneurs très classiques tout en assumant une théâtralité extrême sur le poignet. Mon rôle aujourd’hui, c’est de mettre ces deux pôles en dialogue, pas de choisir l’un contre l’autre. Cela pour continuer à parler à nos deux clients historiques: les amateurs de haute horlogerie traditionnelle et ceux qui viennent chercher l’exubérance expressive de la marque.
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- Le nouveau garde-temps de de 38 mm Hommage La Placide est proposé en édition limitée à 28 pièces, dans un boîtier en or rose 18 carats. Cette série exclusive fait écho à l’Excalibur Monobalancier Calendrier Birétrograde récemment lancée lors du salon Watches and Wonders: deux créations birétrogrades étroitement liées à l’héritage de la Maison.
Vous êtes arrivé en 2008, juste après le rachat de Roger Dubuis par Richemont avec une première participation de 60% (finalisée huit ans plus tard). Un tournant et une phase de transformation profonde de la manufacture. Qu’est-ce qui a changé dès lors?
Ce fut une période charnière. Entre 1995 et 2008, la marque avait exploré quasiment toutes les voies possibles, avec une frénésie de créativité, une multiplicité des mouvements, beaucoup de petites séries, parfois très intuitives, guidées par l’instinct du duo à sa tête.
De 2008 à 2011, nous passons d’une manufacture conçue pour un créateur à une manufacture conçue pour des clients. Nous rationalisons les plateformes de mouvements, les temps de développement, la fiabilisation, la corrélation avec l’expression commerciale. On gagne en maturité de gestion sans renoncer à l’audace technique.
Aujourd’hui, cette base nous sert énormément: nous maîtrisons en interne l’ensemble des composants de mouvement, de l’élaboration au réglage, et nous avons conservé des partenaires historiques pour les cadrans, les boîtes, les bracelets – tout en consolidant ce que nous faisons nous-mêmes.
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- Au sein du calibre 1472, la combinaison de deux roues étoilées offre une conception fluide du mécanisme des mois et des années bissextiles. L’une des roues est dotée de 12 dents, tandis que la deuxième en a 48, permettant l’affichage du mois et de l’année bissextile sur le même compteur, avec deux aiguilles coaxiales.
Roger Dubuis se positionne très tôt sur l’Hyper Horlogerie. A mesure que l’horlogerie suisse monte en gamme, l’idée derrière ce concept semble avoir essaimé à travers toute l’industrie… Comment vous positionnez-vous aujourd’hui?
L’Hyper Horlogerie, pour nous, c’est la rencontre entre une haute horlogerie genevoise irréprochable et une expression théâtrale assumée. Ce n’est pas une simple surenchère de complications ou de prix. Concrètement, cela signifie des calibres intégralement développés en interne, un niveau de finitions aligné avec le Poinçon de Genève – aujourd’hui, environ 92% de nos pièces sont certifiées - et une expressivité extrême des éléments. Je dis souvent que chaque montre Roger Dubuis doit pouvoir être lue comme une pièce de théâtre: chaque élément a un rôle, entre en scène, attire le regard. Mais sans jamais transiger sur la technique.
Par exemple, lorsque nous avons développé le calibre RD1472 pour l’Hommage La Placide, nous sommes repartis du calibre RD14 et du module RD72 d’origine. Il a fallu repenser les axes, recalculer des rapports, réusiner une grande partie des composants pour répondre aux normes actuelles du Poinçon de Genève. C’est un travail énorme, invisible, mais c’est exactement cela, l’Hyper Horlogerie: revisiter un héritage en l’amenant au niveau d’exigence d’aujourd’hui.
Justement, parlons de l’Hommage La Placide. Comment est née cette pièce?
La collection Hommage, à l’origine, est créée par Roger en 1996 pour saluer les horlogers, professeurs et amis qui ont marqué sa carrière. Pour les 30 ans, nous avons voulu retourner à cette notion, mais en l’appliquant… à Roger lui-même. Placide, c’est son surnom de scout, qui l’a suivi toute sa vie. Cela renvoie à son côté calme, posé, à son intelligence subtile – en contraste avec l’image très flamboyante que l’on a parfois de la marque.
La montre est une édition limitée de 28 pièces, en or rose 38 mm, avec un calendrier perpétuel et un affichage birétrograde – deux complications qu’il affectionnait particulièrement. Le mouvement RD1472 est décoré selon les critères les plus élevés: quinze types de finitions à la main, du colimaçonnage à l’anglage écroui.
Le modèle se distingue aussi par son cadran multicouche, avec ses segments en nacre, sa platine Bleu Léman – un clin d’œil au lac que Roger voyait chaque jour en allant étudier – et ses échelles birétrogrades elliptiques. C’est un hommage d’horloger à un horloger.
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- Sur l’exceptionnelle Excalibur Knights of the Round Table The Enchanter Merlin, chaque chevalier marque son heure par une pose et une présence uniques. Produite à 28 pièces en édition limitée.
L’autre grande nouveauté est l’Excalibur Knights of the Round Table, The Enchanter Merlin. Pourriez-vous nous la présenter?
La saga des Chevaliers de la Table Ronde est l’une de nos grandes «franchises» créatives depuis 2013. Elle représente parfaitement notre horlogerie expressive. Avec cette pièce, nous racontons une nouvelle facette, autour du palais de cristal construit par Merlin pour la Dame du Lac.
Sur cette pièce, tout est théâtralité maîtrisée: un cadran construit comme un paysage mystique avec 56 colonnes de hauteurs différentes – en verre de Murano, en émail poli ou mat, en or rhodié et en or rose; des cristaux de ruthénium à la base, qui créent cet effet de lac scintillant; et, pour la première fois chez nous, un sertissage «invisible» de diamants hexagonaux sur certaines colonnes.
Autour, les 12 chevaliers, chacun sculpté en or rose, veillent sur la scène. Deux à trois jours de travail sont requis pour façonner chaque figurine. Au cœur bat le calibre automatique RD821, certifié Poinçon de Genève. Là encore, la technique est au service du récit. Nous ne cherchons pas à battre un record: nous cherchons à créer une émotion, une performance théâtrale, en restant totalement légitimes sur le plan horloger.
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- Le calibre RD821 présente 14 types distincts de finitions à la main sur ses composants, un critère essentiel pour obtenir la prestigieuse certification Poinçon de Genève.
Aujourd’hui, le néo-classique ou le néo-vintage domine les débats sur le circuit horloger, peut-être davantage que l’extravagance horlogère. La Placide est-elle une réponse à cette tendance?
Nous n’avons pas vocation à faire du néo-vintage, dans le sens où nous ne voulons pas simplement rééditer le passé. En revanche, nous avons un patrimoine très riche sur seulement trente ans, avec des références complètement hors norme. Ce serait dommage de ne pas l’explorer. L’enjeu, c’est de faire honneur à Roger Dubuis: réinstaller des signatures de design, comme le birétrograde, certains codes de couleur, des architectures de cadran, tout en restant résolument contemporains.
L’Excalibur Monobalancier Calendrier Birétrograde et l’Hommage La Placide en sont de bons exemples. De plus, nous nous distinguons par notre capacité à proposer du «bespoke», via notre département Rarities Si nous réussissons à garder ce fil rouge – le calme et le feu – tout en renforçant notre lien avec les collectionneurs du monde entier, alors nous aurons, à mon sens, gagné notre prochaine quête.


