Richemont


Panerai, l’innovation sous contrôle

novembre 2025


Panerai, l'innovation sous contrôle

Chez Panerai, le terrain de jeu de l’innovation est infini, mais le cadre est volontairement très contrôlé: univers marin, boîtes coussin, lisibilité maximale, aucune concession à l’accessoire. Comment innover sans trahir ce vocabulaire formel et fonctionnel? Europa Star a réuni Jérôme Cavadini, directeur des opérations, et Alessandro Ficarelli, directeur marketing, pour un dialogue croisé sur la manière dont la marque pense l’innovation – du matériau à l’expérience client, de l’Industrie 4.0 à la Luminor Marina de 2025.

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anerai appartient à ce club très fermé de marques dont on reconnaît la silhouette à plusieurs mètres. Une identité forte… et donc des contraintes fortes, que la maison revendique comme une forme de discipline créative. Pas de boîtes ovales ou rectangulaires, pas de diamants, pas d’effets gratuits: des montres d’inspiration militaire, pensées comme des instruments, nées de la mer et pour la mer.

C’est dans ce périmètre assumé que Panerai explore de nouveaux alliages, repousse les limites de la luminescence, repense ses capacités industrielles et introduit l’intelligence artificielle au cœur de sa manufacture.

2025 marque aussi une étape importante pour la collection Luminor, avec la nouvelle Luminor Marina en figure de proue, que la marque positionne plus que jamais comme emblème de son identité.

Panerai en couverture d'Europa Star en 1999
Panerai en couverture d’Europa Star en 1999
©Archives Europa Star

Panerai, l'innovation sous contrôle
©Archives Europa Star

Panerai, l'innovation sous contrôle
©Archives Europa Star

Comment articuler ce foisonnement technique avec un message clair pour le public? Comment faire dialoguer Paneristi ultra-savants et nouveaux venus attirés par le design italien et la puissance de l’objet? Notre entretien croisé avec Jérôme Cavadini et Alessandro Ficarelli.

Europa Star: Quels sont aujourd’hui les grands axes d’innovation sur lesquels vous travaillez – qu’il s’agisse des matériaux comme le Platinumtech™, de la luminescence, de l’étanchéité, de la réserve de marche?

Jérôme Cavadini: Nous avons, paradoxalement, un terrain de jeu infini… dans un périmètre très restreint. Nous nous sommes nous-mêmes imposé des limites, et nous tenons à les respecter: rester dans l’univers marin, ne pas sortir de nos formes de boîtes, ne pas faire de montres rectangulaires ou ovales, pas de diamants décoratifs. Cela peut sembler contraignant, mais c’est précisément ce qui donne de la cohérence à Panerai.

À partir de là, notre devise est très simple: cela doit être utile. Pas de gimmick, pas d’accessoire de la fonction. Une Panerai doit se lire de manière évidente, se régler de manière intuitive, même si le mouvement recèle une certaine complexité. Cela fixe des nécessités concrètes : une couronne facile à manipuler, un cadran immédiatement reconnaissable, une réserve de marche pertinente, une étanchéité réelle – pas seulement déclarative.

Panerai, l'innovation sous contrôle

Pour les matériaux, nous ne faisons pas une «liste de commissions» en piochant au hasard dans le tableau de Mendeleïev. Il ne s’agit pas de lancer un alliage plutôt qu’un autre pour le seul plaisir de la nouveauté, mais de comprendre ce qui se combine réellement bien avec nos contraintes: résistance, légèreté, durabilité, entretien, confort. C’est dans ce cadre que s’inscrivent des développements comme le Platinumtech™ ou d’autres alliages que nous introduirons dans les prochaines années.

Panerai, l'innovation sous contrôle

Sur la luminescence, nous avons poussé très loin la collaboration avec notre partenaire RC Tritec sur le Super-LumiNova. Nous avons d’abord travaillé sur le X1, puis sur une version améliorée dont nous avons eu la primeur – une vraie marque de confiance. Leur CEO nous a dit: «Vous nous avez tellement poussés avec vos exigences de performance à 2, 4, 8 heures, que cette évolution est en partie née de ce dialogue.» Mais pour nous, ce n’était pas une fin: nous voulons aller plus loin encore sur la manière de produire, stocker et transmettre l’énergie lumineuse, dans le respect du fait que nos montres restent mécaniques.

Un exemple concret: nous travaillons sur des dispositifs qui permettent, via un bouton d’activation, de «booster» la luminescence pendant une trentaine de minutes, à la demande. C’est typiquement une innovation utile dans un contexte d’usage réel, et que nous allons continuer à améliorer. L’enjeu, partout, c’est de conjuguer fidélité à nos codes, utilité pour le porteur et vraie avancée technique.

La Luminor Marina Militare PAM05218 revisite l'un des jalons les plus importants de l'histoire moderne de la Maison. Dévoilée le 10 septembre 2025, à l'occasion de l'ouverture de l'exposition The Depths of Time, elle rend hommage à la Luminor Marina Militare réf. 5218-202/A, qui a également fait ses débuts en 1993, la même année que la Luminor réf. 5218-201/A et la Mare Nostrum réf. 5218-301/A.
La Luminor Marina Militare PAM05218 revisite l’un des jalons les plus importants de l’histoire moderne de la Maison. Dévoilée le 10 septembre 2025, à l’occasion de l’ouverture de l’exposition The Depths of Time, elle rend hommage à la Luminor Marina Militare réf. 5218-202/A, qui a également fait ses débuts en 1993, la même année que la Luminor réf. 5218-201/A et la Mare Nostrum réf. 5218-301/A.

2025 est l’année de la Luminor, avec notamment les nouvelles versions de la Marina. Quelle est la place de cette collection dans la stratégie globale de la marque?

Alessandro Ficarelli: La Luminor Marina est bien plus qu’une collection: c’est une part de l’ADN de Panerai. Quand j’ai rejoint la maison en 2005, la notoriété de la Luminor dépassait celle de la marque elle-même! C’est probablement la plus iconique de nos montres. Vous pouvez enlever le logo: la forme coussin, le dispositif protège-couronne, la typographie du cadran… tout la rend immédiatement reconnaissable.

Notre objectif aujourd’hui est de capitaliser sur cette identité en la rendant encore plus pertinente. Luminor, c’est historiquement l’emblème de la tool watch développée pour la Marine militaire italienne. C’est pour cela que, cette année, nous avons choisi une évolution et non une rupture: nous respectons la forme coussin, les codes qui nous distinguent de la concurrence, mais nous les mettons au niveau des attentes actuelles.

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Concrètement, nous avons amélioré l’étanchéité – de 300 à 500 mètres – en gardant à l’esprit que nous testons toujours nos montres environ 25% au-delà de ce que nous déclarons. Nous avons encore renforcé la luminosité, la résistance aux chocs, tout en conservant un calibre automatique trois jours à la fiabilité éprouvée. Nous avons aussi travaillé sur l’esthétique fonctionnelle: meilleure intégration des anses avec le bracelet métal, système de changement rapide, confort au poignet.

Luminor Due, de son côté, a fait l’objet d’un exercice de réduction des tailles, en particulier autour de 38 mm. Nous devons préserver la lisibilité d’une tool watch et ses caractéristiques de robustesse, même en explorant des diamètres plus contenus. L’enjeu n’est pas d’aller «toujours plus petit», mais de rester fidèle au caractère de la marque.

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Le modèle Egiziano de 1956
Le modèle Egiziano de 1956

L’innovation chez Panerai concerne aussi les gains d’efficacité et de productivité en manufacture. Vous avez misé très tôt sur une approche «Industrie 4.0» appliquée à l’horlogerie. Quels en sont aujourd’hui les effets concrets?

Jérôme Cavadini: J’ai connu plusieurs CEO chez Panerai, mais toujours une constante: la volonté d’être crédibles. Et la crédibilité repose sur la véracité: ce qu’on dit, on le fait. Nous sommes convaincus que ce que nous mettons en place est juste, et notre responsabilité est ensuite de convaincre nos clients, la presse, nos partenaires.

Dès le début, on nous a dit: «Si vous parlez de haute technologie, montrez-la.» Panerai est un paradis pour ingénieurs, avec une manufacture qui reflète cela. Nous avons par exemple plusieurs micro-CNC de dernière génération, et un plan d’investissement qui a commencé avec le parc machines entré en 2013. Nous savons aussi que nous devons continuer à nous développer demain, notamment sur des maillons de bracelet usinés sur machines multibarres, un domaine où il reste difficile de faire mieux que certaines solutions très spécialisées.

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Les gains sont pourtant très tangibles avec la micro-CNC: autour de 40% d’économie d’énergie, une implantation au mètre carré environ deux fois plus efficace, des précisions mieux tenues, des langages de programmation plus accessibles. Ces machines sont aussi plus «intelligentes»: elles détectent les dérives dimensionnelles, se corrigent elles-mêmes, et permettent de gérer un parc d’une vingtaine de machines avec une équipe réduite de techniciens de haut niveau, sans tourner en 3×8 ni multiplier les équipes de nuit ou du week-end.

Tout n’est pas parfait: certaines machines sont très compactes, ce qui pose des limites si l’on veut usiner au-delà de 50 mm de diamètre. Et nous n’avons pas encore dix ou quinze ans de recul sur la durabilité de ces nouvelles générations par rapport à nos anciens équipements, que l’on savait devoir remplacer après une décennie. Nous sommes encore dans une phase de proof of concept.

Enfin, la connexion inter-machines peut encore progresser. Mais nous en voyons déjà les immenses avantages – et aussi les limites. L’enjeu, c’est de garder un équilibre: nous avons beaucoup travaillé sur l’agilité, mais il ne faut pas tout changer tout le temps et préserver en parallèle des réseaux de sourcing robustes.

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Cet environnement très innovant peut devenir extrêmement technique. Comment le traduisez-vous en un message marketing lisible et désirable pour un public large?

Alessandro Ficarelli: Il y a chez Panerai une dualité intéressante. D’un côté, les Paneristi, qui connaissent l’histoire de la marque par cœur et suivent chaque développement technique. De l’autre, un public plus large, attiré par le design, le caractère italien, la présence au poignet. Notre rôle est de créer un langage qui parle aux deux.

La clé, c’est de partir de l’histoire et du patrimoine, avant même la technique. Nous avons une histoire exceptionnelle et très précise: celle d’une montre-outil développée pour la Marine militaire italienne. Si je raconte d’abord cela, et que j’explique ensuite la réserve de marche, la luminescence, le dispositif protège-couronne, la lisibilité, la sécurité… je ne fais que montrer que tout vient de la performance. La technique devient la traduction moderne d’un besoin historique, pas un discours abstrait.

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Nous avons aussi développé des expériences très concrètes avec nos clients. Par exemple, une expédition avec Mike Horn ou avec la Marina Militare, ou des expériences plus «Dolce Vita» autour de la beauté de l’Italie. Certaines éditions limitées sont liées à ces expériences, avec un accès à des lieux ou des activités non ouverts au public. L’objectif est de créer des souvenirs indélébiles: nous vendons des montres, bien sûr, mais aussi des émotions et un sentiment de communauté.

Enfin, notre partenariat historique avec la Marine italienne – qui remonte au début du 20ème siècle – ou avec les Navy SEALs américains, nourrit un imaginaire de performance. C’est ce qui rend l’innovation crédible aux yeux des passionnés comme des nouveaux venus.

Annonce Panerai de 1999
Annonce Panerai de 1999
©Archives Europa Star

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Toujours sur l’innovation, le recours à l’intelligence artificielle est-il déjà une réalité quotidienne dans les opérations de Panerai, ou plutôt une promesse à long terme? Dans quels domaines est-elle la plus utile ou prometteuse?

Jérôme Cavadini: L’intelligence artificielle change le quotidien de tout le monde – y compris le nôtre. Mais il faut distinguer: nous n’utilisons pas, à ce stade, l’intelligence artificielle générative pour dessiner nos montres ou écrire nos messages, la création reste à 100 % humaine. En revanche, dans les logiciels d’ingénierie et de simulation, l’IA est déjà omniprésente.

Aujourd’hui, nous pouvons simuler très précisément la résistance d’une boîte à la pression, les contraintes mécaniques sur une carrure ou une corne, la tenue d’un système protège-couronne, avant même d’usiner quoi que ce soit. Nous matérialisons ensuite en impression 3D, ajustons, et revenons sur le modèle. Personne, en interne, n’a envie de «revenir en arrière», vers une époque où l’on devait tout valider uniquement en physique.

Sur le forecasting, c’est pareil. Nous devons modéliser nos ventes en fonction ou non de l’extension d’un réseau de boutiques, du nombre de points de vente, des spécificités locales – un calendrier indien avec Diwali, par exemple. Nous construisons des business models par boutique, et agrégeons ces calculs. Sans ces algorithmes, il nous faudrait probablement plus de personnes, pour un travail moins qualitatif.

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L’IA est également très présente dans la prédiction de maintenance. Nous analysons de grandes séries de données d’usinage, et détectons les outils qui vont casser… avant qu’ils ne cassent, ce qui change la vie de la production. Tous les fabricants de machines investissent massivement dans cette prédictibilité, et nous en bénéficions directement.

Enfin, nous profitons de cette puissance de calcul tout en gardant une forme de prudence. Nous avons beaucoup travaillé sur l’Industrie 4.0, l’agilité, mais nous avons aussi décidé de ne pas tout bouleverser en permanence. Nous nous sommes entendus sur des équilibres: des roadmaps pluriannuelles, une vision claire sur les matériaux, les mouvements, les concepts – avec notre CEO Emmanuel Perrin, nous avons notamment passé en revue nos bases de mouvements et les fonctions que nous voulons encore explorer.

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Dans un environnement horloger très concurrentiel – sur le patrimoine comme sur le design ou l’innovation – quelles sont, selon vous, les motivations principales qui amènent le public à Panerai? Quels sont vos arguments-clés?

Alessandro Ficarelli: Je crois qu’il y a chez Panerai un ensemble de caractéristiques qui, mises bout à bout, sont uniques. On revient toujours à l’histoire, mais aussi à la manière dont le design incarne cette histoire. Porter une Panerai, c’est faire une sorte de déclaration – de robustesse, de présence, de confiance en soi. Il y a un sentiment d’«empowerment» que la montre transmet à celui ou celle qui la porte.

Nous avons une différenciation très claire sur le marché, car nous ne faisons pas de compromis. Si nous disons que nous ne ferons pas de modèles sortant de notre identité historique, nous nous y tenons. Cette cohérence finit par créer une segmentation très claire.

Notre assortiment s’articule autour de quatre collections, avec notamment la Submersible devenue collection à part entière en 2019, positionnée comme la montre de plongée pure, et les familles Luminor, Radiomir, Luminor Due… L’innovation s’exprime aussi à travers des concepts comme LAB ID™, où nous explorons des territoires technologiques très avancés, mais toujours en lien avec nos archives, avec l’Egiziano, la Mare Nostrum, et bien d’autres. Nous avons une richesse d’archives qui nous permet d’être innovants tout en restant nous-mêmes.

La bonne approche, pour nous, n’est pas de lancer une nouvelle collection tous les matins, ni de multiplier les formes qui ne seraient pas dans nos codes. C’est de travailler en profondeur nos boîtes existantes, nos cadrans, nos fonctions, nos expériences. Nous voulons une croissance durable, pas une croissance par le volume à tout prix. Panerai est une marque pensée pour durer, et c’est aussi ce que recherchent nos clients.

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