our la vénérable maison fondée en 1833, peut-être encore plus que pour d’autres marques horlogères, le défi est celui du renouvellement générationnel de la clientèle.
Et la réponse vient, une fois encore, du passé. Car aussi paradoxal que cela puisse paraître, les nouvelles générations sont particulièrement friandes de modèles sport-chic des années 1950 à 1970, sur lesquels avaient déjà fortement capitalisé des concurrents directs de la marque, qui n’avait pourtant rien à leur envier en matière de patrimoine.
La réponse de Jaeger-LeCoultre fut la relance de la Polaris, la première réalisation de Lionel Favre au sein de la marque: présentée en 2018, cette ligne de modèles s’inspire directement de la Memovox Polaris de 1968, une rare montre de plongée produite à seulement 1714 exemplaires à l’époque. Vintage et «abordable» par rapport au coeur de gamme de Jaeger- LeCoultre (dès 6’800 francs pour la version automatique), cette relance avait pour mission d’ouvrir un nouveau champ d’exploration pour la marque auprès des fameux «Millenials».
- Lionel Favre est Product Design Director de Jaeger-LeCoultre.
Jaeger-LeCoultre présente cette année un visage très assuré et séduisant, fruit du travail de «reconstruction» de ces dernières années, qui s’exprime notamment à travers une série Master Control à l’élégance évidente, et la poursuite de son exploration des grandes sonneries. Nous nous sommes entretenus avec Lionel Favre.
MASTER CONTROL Les nouveaux modèles arborent une esthétique épurée ainsi qu’un nouveau boîtier d’un diamètre de 40 mm. Lors de sa création en 1992, la collection Master Control était la première au sein de Jaeger-LeCoultre à bénéficier de la certification «1000 Hours Control», soit le test de l’ensemble de la montre terminée et emboitée et non pas seulement son mouvement (d’où le nom de la ligne). Plusieurs complications ont été lancées sur la Master Control, comme la Calendar, Geographic, Chronograph Calendar et Memovox. Un nouvel alliage d’or rose, Le Grand Rose gold®, est utilisé pour certains boîtiers de la ligne. |
Europa Star: Le point fort de cette année est la relance de la Master Control de 1992. Comment avez-vous procédé pour renouveler l’esprit de cette collection et l’adapter à 2020?
Lionel Favre: La Master Control date en effet de 1992, mais elle s’inspirait en réalité d’un modèle des années 1960. Nous ne sommes donc pas dans un design de rupture: l’idée est de composer subtilement, par exemple via les index en applique dont la forme triangulaire et allongée fait écho aux aiguilles Dauphines, ou la date qui saute de 90 degrés entre le 15ème et le 16ème jour du mois pour ne pas obstruer la Lune. C’est l’esprit de la marque: procéder par légers «affinements». Les proportions sont plus contemporaines, mais l’inspiration patrimoniale est dominante. Dans l’architecture de Jaeger-LeCoultre, ce modèle est aujourd’hui un «pont» entre la Polaris très sportive d’un côté et l’Ultra Thin plus formelle de l’autre – sur une gamme de prix située entre ces deux lignes.
«C’est l’esprit de la marque: procéder par légers «affinements». Les proportions sont plus contemporaines, mais l’inspiration patrimoniale est dominante.»
Justement, la vague du «néo-vintage» semble plus forte que jamais et même renforcée suite à la période de confinement…
En termes de design, entre 2000 et 2015, il y a eu un fort désir de montres plus extravagantes, aux diamètres parfois impressionnants. Mais l’horlogerie agit comme un mouvement de bascule: révolution et contre-révolution! L’industrie est peut-être allée un peu loin dans le XXL. Nous avons la chance de pouvoir compter sur un patrimoine solide, qui permet d’aboutir à une collection comme la Master Control, ainsi qu’un vaste assortiment de mouvements. Le calibre 899 équipant cette ligne existait déjà mais il a été fortement amélioré, affichant jusqu’à 70h de réserve de marche, muni d’un barillet redessiné et d’un échappement en silicium.
MASTER GRANDE TRADITION
GRANDE COMPLICATION Poursuivant son exploration des montres à sonnerie, Jaeger-LeCoultre présente une nouvelle édition de la Master Grande Tradition Grande Complication. Ce bijou d’ingénierie mécanique intègre une répétition minutes, une voute céleste et un tourbillon volant orbital. Il fait suite à deux modèles à répétition minutes créés l’an passé: la Master Grande Tradition Gyrotourbillon Westminster Perpétuel dotée du calibre Jaeger- LeCoultre 184, et la Master Grande Tradition Répétition Minutes Perpétuelle équipée du mouvement à remontage automatique 950. |
Le sommet mécanique de cette année est la Master Grande Tradition Grande Complication, qui poursuit votre exploration des montres à sonnerie. En tant que designer, comment pouvez-vous intervenir sur une pièce aussi technique?
Sans surprise, il faut une sacrée dose de collaboration. Notre maîtrise du mouvement permet d’avancer par un dialogue direct avec les horlogers à l’interne. Sur cette pièce, ce processus a notamment abouti à un cadran à la structure en 3D, car le défi principal, tant technique que design, est de créer du volume pour abriter les complications, tout en gardant une légèreté et une finesse qui rendent la montre portable. Nous avons utilisé la même architecture de boîte que pour les modèles de l’an passé avec des cornes rapportées aux angles larges – tout a été conçu pour diminuer l’épaisseur au regard. La force visuelle de ce cadran est qu’il «rentre» en profondeur. Ce modèle est un jeu esthétique entre complexité et lisibilité.
Comment organisez-vous la R&D?
Nous avons lancé il y a trois ans au Sentier un «Lab» informel réunissant spécialistes de la technique, du marketing et du design, autour de pré-études qui aboutissent… ou non. Nous alimentons cet espace de réflexion en continu.
REVERSO ONE Cette nouvelle itération sur l’emblème Art Déco de Jaeger- LeCoultre s’inspire de la première Reverso Lady de 1931, avec son boîtier allongé. «Ce modèle reprend la couleur lie-de-vin du modèle Tribute lancé l’an dernier. Grâce au cadran guilloché soleillé laqué, les tons passent du lie-devin au bordeaux ou au framboise en fonction de la lumière», souligne Lionel Favre. Une rangée de diamants sertis grains orne les godrons sur les parties supérieure et inférieure du boîtier. |
«La créativité se libère souvent après des crises. Dans quel sens? Seul notre inconscient le sait…»
La valeur des marques horlogères, y compris de leurs propositions contemporaines, est de plus en plus sous-tendue par leur cote sur le marché secondaire. Comment valorisezvous votre patrimoine sur ce marché?
Nous n’intervenons pas activement via une stratégie de rachats de pièces par exemple: en réalité, nous utilisons d’abord ce patrimoine à l’interne. C’est un outil quotidien pour nous! Grâce à lui, nous nous assurons de ne rien construire de «faux». Cette assise historique façonne aussi une solide culture horlogère, très inspirante au sein de la marque. Elle débouche sur de nombreux nouveaux modèles, comme par exemple la Master Control Memovox nouvelle génération, inspirée des toutes premières Memovox des années 1950, réinterprétées dans un style contemporain.
Selon vous, est-ce que cette crise inédite du coronavirus a le potentiel de faire évoluer les goûts des clients?
Cela peut effectivement transformer le regard sur l’horlogerie. En tant que designer, c’est un processus de changement qui ne sera certainement pas immédiat mais peut nous influencer de manière même inconsciente sur le long terme. N’oublions pas que le mouvement Art Déco a émergé d’une période très difficile! La créativité se libère souvent après des crises. Dans quel sens? Seul notre inconscient le sait…