Sous-traitance horlogère


LTM: œuvrer dans la finesse

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octobre 2023


LTM: œuvrer dans la finesse

Le Temps Manufactures, sise à Fleurier dans le Val-de-Travers (qui est en train de se tailler une réputation d’excellence pouvant rivaliser avec celle de la Vallée de Joux), a choisi une voie particulière mais essentielle: offrir non pas des «tracteurs» mais des calibres mécaniques d’excellence, de rares «petits mouvements mécaniques destinés à de Grandes Dames», aussi bien que des mouvements «calibrés» pour l’élégance masculine.

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our vivre heureux, vivons cachés – ou du moins dans la confidentialité. Voire «la plus grande confidentialité» quand il s’agit de donner, du bout des lèvres, la liste de la trentaine de marques pour lesquelles travaille LTM, soit Le Temps Manufactures. Mais de cette liste, pourtant prestigieuse et rassemblant grandes marques de groupes et indépendants de pointe, rien ne sortira de la confidentialité du bureau de Christophe Lüthi, le CEO de la manufacture sise à Fleurier et à Couvet dans le Val-de-Travers.

LTM a été fondée et est présidée par Sylvain Jacques, un «frontalier» d’origine comme on dit des travailleurs venus œuvrer en Suisse de la France toute proche, particulièrement nombreux dans l’industrie horlogère. Celui-ci a créé l’entreprise en 2008. Spécialisée à ses débuts dans la fabrication de seuls composants, LTM a grandi peu à peu, rachetant un bureau d’études en 2013 puis Centagora, active dans la construction mécanique de centres d’usinage, spécialisée en robotique.

En quelque 15 ans, la structure s’est ainsi muée en groupe LTM qui, outre la maison-mère (122 collaborateurs) et Centagora (11 collaborateurs), comprend aussi Décotech à La Chaux-de-Fonds (35 collaborateurs) – spécialiste, comme son nom l’indique, de la décoration de mouvements – et Relhdis SA (3 collaborateurs), spécialisée dans la galvanoplastie et les traitements de surface. Soit en tout une manufacture «intégrée à 90%», riche d’environ 160 collaborateurs.

Christophe Lüthi, le CEO, décrit les trois métiers du groupe: la fabrication de composants jusqu’à la décoration et au garnissage; la création et fabrication de mouvements en nom propre; et le private label haut de gamme qui peut aller du mouvement à la montre complète.

«Process industriel, savoir-faire artisanal»

L’équilibre de l’entreprise tient à cette alliance construite entre le soin le plus traditionnel, la volonté de se situer dans le haut de gamme, le savoir-faire artisanal de haut vol et les méthodes industrielles les plus avancées. Une compétence technique précieuse acquise notamment avec Centagora, pôle d’excellence en robotique.

Comme aime à le dire le fondateur Sylvain Jacques: «A ce jour, notre indépendance est moteur dans le sens où nous avons la liberté du choix de l’investissement. Sur ce plan, d’ailleurs, nous fonctionnons comme une fondation en réinvestissant en permanence dans les outils les plus performants du marché. Car le mouvement ne supporte pas l’erreur.»

A titre de démonstration de savoir-faire, le désormais rare mouvement baguette LTM 1000 à remontage manuel «compliqué à fabriquer, à assembler et à régler correspond parfaitement à notre outil et au niveau de compétence de notre maison», affirme Christophe Lüthi. Ce ravissant mouvement de forme baguette, d’une dimension d’encageage de 9,00 x 21,00 mm, d’une épaisseur de 3,50 mm et d’une autonomie de 38 heures, arbore une élégante architecture qui, dans cet espace réduit, va droit à l’essentiel avec ses 84 composants.

De gauche à droite et de haut en bas: Le LTM 5050 version squelette; le LTM 1000, mécanique, remontage manuel; le LTM 5150, remontage automatique; le LTM 2000, mécanique, remontage manuel; le LTM 5050, mécanique, remontage manuel.
De gauche à droite et de haut en bas: Le LTM 5050 version squelette; le LTM 1000, mécanique, remontage manuel; le LTM 5150, remontage automatique; le LTM 2000, mécanique, remontage manuel; le LTM 5050, mécanique, remontage manuel.

Par année, ce sont seulement quelques centaines de pièces qui peuvent être produites. D’où un prix relativement élevé, «quelque part entre 2’000 CHF et 3’000 CHF» nous avoue-t-on succinctement.

Dans le mouvement rond plus traditionnel, LTM propose une belle palette, destinée à s’agrandir encore, de mouvements performants, usinés avec science, très bien soignés, qui placent la manufacture, dans la hiérarchie des prix et de la qualité, à la hauteur de Vaucher Manufacture (voisines par ailleurs à Fleurier, et dont LTM occupe désormais les anciens bâtiments).

Un segment qui n’est plus entièrement couvert

«Nous avons retenu un segment prioritaire pour notre entreprise: les produits de petite dimension. Ce segment n’est aujourd’hui plus entièrement couvert et il y a de multiples raisons à cela: un volume moins important, une technicité d’assemblage nécessitant une main d’œuvre très qualifiée, une difficulté d’approvisionnement de certains éléments très spécifiques et la fragilité intrinsèque des composants de très faibles dimensions», déclarait Christophe Lüthi lors d’une conférence auprès de la Société Suisse de Chronométrie (SSC) en 2022. Autant de défis intéressants, motivants, contraignants à l’excellence.

A cette offre s’ajoute désormais un plus grand 13 1/4’’’, un mouvement de base «qui corresponde le plus possible à la taille de la montre masculine», offrant donc aux designers une esthétique élégante tout en étant de bonne dimension et proportion (notamment avec une lunette amincie).

Un mouvement conçu dès le départ pour recevoir nombre de complications possibles: GMT, Semainier, Grande Date... Autant de préludes, sous forme de modules additionnels déjà en étape de fiabilisation, d’une large famille de complications «en train de se créer».

«Nous sommes prêts, mais nous n’avons pas encore présenté cette nouvelle famille de calibres, explique Christophe Lüthi. Nous n’allons pas tarder à le faire, c’est notre objectif pour l’an prochain. L’idée est de pouvoir proposer un package complet à nos prestigieux partenaires du private label.»

«Ne pas oublier l’émotionnel»

Avec son double cursus en ingénierie et études de management, Christophe Lüthi a un parcours singulier qui semble parfaitement coïncider avec l’esprit et l’ambition de LTM. Après avoir démarré sa carrière chez Schaublin, le renommé fabricant de machines-outils, il a poursuivi son parcours par huit années «dans l’académique», en tant que professeur HES (Hautes Ecoles Spécialisées), et a rejoint l’horlogerie en 2006 en entrant chez Vaucher Manufacture, qu’il quittera en 2008 pour participer à la création de Centagora avant de passer chez LTM en 2014.

Pour un homme au parcours essentiellement technique, industriel et académique, il fait preuve par ailleurs d’un bel et sincère enthousiasme envers les aspects les moins quantifiables du produit horloger: ce qui, hors technique, s’en dégage. «Quand on se penche sur un projet, il faut parvenir à s’y identifier, ressentir le soin qu’on y apporte. Il ne s’agit pas d’oublier l’émotionnel, il est important que quelque chose vibre dans le produit, qu’on le vive. Il faut aussi motiver toutes les équipes, c’est notre fierté commune que nous mettons sur l’établi.»

Forces et compétences

Les équipes? La force de LTM couvre l’ensemble des compétences, de la feuille blanche et de l’écran à la terminaison la plus pointue, en passant par toutes les étapes de la fabrication.

Au sein du département Recherche & Développement œuvrent quatre constructeurs, deux dessinateurs et deux chefs de projet dont les compétences vont de la recherche d’idées aux études de faisabilité, en passant par le conception 3D, la réalisation des plans, l’analyse des risques, voire le dépôt éventuel de brevets et la réalisation de vidéos de présentation.

Le laboratoire horloger s’applique à analyser, monter, mettre au point et fiabiliser les pièces d’exception. Doté des outils de tests les plus performants, il dispose aussi de machines mises au point par sa filière Centagora, notamment dans l’étude des frictions et les appareils de mesure et de vieillissement.

Avec sept machines de décolletage à commande numérique et un tour CNC, LTM est capable d’usiner les principales matières utilisées en horlogerie et d’en assurer les étapes successives de la production: décolletage, taillage, roulage, trempe, polissage et assemblage. Outre les pierres, seuls les organes réglants, proviennent de l’extérieur: Precision Engineering (Moser) et Atokalpa (Vaucher).

Au rayon Ébauches, LTM dispose de 41 centres d’usinage en bande robotisés 5, 6 et 7 axes, de cinq machines d’érosion à fil, trois de mise en épaisseur, d’une presse de 60 tonnes... Un outil «majeur qui nous offre une grande flexibilité et une rapidité d’exécution», nous explique-t-on.

Un «problème de riche»

Au service de la sous-traitance, LTM offre un large panel de compétences qui vont de l’empierrage à la terminaison, en passant aussi par les micro-assemblages de précision. Pré-assemblage, garnissage, empierrage, diamantage, perlage, colimaçonnage, côtes de Genève, cerclage, anglage main, satinage, étirage, pose de vernis... Un étalage de compétences qui autorise LTM à chercher avant tout à nouer des partenariats à long terme avec les marques les plus reconnues.

Christophe Lüthi admet avoir «un problème de riche». Les carnets de commande de LTM sont pleins jusqu’à fin 2024. Mais de partout, les délais s’allongent, on peut compter jusqu’à 10 mois pour le décolletage, 8 mois pour les pierres... Ce ne sont que quelques exemples d’un étranglement de la production qui touche l’ensemble de la branche. «Un problème de riche», non sans raison. Objectif actuel: 10’000 mouvements par année. Lot moyen: 100 pièces. Prix sur demande!

Pour en savoir plus sur LTM, nous avons consacré un article à leur travail sur l’ingénieux Dual Time Differential Calibre LTM 5021 pour Pecqueur Motorists. L’Atelier d’Etablissage Pecqueur Motorists a été intégré à la manufacture LTM.