fficiellement, Jean-Marc Wiederrecht, fondateur d’Agenhor avec sa femme Catherine, n’est plus que «consultant» de l’entreprise désormais gérée par ses deux fils Laurent et Nicolas. Mais l’esprit horloger si particulier et unique en son genre qu’il y a insufflé continue d’inspirer et de guider l’entreprise familiale sise à Meyrin, dans la banlieue de Genève.

En quoi consiste-t-il, cet «esprit» horloger spécifique à Agenhor? Comme Europa Star le relevait en 1995, il y a donc bientôt 30 ans déjà, «les calibres et les mécanismes d’Agenhor sont remarquables par leur très grand esthétisme fonctionnel. Cet esthétisme n’est en rien la poursuite de l’art pour l’art, bien au contraire: la beauté du dessin et de l’architecture mécanique provient d’un souci permanent de simplification technique et mécanique. Et la pureté des lignes, des formes, l’évidence des solutions techniques, l’inventivité dont ils témoignent font des mécanismes d’Agenhor des produits aussi novateurs que fiables (pas un seul retour ces trois dernières années).»

Fabergé, Lady Compliquée Un exemple parmi d’autres de la virtuosité poétique de la fonction rétrograde selon Agenhor. L’heure se lit à la hauteur de la couronne de remontage sur une bague qui tourne en sens anti-horaire, tandis que les minutes sont indiquées par les plumes du paon qui se déploient jusqu’à la minute 60 avant de se replier instantanément en rétrogradant. Extrait Europa Star 5/2017

A ce constat, dont nous ne retirerions aujourd’hui pas un mot, s’ajoute une rare dimension supplémentaire: la grande poésie des inventions et des solutions mécaniques proposées par Agenhor, poésie dont les exemples les plus frappants, parmi bien d’autres, sont les pièces si particulières réalisées pour Van Cleef & Arpels, avec le Quantième Perpétuel des Saisons, ou pour Hermès, avec Le Temps Suspendu. 

Le rétrograde à la racine

«A la racine, il y a le rétrograde et le quantième perpétuel», consent bien volontiers Nicolas Wiederrecht. Dès 1983, Jean-Marc Wiederrecht et Roger Dubuis se sont attelés à créer le mouvement quantième perpétuel le plus simple qui soit, mince, élégant et performant. De là, en quelque dix ans, ils ont multiplié les innovations et brevets, proposant des modules mécaniques répondant à ce même idéal: quantième perpétuel de forme allongée le plus plat au monde (0,98 mm d’épaisseur), quantième perpétuel à deux secteurs, équation du temps, double fuseau horaire adaptable au quantième perpétuel, quantième perpétuel adapté sur chronographe…

Les fonctions rétrogrades sont naturellement devenues un des terrains de jeu privilégiés d’Agenhor. «J’étais pris d’une irrésistible envie de faire évoluer le quantième perpétuel. Je voulais quitter la lecture ronde du cycle. (…) Je voulais séparer la partie perpétuelle de la lecture de l’heure», expliquait récemment Jean-Marc Wiederrecht à notre excellent confrère Stéphane Gachet de Watch Around.

Pour y parvenir, un brevet essentiel est déposé en 1986 afin d’éviter, grâce à un spiral posé sur le mobile de l’aiguille, le problème de choc et de décalage au retour fulgurant de l’aiguille rétrograde. De là naît la réputation de «pape du rétrograde» d’Agenhor. Une invention que Jean-Marc Wiederrecht qualifie de première «brique de Lego» et qui va permettre les plus belles et audacieuses créations rétrogrades de l’horlogerie contemporaine.

L’AgenGraphe®

Mais l’aventure créative d’Agenhor ne s’arrête pas à la seule maîtrise hors norme du quantième perpétuel et des fonctions rétrogrades. Une des créations majeures de l’entreprise est l’AgenGraphe® dont la réalisation a pris dix ans.

Qu’est-ce que l’AgenGraphe®? Il s’agit d’un calibre de chronographe réellement révolutionnaire qui permet la lecture des temps courts par affichage central, d’une précision «hors du commun» avec un saut instantané de la minute – contrairement aux chronographes traditionnels dont le «saut» commence habituellement autour des 58 secondes.

L’AgenGraphe® est constitué de plusieurs modules, tous brevetés: l’AgenClutch® qui combine embrayage horizontal et embrayage vertical (consommation minimale et précision maximale); le Cœur AgenGraphe® qui permet d’afficher aiguilles des heures, minutes et secondes au centre, pour une lisibilité optimale; l’AgenPit® qui, en permettant d’ajuster la longueur du ressort spiral, «élimine les complexités de l’ajustement de la masse du balancier», et l’AgenPal®, un module indépendant, placé côté cadran, qui comporte un dispositif de réduction de force et une masse oscillante sans roulement à billes mais équipée d’un étonnant «papier lisse». Révolutionnaire, disions-nous.

Ce calibre AgenGraphe® équipe notamment Singer Reimagined, le modèle Streamliner Flyback Automatic Chronograph de H. Moser & Cie mais aussi Fabergé ou encore Ming.

Changements stratégiques

La création de l’AgenGraphe®, un calibre complet, contrairement aux modules rétrogrades, a été imaginée par Agenhor comme une avancée stratégique de l’entreprise. Mais son développement a été long, complexe et nécessitant de lourds investissements. Nicolas Wiederrecht qui, à la même époque, reprend les rênes de l’entreprise avec son frère Laurent, nous l’avoue sans ambages: «Nous sommes passés par des moments difficiles. Nos volumes de production ont diminué, nous avons dû faire appel à des aides extérieures, pas toujours bien judicieuses, avons été contraints de vendre notre propre bâtiment et de nous y replier sur un seul étage… Mais nous sommes parvenus à créer une nouvelle dynamique de start-up en partageant nos locaux avec des indépendants: gravure, design, assemblage. Une vraie ruche vibrante d’activités. Et nous sommes repartis de l’avant, une reprise très forte à tel point que nos carnets de commande sont désormais pleins pour plusieurs années. Et de 15 collaborateurs en 2020 nous sommes remontés à 23 personnes.»

En mars 2023, le groupe MELB Luxe, propriétaire de H. Moser & Cie et Hautlence, se rapproche d’Agenhor avec qui existait déjà une forte collaboration, et prend une participation minoritaire dans l’entreprise. Un soutien stratégique bienvenu qui laisse par ailleurs toute son indépendance et son ouverture à Agenhor et lui permet de continuer à approvisionner ses clients traditionnels, dont notamment Hermès et désormais Parmigiani Fleurier.

H. Moser & Cie apporte aussi à Agenhor son expertise dans le tourbillon et ouvre une collaboration fructueuse dans le cadre de la relance actuelle de Hautlence. «En cinq mois nous avons mis au point pour Hautlence une heure sautante, un rétrograde linéaire et sommes à présent en train de travailler sur un mouvement tourbillon», se réjouit Nicolas Wiederrecht.

Collaboration avec Parmigiani Fleurier

«L’arrivée de Guido Terreni à la tête de Parmigiani a aussi fait toute la différence, poursuit-il. Nous avons déjà conçu pour la marque un quantième duodécimal sur calendrier chinois et perpétuel sur calendrier hijri.»

Le calendrier hijri (ou musulman) est basé sur l’année lunaire, dont la durée moyenne est de 354,36 jours, donc 10,88 jours de moins que l’année solaire. Il se compose ainsi de 12 mois en alternance de 30 et 29 jours. En lieu et place des années bissextiles du calendrier grégorien, qui interviennent tous les quatre ans, le calendrier hégirien connaît un cycle de 30 années dites abondantes (les années 2, 5, 7, 10, 13, 16, 18, 21, 24, 26 et 29) dont le mois final de 29 jours est prolongé à 30 jours. Elles comptent 355 jours tandis que les années normales comptent 356 jours.

Le calibre AGH-511 Calendrier perpétuel Hégirien réalisé pour Parmigiani Fleurier (Crédit The Naked Watchmaker).

Il faut 2’525 années lunaires pour constater une erreur d’un jour lunaire par rapport à l’âge réel de la Lune: cette petite parenthèse pour se rendre compte de la complexité des calculs nécessaires pour réaliser une montre-bracelet à quantième perpétuel hégirien qui puisse prendre en compte ce cycle de 30 ans sans nécessiter de correction.

Autre récente aventure notable: le projet Lyrique Etude N0 1, présenté lors du dernier GPHG. Lyrique Timepieces a la particularité d’avoir été fondée par 51 passionnés d’horlogerie issus de 16 pays et des cinq continents. A la réalisation de la première pièce ont contribué Agenhor pour le mouvement, Voutilainen & Cattin'>Cattin pour le boîtier, Metalem pour le cadran, Fiedler pour les aiguilles, ainsi que Boucledor et les bracelets Protexo. Agenhor y a contribué avec un nouveau mouvement, l’AGH-6801 qui, à la suite des recherches menées sur l’Agengraphe, inclut l’engrenage AgenEse pour éliminer les petites interférences dans les rouages et le détendeur AgenPit, qui ajuste la variation de marche.

L’AGH-6801, magnifiquement terminé. Une petite fenêtre dans la plaque de base affiche la seconde roue AgenEse. Les dents élastiques en forme de ressort empêchent le glissement des engrenages, assurant une transmission homogène de la puissance du ressort de barillet à la trotteuse excentrique. L’AgenPit permet des ajustements fins du spiral en faisant tourner un organe de réglage pour ajuster la longueur effective du spiral. 

«Nous ne ferons jamais notre propre marque»

Agenhor n’est pas une «manufacture» au sens propre du terme. «Nous ne fabriquons rien, explique Nicolas Wiederrecht, nous collaborons étroitement avec les meilleurs spécialistes dans chaque domaine. Par contre nous exécutons toute la conception, la construction et toutes les finitions et l’assemblage chez nous. Et nous disposons de nombre de moyens d’analyse et de contrôle pour la mise au point et la fiabilisation. Essentiellement, nous sommes des créateurs, des développeurs, nous ne faisons que du sur-mesure et pas de prêt-à-porter.»

Pas de production de masse, donc. La complexité des modules et des calibres d’Agenhor, leur haut degré de finition les destine à une production en petites quantités. Ce qui passionne ouvertement les frères Wiederrecht est «l’échange avec les clients. Nous nous retrouvons au croisement des idées et des influx de toutes sortes de marques différentes. Nous sommes animés par une forme de «folie» de la création. Et, point important, nous ne brouillons pas les pistes et nous ne ferons jamais notre propre marque.»