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PRIX DES MONTRES

«JE VOULAIS VENDRE DES MONTRES, PAS DES PRIX»

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PRIX DES MONTRES
«J’

ai ouvert en 2001 au bon endroit, au bon moment. J’étais étonné par la facilité avec laquelle je vendais des montres chères. Le prix était secondaire. On ne demandait le prix qu’à la fin. On ne réclamait pas de discount mais on voulait la montre coûte que coûte. Puis la conjoncture et la manière d’acheter ont progressivement changé. La courbe s’est inversée: on demandait le prix en premier, puis on a commencé à demander des rabais. Jusqu’en 2008, on achetait des montres, pas des prix. Je vendais des Richard Mille ou des Greubel Forsey à plein prix catalogue. Aujourd’hui, si l’on offre 10% sur une même montre, on se fait rire au nez.

Quand je vendais par exemple une Eberhard à un étudiant, il se saignait pour l’acheter donc je passais autant de temps avec lui qu’avec un collectionneur pointu de Greubel Forsey. Mais au fur et à mesure, je passais de moins en moins de temps pour vendre des montres compliquées. Un coup de téléphone, vous avez ça en stock? Je passe tout à l’heure, 5 minutes dans la boutique, un gros chèque et c’est fini. Il est vrai que les clients étaient de mieux en mieux informés, par les blogs, notamment.

“Est-ce un bon investissement?”

La courbe s’est inversée à partir de 2007: on a commencé à me demander si une Richard Mille était un investissement. Au final, une personne sur deux me demandait si c’était un investissement. Il n’y avait plus l’impulsivité des collectionneurs ou des banquiers qui voulaient se faire plaisir. Pour eux, le mot «dépenser» n’existait même pas.

Aujourd’hui, les gens – enfin, certains d’entre eux - sont plus riches, mais c’est la manière d’acheter et la manière de dépenser qui ont changé. Il faut aussi dire que des marques ont abusé sur les prix et certains clients ont été dupés par de fausses promesses ou de fausses valeurs. Je demandais à de nouvelles marques, pas connues et sans complications: mais pourquoi voulez-vous faire des montres aussi chères? Ils ne savaient pas me répondre. Mais en même temps, ce n’est pas la seule faute des marques. S’il y a des programmes débiles à la TV, c’est que les gens les regardent.

Moi, je voulais vendre des montres, pas des noms ou des prix. Mais j’étais un des rares détaillants à le faire! Entre 2001 et 2007, je faisais une moyenne de 40% de marge. Ma marge moyenne la plus basse était de 35%. La majorité des marques donnaient 50%. Trop de magasins de montres ont voulu vendre à tout prix ou se débarrasser des stocks pour faire du chiffre, les marques s’en sont rendu compte: «Puisque vous vendez moins cher, on baisse vos marges. Vous prenez en charge le discount.» C’est à cause d’eux, qui vendaient des prix et non des montres, que les marges ont été baissées. Trop de vendeurs ont fait des discounts. Je faisais appeler des amis pour tester les magasins et c’était incroyable de voir le nombre de vendeurs qui faisaient 20% de discount sans même rencontrer le client. Les marques s’en sont rendues compte. Les détaillants se sont tirés une balle dans le pied. Moi, j’en ai raté des ventes car je refusais de faire plus de 10% de discount. Mais on n’était pas nombreux à résister. J’avais une approche plus puriste que commerciale. J’ai anticipé cette tendance et j’ai arrêté le métier de détaillant: je voyais d’une part la tendance au discount et d’autre part qu’on avait de moins en moins besoin de mes explications et de mon expertise. Ou alors on venait me voir pour mes explications et ensuite on allait acheter la montre à Singapour.»


illustration: Fabian Oefner http://www.fabianoefner.com