horlogerie contemporaine est-elle une industrie, un artisanat ou un art? Toutes les frontières se brouillent alors que des pièces produites pourtant en volumes sont désormais considérées comme des œuvres d’art. Depuis la renaissance de l’horlogerie mécanique et à quelques notables exceptions, l’horlogerie la plus haut de gamme a cherché à se défaire de ses oripeaux «industriels», mettant en avant le «fait main», jusqu’à une indigestion du terme «manufacture».
Le parti semble gagné, puisqu’une certaine horlogerie est désormais perçue au même titre qu’un tableau, une sculpture ou une installation – soit le moyen d’expression d’un artiste-horloger. De leur côté, certains artisans indépendants qui ont conservé des modes de travail ancestraux et luttent pour la préservation des savoir-faire (combien d’ateliers «Renaissance d’une montre» voit-on apparaître!) sont de plus en plus prisés des collectionneurs.
A mesure que les quantités de montres exportées des vallées suisses, japonaises ou saxonnes diminuent – et que le prix moyen augmente, la notion d’«industrie» semble se déliter. Car l’industrie évoque spontanément, dans l’imaginaire collectif, le volume, la masse, le standard – bref, l’inverse du luxe. Et pourtant, l’industrie, c’est peut-être avant tout un écosystème dense, technique, innovant, associé à un fort esprit de corps autour de la qualité de la production.
Comme le souligne l’un de nos interlocuteurs dans notre nouveau numéro, «sans qualité constante, impossible d’industrialiser». C’est là aussi l’un des paradoxes de notre – oserai-je encore le dire – industrie, qui navigue entre volumes et valeur. L’automatisation est certainement plus fiable que la main de l’homme, mais celle-ci est plus émouvante dans son imperfection.
La colonne vertébrale de l’horlogerie contemporaine reste industrielle, comme le montrent les nombreux exemples de ce numéro, de l’émergence du silicium à la maîtrise du saphir. En parallèle, des artisans innovent et des artistes créent des œuvres inédites. Mais privée de cette colonne vertébrale, l’horlogerie avancerait sans direction. Alors, réhabilitons la noblesse de ce mot – «industriel»!