time-business


Face au désespoir

ÉDITORIAL

English
mars 2022


Face au désespoir

Le temps semble se répéter. Deux décennies dans le 21ème siècle et nous voici retombés dans les moments les plus inquiétants du siècle précédent.

S

ortant tout juste d’une pandémie qui a mis le quotidien en suspens durant deux ans, le monde est retombé dans son travers le plus commun: le conflit. On aurait pu espérer que les leçons d’un monde solidaire autour d’un ennemi commun prévalent. Cet espoir aura été douché en quelques semaines à peine. Partout les fronts se tendent. Comme si les énergies destructrices contenues par la pandémie s’étaient soudainement libérées. Peut-être que cette parenthèse de deux ans, que l’on pensait elle-même sans précédent, n’aura été que le calme avant une tempête bien plus enragée.

Ce monde est inquiétant. Et l’on ne peut bien sûr que relativiser notre propre importance individuelle, et celle de notre industrie, dans ce contexte. Les efforts de solidarité pour les victimes de conflits sont admirables, de même que la lutte pour la démocratie. Mais l’on ne peut s’empêcher de ressentir un profond sentiment d’impuissance et de désespoir face aux fractures rouvertes, aux plaies béantes d’un monde qui s’inflige des fléaux allant des menaces nucléaires au péril climatique.

L’horlogerie trouve sa propre grandeur dans la mesure du temps, dans le décompte d’une course vers sa propre finitude que l’on sait perdue d’avance, mais que l’on rend la plus belle possible. Or, le temps semble se répéter. Deux décennies dans le 21ème siècle et nous voici retombés dans les moments les plus inquiétants du siècle précédent.

L’horlogerie devra – et doit déjà – compter avec des nouvelles générations qui baignent dans cet univers paradoxal: dans la plupart des cas dénué de conflit proche ou de danger immédiat mais saturé d’inquiétudes quotidiennes quant à l’avenir même de ce monde.

L’industrie horlogère fleurit elle-même sur l’effacement des frontières. Les professionnels de l’horlogerie ont toujours dû faire face aux aléas géopolitiques et économiques. Nos propres archives regorgent de ces moments de crise dans lesquelles l’industrie s’interroge sur son avenir. Mais la nature des défis actuels – pandémie, menace nucléaire, catastrophes climatiques – donne un goût particulièrement amer à notre époque. Nous sommes comme «étourdis» face à une mauvaise cuite, un mauvais rêve.

L’horlogerie devra – et doit déjà – compter avec des nouvelles générations qui baignent dans cet univers paradoxal: dans la plupart des cas dénué de conflit proche ou de danger immédiat mais saturé d’inquiétudes quotidiennes quant à l’avenir même de ce monde. C’est peut-être pour cela qu’ils se réfugient de plus en plus dans une forme de nostalgie. L’horlogerie devra elle aussi trouver les moyens de réenchanter ce désespoir quotidien, intangible, sourd comme un bruit de fond. Un désespoir qui touche aussi les plus nantis, car même dans le privilège, la jouissance pure n’est plus la solution face à un mal plus profond, plus existentiel. Donner du sens et de l’espoir: ce sera sans doute le plus bel héritage que nous pourrons léguer aux générations futures.

Image: Henri Rousseau, La Guerre, 1894

VOTRE NEWSLETTER HEBDOMADAIRE