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Fondation Michelangelo: au service des artisans

ARTISANAT

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janvier 2023


Fondation Michelangelo: au service des artisans

La Michelangelo Foundation, sise à Genève, accomplit un travail remarquable pour la promotion et la sauvegarde des artisanats d’exception à travers toute l’Europe et progressivement à travers le monde entier. En initiant de nouvelles collaborations, elle offre aux artisans d’art, souvent isolés, une nouvelle visibilité et une pertinence renouvelée. Une leçon pour l’horlogerie?

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ans les cercles horlogers, tout le monde connaît Franco Cologni qui fut longtemps la haute éminence grise du groupe Richemont, qui pilota le SIHH de Genève et créa la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH). Ce que l’on connaît moins, c’est son intense activité de promotion des métiers d’art, avec la fondation de la Creative Academy de Richemont à Milan, qui accueille depuis 2003 les étudiants en Master of Arts in Design, et de la Fondazione Cologni dei Mestieri d’Arte (1995, Milan), une institution pionnière, à but non lucratif, qui existe depuis plus de 25 ans déjà.

Avec sa Fondazione dei Mestieri d’Arte, Franco Cologni propose une définition très large des métiers d’art qui concernent en fait nombre d’activités humaines, de «métiers» dans lesquels «l’intelligence de la main» fait toute la différence entre le banal et l’exceptionnel. Fort de cette expérience, à la fois éditoriale, pédagogique (la Fondazione organise nombre de stages auprès de Maîtres artisans ou d‘entreprises) et académique, mais qui concerne essentiellement le territoire italien, Franco Cologni convainc Johann Rupert d’appliquer la même méthodologie à une échelle bien plus vaste, globale.

C’est cette impulsion qui va donner naissance à la Michelangelo Foundation for Creativity and Craftsmanship, toujours à but non lucratif, créée en 2016.

Un réseau d’excellence en constante expansion

Aujourd’hui, la Michelangelo Foundation rassemble près de 3’000 artisans d’art en provenance plus de 40 pays. Et c’est loin d’être fini puisque, après l’Europe, s’ouvrent progressivement les terres riches en artisans d’exception que sont le Japon, la Corée, Singapour. Ailleurs, la Colombie est déjà en pleine exploration, prélude à l’expansion dans d’autres territoires de l’Amérique du sud. L’Afrique aussi est au programme. Le monde est vaste et partout subsistent de fabuleux métiers d’art, des artisanats d’exception, des savoir-faire rares dont une large partie est menacée de disparition, faute de transmission, de coupure générationnelle, de triomphe d’une marchandise abordable uniformisée, mondialisée.

Mais avant d’en dire plus, encore faut-il savoir ce qu’est un «métier d’art», qui est «l’artisan d’art» qui se cache derrière le produit, et pourquoi, pour qui, dans quel contexte exerce-t-il son artisanat?

Le travail de la Michelangelo Foundation a commencé par là: définir les critères objectifs qui font d’un artisan un artisan d’excellence. Publié pour la première fois en italien en 2014, le copieux ouvrage Il valore del mestiere. Elementi per una valutazione dell’eccellenza artigiana (en anglais, The Master’s Touch) d’Alberto Cavalli a jeté les «bases objectives» de cette définition. Il en résulte 11 critères de base: l’Authenticité; la Compétence; le Savoir-Faire; la Créativité; l’Innovation; l’Interprétation; l’Originalité; le Talent; le Territoire; la Tradition et la Transmission.

Fondation Michelangelo: au service des artisans

Les «chasseurs d’artisans»

Basé à Milan, Alberto Cavalli est désormais directeur de la Fondazione Cologni dei Mestieri d’Arte et directeur exécutif de la Michelangelo Foundation basée à Genève. Il en partage la direction avec Corinne Paget-Blanc, directrice adjointe, qui a longtemps œuvré auprès de Jaeger-LeCoultre, et qui désormais supervise notamment toute la communication. Et celle-ci, dans tous les sens du terme, est l’outil essentiel qui a permis et permet de tisser graduellement l’immense réseau des excellences artisanales du monde.

«Pour y parvenir, nous explique Corinne Paget-Blanc, nous nous appuyons partout sur des partenaires, institutions, écoles, musées, qui ont une connaissance fine du terrain et qui partagent notre vision. En fonction de la nature de ce terrain, des territoires, de leurs spécificités culturelles et sociales, nous adaptons nos critères. Sur cette base, il s’agit ensuite de sourcer les artisans.» Un nouveau métier est ainsi né pour cette recherche: «chasseur d’artisans».

«Oui, c’est exact, poursuit Corinne Paget-Blanc, nous employons souvent des journalistes locaux, entre autres, qui peuvent nous guider, nous conseiller. Il y aussi les problèmes de langue, de bonne compréhension. Ces intermédiaires aident aussi les artisans dans les éventuelles démarches qu’ils devraient entreprendre, ou à mieux communiquer la valeur de leur travail. Nous ne demandons rien aux artisans. Nous ne sommes là que pour les aider à mieux mettre en valeur leur travail, à constituer des réseaux, à préserver leurs savoir-faire, aussi, et à le transmettre. Et je dois avouer que nous regorgeons de belles histoires, de rencontres étonnantes, de découvertes enthousiasmantes, et toujours avec une émotion partagée. Par exemple, nous avons travaillé avec la Fabrique Nomade de Paris, qui œuvre à valoriser et favoriser l’insertion professionnelle des artisans d’art migrants et réfugiés. Les aider à renouer avec leur artisanat, c’est leur redonner une part essentielle de leur dignité.»

Collaborations et transmission au cœur de l’action

Tous les artisans sélectionnés sont réunis sur une plateforme commune qui est la plaque tournante des actions entreprises par la Fondation. Celles-ci comportent plusieurs volets mais qui tous tendent vers les mêmes buts: protéger, promouvoir et assurer leur pérennité; contribuer à rendre leur artisanat traditionnel plus pertinent par rapport au monde moderne, y injecter de la créativité; être à la source de collaborations croisées entre artisans et designers, artistes, créateurs et créatrices, institutions, maisons, pour leur offrir une visibilité plus large; partager plus largement la valeur de l’artisanat, y attirer les nouvelles générations.

Sur ce dernier point, essentiel, de la transmission aux nouvelles générations, la Fondation dispose d’un large volet éducatif. Elle a notamment mis sur pied un programme de Summer Schools s’adressant aux écoles d’art, de design et écoles professionnelles. De jeunes designers et artistes travaillent ainsi côte à côte avec des artisans d’art traditionnels, s’initient à leurs techniques tout en y insufflant une nouvelle créativité. Une forme de fertilisation croisée.

«Un des problèmes récurrents de bien des artisans qui veulent transmettre leur savoir-faire est leur difficulté à rétribuer correctement les apprentis qui s’y intéressent précise encore Corinne Paget-Blanc. A cet effet, nous avons mis sur pied un programme d’aide au financement de ces apprentissages. Et dès 2024, nous lancerons aussi un programme pédagogique complémentaire à l’intention de ces apprentis de façon à les aider à devenir indépendants à leur tour, sous la forme d’un mini Master de professionnalisation destiné à leur fournir des compétences en comptabilité, en administration, en communication...»

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L’événement Homo Faber

Mais la partie émergée la plus visible de l’iceberg est la grande manifestation Homo Faber que la Fondation organise tous les deux ans à Venise, sur l’Ile de San Giorgio, en concomitance avec la célèbre Biennale Arte, une des plus importantes manifestations artistiques au monde. La deuxième édition a eu lieu au mois de mai 2022 et a attiré sur ses vingt jours 55’000 visiteurs pour venir admirer et partager le travail de 400 artisans (la prochaine édition aura lieu au printemps 2024), à travers 16 expositions différentes, organisées avec 16 curateurs différents.

«On a vu tout le monde défiler, créateurs, marques, artistes, influenceurs, détaille Corinne Paget-Blanc qui se retient tout juste de faire du name-dropping. Le lieu est magique, une île en face de San Marco, et il est propice aux rencontres, riche d’inspiration, incitatif aux collaborations.»

Procédant de la même volonté de fertilisation de l’artisanat d’excellence, la Michelangelo Foundation est aussi présente chaque année au Salon du Meuble de Milan, dans la section Fuori Salone, où, à l’intérieur d’un palais, elle présente une exposition emblématique, dénommée, Doppia Firma, ou Double Signature qui, comme son nom l’indique, présente les créations croisées d’artisans d’excellence et de créateurs ou designers. De véritables co-créations qui insufflent une nouvelle vivacité à des artisanats largement traditionnels, enracinés et parfois confinés dans de territoires spécifiques, fragilement transmis au fil de générations.

Enfin, envers le public au sens encore plus large du terme, l’application Homo Faber Guide recense, liste, présente et géolocalise tous les artisans d’excellence qui font partie de son vaste réseau (pour l’instant près de 3’000 mais pas une semaine sans que de nouveaux noms fassent leur apparition). Région par région, ville par ville, chacun peut désormais composer son propre itinéraire à la recherche et à la rencontre des artisans qui participent aux programmes de la Michelangelo Foundation. Chacun, chacune dispose d’une fiche de présentation largement documentée et illustrée. On peut y naviguer par lieux, mais aussi par type d’activités, rechercher par exemple les meilleurs forgerons d’Angleterre ou les tisseuses d’Espagne, pour donner deux exemples parmi mille.

Une leçon pour le monde horloger?

Contrairement à de nombreuses autres pratiques, plus marginales, l’horlogerie est à la fois un artisanat d’excellence et une industrie mondialisée. Elle jouit donc, de par son économie et aussi son prestige social, d’une exposition médiatique bien supérieure. Mais à l’intérieur de cette industrie, on observe depuis quelques années déjà la montée régulière de la part dévolue aux métiers d’art. Une pratique qui requiert donc bien souvent la contribution d’artisans d’excellence. Pour la plupart ce sont aussi de farouches indépendants et qui entendent le rester.

Toujours grâce à l’engouement qui s’est formé autour de l’horlogerie mécanique et artisanale, des métiers dont on craignait – et craint toujours – qu’ils puissent disparaître sont en train de renaître à leur façon. L’artisanat horloger attire, et toute une nouvelle génération est en train d’émerger, jeunes garçons et filles, horlogers, graveurs, émailleurs, guillocheurs ou guillocheuses... Une génération qui manie aussi bien l’ordinateur, la 3D, les réseaux, que le burin, la loupe ou le four.

Autre qualité: cette génération est rompue aux échanges, est avide de transmission et de croisements. Il en résulte bien souvent des objets qui contiennent un supplément d’âme. Et c’est là la véritable qualité qui fait l’excellence. L’action de la Michelangelo Foundation est à ce titre exemplaire. Elle permet de coudre un dense tissu, dresser une cartographie vivante des artisanats d’excellence, de les exposer, de les relier, créant ainsi de nouvelles opportunités et de nouvelles vocations. Les grandes marques horlogères ne s’y sont pas trompées qui toutes ont défilé en bon ordre dans les couloirs vénitiens d’Homo Faber. Pour y voir des idées, y nouer des contacts et en prendre la leçon.

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