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CLASSE MOYENNE

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CLASSE MOYENNE

3 CEO S’EXPRIMENT: ALAIN ZIMMERMANN, CEO BAUME & MERCIER; ALAIN SPINEDI, CEO LOUIS ERARD; ROLF STUDER, CO-CEO ORIS.

L’ exemple Baume & Mercier

Alors que les années précédentes nombreux étaient ceux qui regardaient un peu de haut Baume & Mercier, comme si, avec ses prix «raisonnables», c’était un peu le «vilain petit canard» venu batifoler dans les eaux du luxe, cette année, au SIHH, la marque «moyen de gamme» de Richemont aura attiré tous les regards. En présentant une offre parfaitement équilibrée, offerte à des prix «justes» et bien pensée pour affronter les eaux troubles de 2017, Baume & Mercier aura montré l’exemple.

Alain Zimmermann, CEO

Qu’est-ce que le moyen de gamme?

«Je n’aime pas du tout ce terme de moyen de gamme. Si j’étais un client, je ne voudrais pas être considéré comme de moyen de gamme. Je préfère parler de luxe accessible. C’est plus noble à expliquer: il y a cette notion d’offre accessible; il y a aussi l’évocation d’une initiation, qui est un point de départ. Lorsqu’une personne vient dépenser 1’000.- CHF ou 2’000.- CHF, cela peut représenter une grosse somme pour elle. Ce n’est pas un acte moyen.»

Adapter les prix?

«Cette définition du luxe accessible vaut pour tous les marchés. Mais selon les monnaies, il y a des seuils psychologiques à respecter. Aujourd’hui, le franc, le dollar et l’euro sont très proches. Dépasser 1000.- CHF par exemple, c’est dépasser un palier au-delà duquel le taux d’engagement n’est plus le même. Surtout s’il s’agit d’un cadeau. Nous avons toujours eu à cœur de maintenir des prix raisonnables. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas augmenté nos prix depuis sept ans et que nous n’avons aucune aspiration à les élever. Cette stratégie nous a permis d’attirer une clientèle plus jeune, qui souhaite accéder à la belle horlogerie. Je n’ai donc pas besoin d’en changer! Je me retrouve naturellement au milieu du débat et cela nous ouvre de vraies opportunités.»

«Ceci dit, on ne peut évidemment pas ignorer le contexte. Mais les questions que nous nous posons tournent toujours autour des critères de qualité: nous ne faisons pas de compromis opportunistes à courts termes. Mais il y a d’autres solutions: le quartz par exemple. La nouvelle My Classima est une parfaite alternative aux budgets plus serrés, sans faire aucune concession. Elle a été pré-lancée aux Etats-Unis et les résultats sont très encourageants!» Moyen de gamme = classe moyenne?

«Je ne pense pas. Cela a été le cas. Mais aujourd’hui, beaucoup de personnes ont une capacité d’achat importante, sans pour autant forcément acheter des montres chères. On est là non plus dans une démarche ostentatoire, mais à l’aise avec une horlogerie juste et raisonnée. Le lien entre les deux notions me semble donc un peu facile. Pour autant, en Chine, quand l’économie permet à une certaine population d’acheter plus que les produits de base, on parle de classe moyenne. Et ce segment sera, je pense, en forte croissance ces prochaines années.»

Adaptations stylistiques?

«Chez nous, nous parlons de codes, lesquels sont la signature de la marque. Adapter le style est très important pour traverser le temps. Mais il y a aussi la notion de reconnaissance. Baume & Mercier est plutôt une marque classique. Mais quand je regarde en arrière, les anciens modèles, les choses ont fondamentalement changé! Seuls les codes restent.»

De nouvelles opportunités dans la distribution?

«Nous avons une approche différente d’un continent à l’autre: aux Etats-Unis et en Europe, nous sommes très bien implantés. En Asie et en Chine, nous sommes en phase de conquête avec des forces spécifiques. Le e-commerce, quant à lui, offre des opportunités. Mais cela reste complémentaire. Nous avons mis sur pied quelques projets avec des détaillants partenaires. Cela met surtout en évidence les changements d’habitudes des consommateurs. Pas seulement dans le e-commerce, mais aussi dans le e-retail. Il faut accompagner ce mouvement, qui ouvre un débat de fond sur le thème «comment aller à la rencontre du client».

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Louis Erard, les combats d’un indépendant

«Plus qu’une marque, nous sommes le Made in Switzerland à prix doux», aime à dire Alain Spinedi qui, avec un petit groupe d’investisseurs, a relancé dès 2003 la marque Louis Erard, fondée en 1929. Depuis lors, il se bat en indépendant, souvent à armes inégales, pour imposer dans ce difficile secteur son offre de belles montres classiques, sobres, très bien dessinées.

Alain Spinedi, CEO

La classe moyenne a moins d’argent qu’à l’époque

«Louis Erard se situe entre 500.- et 3’000.- CHF – tout en notant qu’à 3’000.- CHF , on est déjà dans le moyen de gamme supérieur. Lorsque j’ai relancé la marque en 2003, je l’avais d’abord positionnée entre CHF 600 et 2’000.- CHF , ce qui correspond au vrai milieu de gamme. Mais évidemment que suivant le marché, cette définition varie. Je n’ai cependant ni la structure, ni le personnel pour effectuer des analyses sociologiques dans les différents pays où nous vendons des montres. Je me concentre plutôt sur les taux de change: l’euro a ainsi pratiquement perdu 50% de sa valeur; le rouble vaut trois fois moins qu’avant... En Russie, où nous étions bien placés, les ventes se sont tassées. Le mix produit – avec les montres à quartz – s’est également modifié. La classe moyenne a moins d’argent qu’à l’époque. En Asie en revanche, beaucoup de jeunes, issus de la classe moyenne, sont prêts à mettre de l’argent dans une montre moyen de gamme. La définition que je fais de ce segment vaut pour la Suisse. En Italie déjà, où le SMIC est proche des 1’000.- euros dans le Sud, les choses sont différentes.»

Un segment indispensable

«Le moyen de gamme recèle un grand potentiel! Je suis toujours resté dans ce segment porteur. L’industrie horlogère doit impérativement ressembler à une pyramide. Sinon, on revient à la situation des années 1980.»

«Nous produisons moins de 100’000 montres par an et nous nous reconnaissons parfaitement dans la notion de luxe accessible. Le luxe équivaut à une certaine rareté. Or, certaines marques haut de gamme, en inondant des marchés comme l’Asie, n’incarnent plus le luxe du tout auprès de la clientèle. A 1’200.- CHF, nos produits peuvent très bien être considérés comme du luxe. On joue sur les finesses.»

Stratégies locales

«Nous privilégions de plus en plus une stratégie locale plutôt qu’une stratégie internationale. Nous jouons sur les prix et les modèles. Mais évidemment, cela demande un plus grand travail avec nos partenaires. Ainsi en Italie, où nous sommes désormais distribués par Eberhard & Co, nous vendons plus de montres féminines que masculines.»

«Avant de me lancer dans l’horlogerie, je travaillais pour les caméras Bolex. Il y avait dans ce domaine des études de marchés très précises. Or, rien de tout cela n’existait dans l’industrie horlogère, à part les statistiques des exportations. Dans cette branche, on se dirige grâce à la sensibilité que l’on a de tel ou tel marché. Cela induit naturellement des discussions avec les partenaires, pour comprendre les réalités.»

Monotonie?

«Nous avons toujours évolué dans un style classique, nous sommes restés cohérents. Dernièrement cependant, j’ai sorti un chronographe un peu plus sportif que les autres, pour tenter de séduire un public plus jeune. Mais cela ne veut pas dire que nous allons faire des choses complètement folles. Je remarque néanmoins que nous sommes peut-être devenus trop semblables à nos concurrents, un peu monotones. Maintenant, savoir si j’élargis pour rompre cette monotonie ou pour pallier la baisse des ventes? Je crois simplement qu’il manquait quelque chose à nos collections.»

Le quartz?

«Nous faisons à peu près 75% de mécanique et 25% de quartz. Le quartz nous a permis d’élargir notre clientèle au Moyen Orient, où nous réalisons 30% de nos ventes. En Suisse par contre, nous n’en vendons pas une! En Malaisie non plus. Question d’image.»

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Oris, la voie démocratique

Historiquement, Oris a toujours misé sur une offre qualifiée de «démocratique». Fondée il y a 113 ans avec la volonté de produire des montres mécaniques de qualité destinées à une distribution de masse, Oris a produit jusqu’à 1,2 million de montres par an avant que la crise du quartz ne vienne bouleverser l’échiquier. Reprise en 1982 par deux de ses anciens directeurs, Oris s’est aussitôt distinguée en ne misant que sur la mécanique alors que le monde était au quartz. Son slogan, qui lui a réussi, dit bien son ambition: «Real Watches for Real People».

Rolf Studer, co-CEO

Des produits qui font sens à des prix qui font sens

«Je n’aime pas tellement le terme «moyen». Il est purement théorique. 2’000.- CHF pour une montre, c’est beaucoup d’argent! Définir cela comme du moyen de gamme, cela devient arrogant. Il ne faut pas perdre de vue que c’est une classification purement suisse: dans d’autres pays, 2’000.- CHF, c’est... waouw! La dernière fois que je suis allé aux Etats-Unis, j’ai parlé un peu avec le douanier de l’immigration. Lorsque je lui ai montré ma montre à 3’000.- CHF, il m’a dit: «Jamais je ne pourrai m’en payer une comme ça. Ou peut-être dans 20 ans. Pour nous, c’est du haut de gamme!» C’est donc subjectif, il faut prendre le point de vue du consommateur.»

«Ceci dit, si vous me demandez la définition du moyen de gamme, je dirais qu’il se situe entre 1000.- et 5000.- CHF. La formule «luxe accessible» n’est pas plus adaptée: s’il est accessible, ce n’est pas du luxe. Je préfère dire que nous avons des produits qui font sens avec des prix qui font sens.»

Le client ne veut plus dépenser n’importe comment

«Le plus important, c’est d’avoir un bon rapport qualité-prix. C’est valable pour Patek Philippe comme pour nous. Nous sommes très heureux d’occuper ce segment, très heureux de n’avoir pas été extravagants avec les prix lorsque nous aurions pu l’être, et très heureux de ne pas devoir les baisser aujourd’hui. En un mot: nous sommes crédibles.»

«Nous avons gagné des parts de marché ces dernières années, d’une part grâce à nos produits, d’autre part parce que les consommateurs ne veulent plus dépenser n’importe comment. La baisse des prix chez certains de nos concurrents a rendu des clients furieux, parce qu’ils ont payé leur montre au prix fort.»

Des fonctions qui ont du sens

«Nos clients demandent des fonctions qui ont du sens, des complications mécaniques utiles. D’autres marques se concentrent davantage sur l’habillage et la décoration. Nous, nous n’avons pas changé: au contraire, il faut continuer à faire ce que l’on estime être juste pour la marque, et ne pas agir selon une situation particulière.»

Le web est la plus grande de nos boutiques

«Nous n’avons pas fait de changements au niveau des détaillants mais nous avons revu l’allocation des moyens de ventes entre nos boutiques en propre, les points de vente traditionnels et les ventes online. Depuis plusieurs années, nous supportons les détaillants qui sont également présents sur le web, comme par exemple Tourneau aux Etats-Unis ou Goldsmiths en Angleterre. Il faut admettre que le web est la plus grande de nos boutiques. Mais nous voulons garder les choses sous contrôle: nous pouvons parler directement avec le client online, tout en le dirigeant en boutique pour le SAV. Tous les détaillants ne sont pas encore online, mais on peut déjà clairement voir la différence. Et puis nous réfléchissons également à d’autres sites, qui ne sont pas des sites de détaillants.»

illustration: DRAWING ARCHITECTURE STUDIO http://www.d-a-s.cn