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«Every clock is a cop»

EDITORIAL

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avril 2024


«Every clock is a cop»

La police, la prison, l’ennui, le travail, les corvées… tout ça parce que nos vies se déroulent sous la rigidité implacable du Temps, qu’elles sont asservies à son contrôle, qu’elles sont sous son emprise. Every clock is a cop. Le Temps est notre maître et notre bourreau. Libérons-nous des chaînes du Temps ! Abolissons le Temps ! Tout simplement.

I

l y a à la fois de la vérité et de l’utopie dans ce cri « Abolish Time » et dans cet appel à faire de 2024 la dernière année que nous compterions. Mais rien à voir ici avec une quelconque Apocalypse. A rebours du vaste chœur des prophètes de tous poils qui annoncent la fin des temps, les auteurs anarchistes de ce manifeste s’exclament qu’ils ne veulent plus de dead time mais seulement du party time. Appeler à abolir le Temps c’est en quelque sorte appeler à la paix et à la fête.

Le problème est qu’en abolissant le Temps, on s’efface soi-même. Le Temps ne nous est pas extérieur, il est inscrit en nous. Sans horloge intérieure, nos fonctions vitales ne se régulent plus, c’est le chaos et la mort. Tout comme notre propre matière est constituée de poussière d’étoiles, notre horloge intime est régulée par l’horloge-mère de l’Univers. Quand nous essayons de calculer le temps, nous ne faisons que courir vainement après lui. On se rapproche, on se rapproche mais on ne le rattrape jamais (on en est aujourd’hui à tenir la seconde sur 30 milliards d’années, paraît-il, et on n’est pas encore au bout de compte).

Mais en fait nos amis anarchistes qui veulent abolir le Temps, parlent d’abolir la dictature temporelle de la régulation du travail née avec la révolution industrielle, révolution rendue possible grâce à la précision de l’horlogerie mécanique. Depuis la naissance de la montre, l’heure est la même pour tout un chacun. L’horlogerie a été le grand régulateur social. Si elle a permis nombre d’avancées scientifiques, elle a aussi asservi l’individu à l’horaire, à la cadence des machines, au strict partage entre travail et liberté, à la surveillance minutieuse.

«Every clock is a cop»

A cet égard, la montre connectée représente le triomphe de l’emprise de la régulation temporelle sur nos vies. Elle est même capable d’afficher les rythmes de notre horloge intérieure. Les sinusoïdes de notre cœur. Elle est le cop parfait qui enregistre et compile tout, qui sait tout, chaque seconde de notre temps, contrôle même notre sommeil. S’en libérer semble désormais une entreprise bien hasardeuse. L’horloge règne plus que jamais. Grâce à son ultra-précision qui échappe à nos sens, elle parvient paradoxalement à abolir le temps dans la pure instantanéité des échanges d’informations.

En fait, vous voulez abolir le Temps, mais il est déjà en train de s’abolir tout seul, de se noyer dans l’Instant.

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