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The Greenwich Time Lady

ÉDITORIAL

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juillet 2024


The Greenwich Time Lady

Tout récemment, Malcolm Lakin, qui a longtemps occupé cet espace avec sa chronique Freely Speaking (une des rares chroniques humoristiques et grinçantes de la presse horlogère) et qui vit désormais heureux à Guernesey, m’a envoyé un article de la BBC qui raconte l’histoire de Ruth Belville, «The woman who sold time – and the man who tried to stop her».

A

vant que de rentrer dans cette histoire, semble-t-il bien connue en Grande-Bretagne, ou du moins dans les environs de Greenwich, il m’a d’emblée paru extraordinaire qu’un individu privé puisse «vendre» l’heure exacte! Mais en termes de libéralisme, les Anglais n’ont pas leur pareil. On peut s’attendre à toutes sortes de privatisations de leur part.

L’histoire de Ruth Belville vaut néanmoins la peine d’être contée. Ruth, qui est morte en 1943, est la dernière représentante d’une famille de «vendeurs de temps» qui opérait depuis 1836. Riche idée que de vendre le temps exact car, paraît-il, dans les années 1920 et 1930 encore, Londres – alors capitale du monde – était réputée pour l’incohérence totale de ses horloges publiques.

Depuis 1836, donc, un membre de la famille Belville se rendait régulièrement à l’Observatoire Royal de Greenwich. Muni de sa montre – une fidèle et précise Arnold – il ou elle la réglait selon l’heure officielle de l’Observatoire, puis s’en allait dans Londres régler à son tour l’horloge ou la montre de tel ou tel gentleman de sa clientèle abonné à ce service horaire.

Ruth Belville en 1908
Ruth Belville en 1908

Un bon business que Ruth Belville poursuivait assidûment et qu’un concurrent, un certain Wynne qui cherchait à lancer sa propre entreprise de vente de l’heure exacte, la Standard Time Company, accusa d’user de ses charmes féminins pour s’assurer de la fidélité de ses clients. Mais Wynne avait aussi d’autres arguments – notamment l’électricité – et parvint à susciter un éditorial dans le Times au sujet des «lying clocks» de Londres. Il faut croire que les théories du complot étaient déjà en vogue car un lecteur répondit qu’il y avait certainement «une forme de censure» quant à l’exactitude du temps exposé en public, et qu’un autre expliquait que si la subjectivité était «hautement désirable du point de vue de l’individualisme, c’était hors de question en horlogerie». D’autres encore de déplorer les «dommages économiques» que cette imprécision horaire causait, car, rappelons-le: «Time is Money».

Toujours est-il que l’initiative de Wynne fit long feu et, bien au contraire, boosta publicitairement l’entreprise de «The Greenwich Time Lady». Avoir sa propre régleuse du temps est devenu hautement à la mode. Ruth se rendait une fois par semaine à l’Observatoire de Greenwich avant 09H00, sortait sa montre de son sac en lui disant «Good Morning Arnold…» puis en la grondant: «Four seconds fast today» et la tendait au «régulateur» qui la lui réglait et la lui rendait. Puis elle s’en allait dans Londres régler à son tour l’heure de ses abonnés. En 1940, à l’âge de 86 ans, elle décida en plein Blitz qu’il était devenu trop périlleux de continuer à parcourir les rues de Londres et cessa son activité.

Elle trépassa trois ans plus tard aux côtés de son Arnold (qui était aussi le prénom de son fiancé Arnold). Depuis lors, peut-on dire, les horlogers n’ont jamais cessé de vendre le temps – et le retour en force de l’artisanat en fait à nouveau une affaire très personnelle… Quoi de plus chic en effet que de pouvoir mettre un visage et un nom sur le temps que l’on consulte? A l’époque déjà, tous ceux qui ont sous-estimé Ruth Belville l’ont appris à leur dépens.

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