n 1865, un certain William Foster Nye, né à Cape Cod, aussi aventurier qu’entrepreneur à l’américaine, après avoir exercé mille métiers, s’installe à New Bedford, un port baleinier du Massachusetts au sud de Boston, pour y ouvrir un petit magasin de vente d’huiles en toutes sortes (dont des huiles de baleine) et du kérosène.
Dans la même ville est établi un horloger du nom de Ezra Kelly qui a découvert que la fine huile extraite de la mâchoire et du cerveau de dauphin s’avérait supérieure en lubrification pour les mécanismes délicats, dont les montres ou les machines à coudre. Ni de une ni de deux, Nye s’y intéresse à son tour, crée sa propre marque d’huile de dauphin et avec son génie marketing – et l’aide de l’éditeur d’un trade journal - réussit à persuader l’important fabricant d’horlogerie Cross and Beguelin (dont les montres de poche étaient équipées de mouvements Longines) d’utiliser ses huiles fines de dauphin.
A peine quelques années plus tard, Waltham, Elgin, le Chicago Watchmakers Institute et jusqu’aux «gardiens et réparateurs de l’horloge de la Cathédrale de Strasbourg» utilisaient son huile de dauphin pour huiler leurs rouages. En juillet 1881, les huiles de la Nye’s, W.-F., New-Belford recevaient une «médaille de troisième classe, bronze, lors de l’Exposition nationale d’horlogerie et Internationale de machines et outils, remise par «les employés pour l’horlogerie de La Chaux-de-Fonds».
Un vrai massacre? demande notre auteur Stefano D’Arrigo. Comme toujours, le succès aidant, la compétition augmentant, les dauphins et baleines étant de plus en plus pourchassés, les ressources diminuèrent drastiquement. Et la mécanisation de la production s’y mêlant, la firme parvint à remplir sans intervention humaine jusqu’à 4’000 bouteilles d’huile à l’heure. Il est vrai que «non seulement cette huile de dauphin ne comportait aucune impropriété qui pouvait corroder ou noircir les pignons, mais elle maintenait ses propriétés lubrifiantes de -50° à + 93° C».
En quelques décennies, la population de ces cétacés (des dauphins de la classe des porpoise en anglais) diminua drastiquement. L’huile de baleine étant majoritairement réservée à l’éclairage public fut remplacée par le kérosène puis par d’autres technologies (gaz, électricité), et l’huile de dauphin destinée à la mécanique fine fut graduellement remplacée par les huiles synthétiques. Et par-dessus, les interdictions de la pêche aux dauphins et aux baleines – devenues espèces en danger d’extinction – se multiplièrent. Le massacre ne cessa définitivement qu’avec le Marine Mammal Protection Act promulgué en 1972.
Mais la Nye’s ne disparut pas pour autant. Aujourd’hui, 175 ans après sa création, et après son acquisition par la Fuchs Lubricant Company, Nye Lubricants fournit toujours une palette de lubrifiants synthétiques destinés spécifiquement à mille industries, des semi-conducteurs aux éoliennes, de l’optique à l’horlogerie, du médical à l’aérospatial. Du dauphin aux étoiles…