Europa Star: Depuis votre reprise de la direction de Doxa, vous avez adopté une stratégie originale pour votre distribution: celle d’ouvrir une région différente chaque année. Pourquoi ne pas avoir tout de suite relancé la marque au niveau global, quand les conditions de marché étaient peut-être plus favorables?
Jan Edöcs: Parce que je savais très précisément avec qui je voulais travailler dans chaque région… mais qu’eux ne le savaient pas encore ou n’étaient peut-être pas encore prêts. Nous ouvrons par exemple le Japon cette année: nous aurions pu entrer sur ce marché il y a trois ans déjà mais nous avons fixé une stratégie et nous nous y tenons. Cela a pu susciter de la frustration, parfois de la pression, mais nous avons toujours été clairs. Lors d’une relance, les meilleurs partenaires ne sautent pas nécessairement dans les premiers wagons. En faisant preuve de patience, nous construisons plus solidement. Chez un acteur comme Seddiqi au Moyen-Orient, nous ne sommes pas dans leur gamme de prix traditionnelle, qui est bien plus élevée, mais nous avons su les convaincre et ils ont compris notre démarche.
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- La Doxa SUB 300 en 1967 dans Europa Star, dans ses versions Professional, Sharkhunter et SearRaider
- ©Europa Star archives
Quand aurez-vous fini ce «tour du monde»?
Après l’ouverture du Japon, nous aurons complété tous les grands hubs. Dès lors, nous pourrons nous intéressés à de plus petits marchés: nous allons prochainement ouvrir à Taiwan et au Vietnam. Je suis bien conscient qu’un modèle d’affaires traditionnel aurait voulu que l’on ouvre un maximum de portes le plus rapidement possibles. Mais nous avons tenus bon. Et cela paie: nous sommes en croissance quand le marché général est à la baisse et nous contrôlons pleinement notre distribution. De ce fait vous ne trouverez nulle part de modèle Doxa avec un rabais. Les ventes en ligne passent uniquement par notre propre plateforme, nous n’autorisons pas à nos détaillants de vendre en ligne et nous ne travaillons pas avec des sites de e-commerce. Sinon vous verriez déjà des Doxa à 40% de rabais, ce qui détruirait tout le travail entrepris. En plus avec les chiffres de vente sur notre plateforme digitale, on peut anticiper la demande. Finalement, même si notre gamme de prix va de 1’000 à 5’000 francs, nous adoptons la stratégie de contrôle de distribution du haut de gamme.
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- La nouvelle SUB 250T GMT
Quels ont été les fruits de cette stratégie un peu contre-intuitive?
Nous avons eu une très belle progression durant la période qui a suivi la pandémie: en étant dans ce réseau de boutiques prestigieuses, nous étions le seul modèle avec lequel le client pouvait effectivement sortir du magasin pour 1’500 francs, quand tous les autres étaient sur liste d’attente. Autre point important: nos stocks sont prêts à l’avance chez nos partenaires, nous les livrons avant l’annonce d’un nouveau modèle. Ainsi, le jour même de cette annonce, le client peut trouver notre nouveauté en boutique. Ce procédé renforce notre cote de confiance vis-à-vis des détaillants, qui apprécient de travailler selon cette organisation avec nous.
Autre tentation possible, celle de sortir de l’univers marin de la SUB…
Non, nous resterons dans ou autour de l’eau! Vous ne trouverez pas chez Doxa de montre pilote. Il reste encore beaucoup de travail à faire sur nos SUB, même si nous avons bien travaillé depuis cinq ans, beaucoup découvrent encore Doxa seulement aujourd’hui. Le travail sur notre notoriété est fondamental. Et je suis très content d’occupe un créneau de niche: je préfère être premier dans ma catégorie, et être vu comme un prescripteur, que cinquième dans plusieurs catégories.
Quels arbitrages menez-vous entre augmentation de la production et valorisation de la marque?
Depuis cinq ans, chaque année, notre croissance s’établit de manière régulière entre 10% et 15%, y compris cette année quand d’autres baissaient de 30%. Nous aurions pu faire de grands sauts de croissance mais nous préférons notre politique des petits pas. Nous n’avons jamais eu de phase d’investissement, nous avons toujours été bénéficiaires. Aujourd’hui, nous comptons 200 points de vente dans les hubs, mais nous ne sommes encore qu’à la moitié du chemin. Aux Etats-Unis par exemple, nous n’avons que 17 points de vente, on pourrait facilement ouvrir 30 points de vente supplémentaires, mais j’ai demandé à notre filiale de n’en ouvrir que 10, les meilleurs.
Même si notre stratégie n’a pas plu à tout le monde au début, certains détaillants qui souhaitaient nous représenter se sont fâchés, mais nos partenaires actuels l’apprécient énormément, car le sellout marche très bien. En cédant à toutes les sirènes dès le début, en multipliant les ouvertures, nous aurions poussé le sell-in, cela aurait pu marcher un petit moment mais peut-être que nous ne serions plus là dans cinq ans. Il faut savoir résister au court terme pour construite à long terme.
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- La nouvelle SUB 200
Quelles sont les pièces les plus importantes dans votre collection. Votre «colonne vertébrale», en quelque sorte…
La SUB 300T fonctionne très bien, notamment en Asie, de même que la 200T. Nous avons réduit les dimensions, en phase avec notre époque, comme sur la GMT à 40 mm. Mais ce qu’il faut. Dire c’est que c’est la SUB 200 qui est la pièce de volume par excellence, pour faire entrer la nouvelle génération, à 1’090 francs pour une montre mécanique. Nous assemblons à l’interne et et travaillons avec prestataires comme Sellita. Cela ne ferait pas de sens de faire du développement mouvement propre qui serait bien trop cher sur le prix final. Nous ne vendons pas des montres complexes, mais fonctionnelles, solides et résistantes.
Et le marché chinois?
C’est le dernier marché que nous allons ouvrir. Il faudrait un véritable changement social et culturel pour que les Chinois aillent se baigner et portent des montres de plongée en masse…
A terme, quels volumes visez-vous?
Nous pourrions monter à une production annuelle de 30’000 pièces. Nous en sommes à la moitié. Avec 400 points de vente nous serons confortables et devrons certainement freiner un peu. Aujourd’hui, tout le monde gagne. Mais si nous passions à 100’000 pièces et qu’il arrive une crise, le risque est très élevé. Nous pouvons encore contrôler notre destin. Parfois on nous demande comment on peut sortir des montres à ce prix-là. Je dis une chose: depuis le début de Walca en tant que société de private label en 1976, avant que Doxa soit relancée, je peux vous dire une chose, on sait sortir des montres à bon prix!