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Breitling, un avenir qui s’écrit au pluriel

juillet 2025


Breitling, un avenir qui s'écrit au pluriel

Depuis sa reprise en 2017, Breitling a connu l’une des plus belles progressions de l’industrie avec un chiffre d’affaires frôlant les CHF 900 millions en 2024 et une neuvième position dans le classement des marques établi par Morgan Stanley et Luxeconsult. Surtout, la marque se prépare à se muer en groupe avec les additions à venir de deux glorieux noms de l’histoire horlogère: Gallet et Universal Genève. Cela afin d’occuper plusieurs segments de prix bien distincts. Entretien avec son CEO Georges Kern.

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reitling est l’une des grandes marques de l’horlogerie suisse moderne avec un héritage reconnu et une image qualitative et sportive appréciée des collectionneurs. Depuis sa reprise par Georges Kern et le groupe d’investissement CVC en 2017, puis l’entrée de la société suisse d’investissement et de gestion de capitaux Partners Group fin 2022 comme actionnaire majoritaire, la marque a élargi sa base de clients pour devenir véritablement généraliste.

De grands investissements dans l’outil de production ont été consentis, qui lui permettent désormais de produire ses mouvements — tous certifiés COSC — en interne. La marque a de plus fait évoluer son image et sa communication vers un luxe plus accessible et décontracté, empreint d’une conscience véritable de ses impacts, tant environnementaux que sociaux. En perdant les ailes de son logo originel, elle a gagné les atouts nécessaires pour faire face aux défis du futur. Son CEO, Georges Kern, répond à nos questions.

Georges Kern, CEO de Breitling, supervise également les relances de Gallet et Universal Genève.
Georges Kern, CEO de Breitling, supervise également les relances de Gallet et Universal Genève.

Europa Star: Les chiffres actuels de l’horlogerie sont en berne. Les temps sont difficiles entre instabilités géopolitiques multiples, possibles droits de douanes prohibitifs, situation économique tendue sur de nombreux marchés historiques. Un tour au récent salon EPHJ a montré que de nombreuses marques et leurs sous-traitants ont recours au chômage partiel. Comment cela se passe-t-il pour Breitling?

Georges Kern: Je vous avoue que depuis plus de 30 ans que je suis dans l’industrie, je n’ai jamais vécu de période aussi compliquée. Le problème est qu’il ne s’agit pas d’une crise passagère comme les crises financières que nous avons connues ou même comme le choc soudain du covid, qui ont marqué un arrêt fort mais se sont résorbées rapidement. Là, nous assistons à une baisse d’année en année des volumes horlogers. Et la crise est mondiale, à quelques exceptions près, comme le Moyen-Orient, l’Inde ou l’Amérique latine, ainsi que la Suisse ou les Etats-Unis qui performent bien, pour nous en tout cas, ce dernier étant notre plus grand marché. Nous observons de fortes baisses en Allemagne ou au Royaume-Uni. Mais Breitling se porte bien. Nous sommes stables, ce qui est un très bon résultat dans le marché actuel qui se contracte fortement.

Dans l’ensemble, l’environnement économique et politique est très difficile entre Gaza, l’Iran, l’Ukraine, les Etats-Unis, la Chine, la Russie… et cela a un impact sur le moral global des consommateurs. Mais cela ne m’empêche pas de dormir, car Breitling a une vision claire et un positionnement réfléchi. Notre prix moyen se situe désormais à plus de 7’000 CHF. Le luxe n’est pas comme les biens de consommation, un segment où les gens annulent souvent leurs achats en cas de difficultés. Dans le luxe, l’achat est souvent simplement reporté. Il faut savoir traverser les tempêtes.

La boutique de Breitling sur la Bahnhofstrasse de Zurich a ouvert ses portes en 2022.
La boutique de Breitling sur la Bahnhofstrasse de Zurich a ouvert ses portes en 2022.

La marque a fait de gros investissements depuis le rachat de Breitling en 2017. Le chiffre d’affaires s’est fortement développé et semble marquer le coup. Quelles sont les forces de Breitling sur lesquelles vous allez continuer à bâtir?

Breitling est très résilient et nous devons cela à trois facteurs majeurs. D’abord, nous avons développé une communication de marque très positive autour de thèmes forts comme, par exemple, le surf. Nous avons des ambassadeurs jeunes qui véhiculent une image forte, cool et décontractée comme Austin Butler ou Giannis Antetokounmpo. Cela contribue à créer une image de «bonnes vibrations», comme nous le faisons dans nos boutiques et nos événements. Nous incarnons un luxe plus accessible, inclusif, par opposition à d’autres marques plus conservatrices. Cela nous différencie fortement.

Ensuite, nos produits plaisent. Le lancement de la Top Time en 38 mm a enregistré un gros succès: alors que nous pensions faire une capsule presque de niche, la demande est très forte. Il en est de même avec la nouvelle Superocean Heritage dont nous avons retravaillé l’ergonomie, que ce soit en boîtier 40 mm ou 42 mm avec un calibre manufacture.

Enfin, notre distribution équilibrée est un atout car nous ne sommes pas dépendants d’une seule région. Nous sommes en progression de 2-3% aux Etats-Unis qui est notre plus gros marché à 25% du chiffre d’affaires… et je ne parle que de sell-out, pas de sell-in. Nous sommes en croissance en Chine car nous partons de très loin. Nous avons donc un immense potentiel sur ce marché. Il existe encore d’autres poches de croissance comme évoqué précédemment, y compris en Suisse ou au Mexique.

Georges Kern mouille le maillot avec Stephanie Gilmore, surfeuse professionnelle et ambassadrice de la marque.
Georges Kern mouille le maillot avec Stephanie Gilmore, surfeuse professionnelle et ambassadrice de la marque.

Stephanie Gilmore porte la toute nouvelle Superocean Heritage 36 Automatic en 36 mm avec son cadran vert pâle.
Stephanie Gilmore porte la toute nouvelle Superocean Heritage 36 Automatic en 36 mm avec son cadran vert pâle.

Avec tous les changements que vous avez effectués, tant dans vos produits que votre distribution, et votre nouvelle image plus inclusive et décontractée, qui sont les clients de Breitling aujourd’hui?

Dans le monde actuel, on ne segmente plus selon les âges, ni vraiment le genre. Nous avons des surfeurs de 60 ans comme de 20 ans qui aiment la marque, des motards de 20 ans ou de 70 ans qui portent des Breitling, et même des gens de tous âges qui recherchent des Breitling plus habillées, comme notre ligne Premier. Le consommateur achète un style de vie, une image de marque moins conservatrice, plus cool. Il s’agit plus du rêve que la marque génère.

À l’époque, lorsque nous avons arrêté de nous concentrer sur l’aviation, nous avons bien sûr perdu des clients. Mais nous en avons gagné beaucoup plus. Chaque année, nous enregistrons deux tiers de nouveaux clients pour un tiers de clients existants. Nous sommes devenus une marque beaucoup plus généraliste. Nos clients peuvent acheter des designs différents sous une même philosophie. C’est devenu une grande force pour Breitling.

Et Breitling plaît aussi aux femmes?

C’est assez incroyable, je viens d’avoir les chiffres: 40% des «walk-in» (passage en boutique, ndlr) dans les boutiques Breitling sont des femmes. C’est dingue. Nous devons améliorer la concrétisation de ces visites. Aujourd’hui les femmes ne représentent que 14% de nos ventes. Nous avons un gros potentiel de développement avec elles. Nous avons la Chronomat dame, la Navitimer dame, et maintenant la Superocean Heritage en 36 mm. Tous ces modèles véhiculent la même image et celle-ci correspond aussi à ce que les femmes recherchent.

Les deux éditions limitées Chronographe Top Time B01 Fausto Coppi et Gino Bartali avec leur mouvement manufacture, étanches à 100 mètres, dans leur boîtier de 41 mm.
Les deux éditions limitées Chronographe Top Time B01 Fausto Coppi et Gino Bartali avec leur mouvement manufacture, étanches à 100 mètres, dans leur boîtier de 41 mm.

Avec le rachat d’Universal Genève et de Gallet, vous avez l’opportunité d’élargir votre spectre au-delà d’un certain type d’horlogerie décontractée. Comment allez-vous les positionner par rapport à la marque-phare qu’est Breitling?

On pourrait penser qu’Universal Genève sera sportive parce que certains modèles bien connus du passé de la marque le sont. Mais il y en a plein d’autres qui ne cantonnent pas la marque dans ce seul univers. La structuration entre les trois marques réside dans le niveau des gammes de prix, pas dans l’aspect sportif, décontracté ou non. Gallet sera distribuée dans les boutiques Breitling, ainsi que chez certains détaillants sélectionnés avec des prix entre 2’500 et 5’000 CHF. C’est la gamme de prix que Breitling a progressivement abandonnée depuis que nous utilisons quasi exclusivement, à quelques exceptions près, des mouvements manufacture.

Gallet va nous permettre de revenir sur cette gamme de prix avec son identité forte, comme la Flying Officer, et une histoire authentique. Universal Genève débutera autour de 15’000 CHF, mais les équipes seront distinctes, la distribution sera différente, la marque sera établie à Genève, où nous sommes en train de construire les bureaux. Donc c’est totalement séparé de Breitling. Nous avons structuré notre groupe de marques en fonction des gammes de prix. Cela nous permet aussi d’avoir une offre complète pour nos détaillants.

 Le calibre manufacture chronographe B01 qui équipe l'édition limitée Fausto Coppi est certifié chronomètre par le COSC.
Le calibre manufacture chronographe B01 qui équipe l’édition limitée Fausto Coppi est certifié chronomètre par le COSC.

Même si, à l’heure actuelle, on assiste plutôt à une forme de recul des politiques ESG, Breitling poursuit ses efforts sur cette thématique visant à rendre votre modèle d’affaires plus éco-responsable. Pourquoi est-ce important pour vous?

Premièrement, c’est une conviction personnelle que j’ai depuis toujours. Je ne l’ai jamais fait pour faire du greenwashing. Deuxièmement, nous ne sommes pas des activistes, nous ne sommes pas là pour donner des leçons à qui que ce soit, nous le faisons parce que nous estimons que c’est la bonne chose à faire pour nous. Troisièmement, toutes les activations que nous menons sur ce thème sont toujours pour le bénéfice du client et non dans un contexte politique. Notre blockchain se développe par exemple pour augmenter la transparence de nos approvisionnements pour nos clients. Je pense que cette nécessité de transparence sera de toute façon générale pour tous les produits, que ce soit l’agriculture, la mode, la cosmétique… Le consommateur veut savoir d’où cela vient, quels sont les composants, comment est-ce produit? C’est incontournable.

Nous ne faisons rien par hasard. Quand nous nous associons avec des surfeurs, nous allons évidemment soutenir la lutte contre la pollution plastique des océans. C’est une évidence. D’autant plus que le plastique est un dossier très important pour Breitling. Nous cherchons à l’éliminer de notre production aussi. Tout est lié à notre engagement global. De la même manière dans le cyclisme, un univers dans lequel nous sommes également présents, nous soutenons Qhubeka, une ONG basée en Afrique du Sud qui aide et relie les communautés grâce à la distribution de vélos. Ce moyen de transport permet de désenclaver des zones mal desservies et donne la possibilité aux enfants d’aller à l’école alors que cela leur prendrait quatre heures à pied. Cela contribue à l’éducation et donc l’émancipation de ces communautés, en particulier des jeunes femmes. Et notre engagement provient des athlètes avec qui nous travaillons. Une fois encore, il s’agit d’une approche authentique, basée sur des convictions, même sans être activiste. C’est pour cela que c’est important et que cela produit des résultats tangibles.

 La nouvelle Top Time B31 avec son calibre manufacture automatique 3 aiguilles, étanche à 100 mètres dans son nouveau boîtier en acier de 38 mm.
La nouvelle Top Time B31 avec son calibre manufacture automatique 3 aiguilles, étanche à 100 mètres dans son nouveau boîtier en acier de 38 mm.

Comment voyez-vous la marque dans 10 ans? Quels sont vos objectifs à court et moyen terme pour Breitling?

Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons un plan très clair quant à là où nous voulons aller. Vous le verrez d’ici la fin de l’année et l’année prochaine, au travers des sponsorings et des activations que nous allons dévoiler. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’on ne peut plus envisager l’industrie du luxe comme un élément isolé. Tout devient phénomène culturel et a une portée globale. Aujourd’hui, il est impossible de communiquer uniquement en tant que «cabinotiers». La montre n’est plus un instrument de mesure que l’on recherche pour sa précision, elle incarne un style de vie. Il faut bien appréhender l’évolution de la société et sa perception du luxe, qui s’inscrit désormais dans la culture, au même titre que l’art, le cinéma ou le théâtre. Breitling poursuit sa logique en ce sens.

Les marques intègrent verticalement, de plus en plus, la production, la distribution et même le marché secondaire. Quelle est votre vision de ce marché?

C’est évidemment une évolution sur laquelle nous travaillons, depuis cinq ou six ans. Nous le faisons principalement au travers de partenaires, comme Bucherer, qui est le premier détaillant officiel de Breitling Certified Pre-Owned. En tant que plus grand acteur mondial, ils ont professionnalisé ce marché. Voir les leaders du marché le faire aide à structurer le marché secondaire. L’avantage de ce développement est que le marché gris va progressivement disparaître, peut-être même que la contrefaçon va s’affaiblir. Nous y participons activement avec Bucherer et dans quelques boutiques Breitling. Au final, ce qui est important c’est la garantie offerte aux consommateurs, qui renforce la confiance dans la marque.

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