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MAURICE LACROIX

LA FIN DU GRAND ÉCART

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décembre 2017


MAURICE LACROIX

C’est un cas d’école de la révolution de l’industrie horlogère qui a commencé dans les années 2000. Maurice Lacroix, l’exemple même de la marque indépendante à succès, de celles auprès desquelles on s’achète sa première «belle montre», est fortement montée en gamme durant ces années dorées, lançant sa propre verticalisation. Une stratégie d’abord couronnée de réussite mais qui s’est ensuite retournée contre elle.

A

ujourd’hui, Maurice Lacroix «revient à ses fondamentaux», en jouant sur le rapport qualité-prix, afin de séduire notamment les classes moyennes, des thèmes que nous avons longuement abordés dans nos deux premiers dossiers de cette année. Et pour une fois, l’expression n’est pas usurpée. Car si l’on se coupe de ses racines, on risque de perdre son âme – voire ses clients... Le temps est venu de réagir!

«Voilà notre plan: rester exactement là où nous sommes! Objectif consistance et continuité!» David Sanchez, le responsable produits de  Maurice Lacroix, a désormais une feuille de route bien précise, à laquelle il entend se tenir: être le champion de la «valeur perçue» sur le segment 1’000-3’000 francs. Positionnée à ses origines dans l’entrée de gamme, la marque a voulu se profiler plus haut de gamme, et revient maintenant à des produits aux tarifs beaucoup plus abordables.

L'Aikon de Maurice Lacroix, la réinterprétation du modèle Calypso « best seller » des années 90
L’Aikon de Maurice Lacroix, la réinterprétation du modèle  Calypso « best seller » des années 90

Le responsable fait contre mauvaise fortune bon cœur: «Nous avons beaucoup appris avec notre passage dans le haut de gamme et nous l’appliquons à notre production actuelle. Nous nous concentrons sur nos modèles- phares Aikon et Pontos. Nous réduisons aussi le nombre de références: nous sommes déjà passés de 380 à 250 références et notre objectif à long terme est de parvenir à une collection d’environ 180 montres.» Un grand exercice de repositionnement stratégique, pour retrouver un élan commercial.

Les leçons ont été tirées:  Maurice Lacroix est une marque de volume, qui doit se battre essentiellement sur le rapport qualité-prix. Alors, surprendre oui, mais autrement: «Nous voulons que les clients prennent l’Aikon en mains et se disent «quoi, seulement! » lorsque le détaillant leur annonce qu’elle coûte 850 francs.»

Success story originelle

Née en 1975 à Saignelégier dans le canton du Jura, en pleine révolution du quartz,  Maurice Lacroix a été créée par Desco von Schulthess, une société zurichoise qui produisait des montres en private label pour l’industrie horlogère. Depuis 1989 et le rachat de Queloz, la marque devient autonome dans la fabrication de boîtiers.  Maurice Lacroix s’affirme progressivement comme une marque indépendante réputée, maîtrisant une grande partie de la production à l’interne, en pleine dynamique de croissance et de conquête de marchés internationaux. Son bastion historique est l’Allemagne.

«Ce qui a fait le succès de  Maurice Lacroix dans les années 1990 et au début des années 2000, c’était le bon produit pour le prix, souligne le directeur général Stéphane Waser. Nous devions nous battre car nous n’étions pas une puissance marketing, mais nous représentions souvent le insider tip des détaillants auprès des clients.» Entre 1990 et 2003, la  Calypso (dont s’inspire le modèle Aikon) se révèle être la collection à plus gros succès de l’histoire de la marque, en termes de volumes écoulés.

Au début des années 2000, changement de cap: décision est prise, sur un marché porteur, d’ancrer  Maurice Lacroix également dans un créneau plus haut de gamme. Cela passe par de gros investissements qui aboutissent à un premier mouvement manufacture, lancé en 2006. La marque ne cesse d’innover et sort des propositions très marquantes tant sur le plan esthétique que technique, qui atteindront des sommets avec le lancement de l’engrenage à roue carrée, de l’alliage Powerlite ou d’un échappement en silicium. La collection Masterpiece est alors la pierre angulaire de  Maurice Lacroix. Toutes les planètes semblent alignées.

Stéphane Waser, directeur général - Maurice Lacroix
Stéphane Waser, directeur général - Maurice Lacroix

DKSH et l’ambition asiatique

En 2008,  Maurice Lacroix cède ses droits de distribution en Asie au géant du négoce international zurichois DKSH (plus de 10 milliards de francs de chiffre d’affaires). Celui-ci rachètera la marque trois ans plus tard, en plein boom du commerce horloger vers la Chine. «C’était un mariage de raison, rappelle Stéphane Waser. DKSH est le grand spécialiste de la distribution en Asie et  Maurice Lacroix avait vocation à se développer en Extrême-Orient.» En 2014, de sombres nuages assombrissent néanmoins le ciel asiatique, pour les marques de luxe.

C’est le début de la fin des «années folles» pour l’industrie horlogère en Chine et ce n’est d’ailleurs que depuis ce début d’année que les exportations suisses semblent retrouver le chemin d’une croissance beaucoup plus modérée. DKSH, dont l’horlogerie n’est pas le cœur de métier, se décide assez rapidement à vendre la marque, ce qu’elle annonce dès l’été 2015, mais qui n’a pas encore été concrétisé. «Maurice Lacroix  est une entreprise de grande valeur et – surtout – une marque précieuse. DKSH ne vendra pas sous sa valeur», pointe Stéphane Waser. Le scénario idéal pour la marque serait la reprise par un investisseur dont le métier premier est l’horlogerie. Entre-temps, DKSH a vendu  Glycine, son autre marque horlogère, à  Invicta Watch Group. Il a aussi mis un terme à son engagement dans une coentreprise avec Zino  Davidoff. Le fabricant de boîtiers Queloz est lui aussi à remettre. La Manufacture des Franches-Montagnes, qui faisait également partie du petit pôle horloger mis en place par DKSH, cesse elle son activité cette année.

Revenir à la gloire d’antan?

Comme un arbre après la tempête,  Maurice Lacroix compte à présent sur les racines qui lui restent pour renaître. Plus modeste, l’entreprise fait aujourd’hui face à un défi de taille: peut-elle revenir à sa gloire d’antan? Car d’autres ont, entretemps, profité du «vide» laissé dans son créneau traditionnel par ce champion historique de la montre accessible.

«L’Aikon doit être 15% à 20% moins cher que les modèles auxquels on la compare. Comme nous n’avons pas les budgets marketing de nos concurrents, nous nous devons d’être ultra-compétitifs pour sortir du lot.»

 Longines, TAG  Heuer, Frédérique Constant, Raymond  Weil ont pris racine, en partie, sur le terrain déserté par la marque de Saignelégier.  Maurice Lacroix revient néanmoins en ordre de bataille, souligne Stéphane Waser: «Avec les multiples changements stratégiques, nous avons gagné énormément d’expérience concernant les dynamiques des différents segments de prix dans l’horlogerie» Une compétence-clé en particulier est développée depuis deux ans: l’habillage, dans le but d’augmenter la valeur perçue. «Nos atouts demeurent: nous avons développé 14 mouvements maison, nous sommes la marque Swiss made la plus primée par les prix de design Red Dot Awards et nous sommes représentés dans 2’200 points de vente dans 65 pays.»

Déjà, la marque reconsidère ses collections quartz, qui avaient été délaissées: si elles ne représentaient encore que 40% des ventes il y a trois ans, l’objectif est de croître à 50% dès cette année. «Même en Asie, nous imposons à nos détaillants de proposer l’Aikon et le quartz s’y vend bien, alors qu’on pensait que c’était surtout un marché pour l’horlogerie mécanique. Nos clients cherchent des montres classiques, passe-partout, polyvalentes. Bref, la casual watch.» L’accent est mis sur le réseau retail. Le sponsoring du FC Barcelone n’a quant à lui pas été reconduit. «Notre ambition maintenant, que ce soit dans le quartz ou le mécanique, c’est d’être toujours parmi les premiers choix au niveau du prix.

L’Aikon doit être 15% à 20% moins cher que les modèles auxquels on les compare. Comme nous n’avons pas les budgets marketing de nos concurrents, nous nous devons d’être ultra-compétitifs pour sortir du lot.»

MAURICE LACROIX

Cet article fait suite aux récents dossiers sur LE PRIX (Europa Star Time.Business 1/17) et la CLASSE MOYENNE (Europa Star Time.Business 2/17)