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Interview de Laurent Perves, Vacheron Constantin

ARCADE EUROPA STAR

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juillet 2018


Interview de Laurent Perves, Vacheron Constantin

Le lancement par Vacheron Constantin au cours du dernier SIHH de la ligne Fiftysix a beaucoup fait parler de lui. Il coïncide aussi avec un changement de génération à la tête de l’auguste maison horlogère genevoise qui produit environ 25’000 garde-temps par an. Est-ce le signe d’une nouvelle offensive «par le bas» (qui commence toutefois par plus de 12’000 francs suisses à l’entrée)? Rupture ou continuité? Europa Star a rencontré Laurent Perves, le nouveau CMO (pour Chief Marketing Officer) de la marque.

L

e lancement de la collection Fiftysix, devenue «l’entrée» chez Vacheron Constantin, marque-til un tournant stratégique pour la marque?

Personne ne nous attendait là et, dans ce sens, c’est un «gros coup», le fruit d’une politique volontaire et déterminée, mais qui a été initiée avant mon arrivée, il y a un an et demi maintenant. Mais cette introduction médiatisée a peut-être un peu occulté le fait qu’elle intervient dans un cadre plus large: par exemple, nous avons optimisé la famille Overseas, nous lui avons donné une plus grande animation, des traits plus audacieux, comme avec l’Overseas «black dial» par exemple… Sans parler de nos autres lignes qui toutes sont dynamisées.

Laurent Perves, le nouveau CMO (pour Chief Marketing Officer) de Vacheron Constantin
Laurent Perves, le nouveau CMO (pour Chief Marketing Officer) de Vacheron Constantin
Photo © Fabien Scotti

Est-ce que cela correspond à une nécessité de rajeunissement de la clientèle, pour une marque dont l’image reste très traditionnelle…?

Tout dépend de ce que vous entendez par le mot «traditionnel». Certes nous sommes une marque d’understatement comme le dit très bien l’anglais. En français on dirait une certaine «sobriété», une harmonie formelle, une mesure classique donc intemporelle. Alors, oui. Mais détrompez-vous, l’âge moyen de notre clientèle est de l’ordre des 40 ans. Les générations bougent vite, s’enrichissent vite, notamment en Asie et au Moyen-Orient où nous enregistrons des résultats enthousiasmants. C’est une génération dynamique, très bien instruite grâce à la circulation des informations. S’ils s’intéressent à l’horlogerie, ils deviennent «experts» très rapidement, beaucoup plus qu’avant. En 263 ans d’existence, Vacheron Constantin s’est sans cesse «rajeuni», a toujours été de son temps.

Et quel est le temps présent?

Il y a une frange de la clientèle qui cherche une pièce à porter tous les jours, en acier, au design fort, identitaire tout en étant sobre, pour amateurs éclairés. Une entrée dans le cercle des connaisseurs. Et d’ailleurs nous remarquons aussi un pic d’intérêt marqué chez cette clientèle jeune mais mature pour des collections comme les Historiques et dans certains segments des Métiers d’Art.

Est-ce aussi une façon de répondre à la vague vintage?

Le vintage ne date pas d’hier, si l’on peut dire. Il y a 15 ans déjà que Vacheron Constantin a commencé à rééditer fidèlement certaines de ses icônes historiques: le Chronographe Royal de 1907, l’American 21 de 1921, la Corne de Vache de 1955…

Toutes des dates jeunes pour notre maison. La vague du vintage ne nous prend pas du tout par surprise. D’ailleurs, nous avons créé le département Les Collectionneurs. Ce sont de vraies pièces vintage, restaurées, réparées s’il le faut dans nos ateliers de restauration et garanties à nouveau pour deux ans. Elles sont vendues lors d’événements éphémères, d’occasions spéciales. L’engouement est exceptionnel.

FiftySix day-date
FiftySix day-date

Mais, pour revenir à la Fiftysix, le fait qu’elle soit équipée d’un calibre groupe ne la classe-t-il pas aussitôt dans une autre catégorie?

Le calibre que nous utilisons est un mouvement de base, comme de tout temps l’horlogerie helvétique l’a pratiqué, que nous reprenons entièrement à notre façon, que nous décorons selon nos codes. Notre masse est en or. Nous avons cinq degrés de finitions différentes. C’est une Vacheron Constantin à part entière, assemblée dans nos ateliers. Elle sera sur les marchés dès septembre, elle est très attendue, je vous en assure.

Mais est-ce pour autant le signe d’un infléchissement de vos propositions dans les complications…?

En aucune façon. Nous pouvons fort bien travailler d’une part sur des bases communes et d’autre part développer nos propres complications de manière totalement indépendante Nous y travaillons de façon permanente. Nous conservons active toute notre expertise dans ce domaine. Au dernier SIHH, elle s’est exprimée dans notre Traditionnelle Tourbillon automatique à rotor périphérique d’une grande pureté.

Une pièce issue, peut-on affirmer, de la vraie demande de la clientèle pour un tourbillon léger, simple, dans une montre plate, aux proportions mesurées. D’où l’introduction d’un rotor périphérique. Un mix entre demande, esthétique et art horloger.

Nous n’entendons pas reculer sur le terrain des complications, tout en restant à l’écoute de la demande, pas plus que sur celui des Métiers d’Art. Et notre offre de pièces uniques ou de pièces sur-mesure regroupée sous le nom des Cabinotiers est aussi un laboratoire, un très fécond champ d’expérimentation. La demande de pièces sur commande va en grossissant.

Dans le champ des métiers d’art, il est vrai que Vacheron Constantin a sorti quelques séries exceptionnelles, comme les Masques, par exemple, et d’autres, qui ont montré une grande créativité, qui faisait sens…

Nous maîtrisons un grand nombre de Métiers en interne, qui nous permettent de jouer pleinement dans ce domaine que nous explorons sans cesse. Nous donnons des directions multiples aux Métiers d’Art. Les thèmes sont variés. Nous mélangeons les disciplines, nous inventons, nous mixons artisanat d’art et complications horlogères. Les mouvements avec affichage à guichet que nous avons développés nous offrent une grande liberté. Et d’autres vont bientôt arriver.

Mais nous privilégions les thèmes en relation avec notre longue histoire, faite de voyages, de découvertes, de culture, d’émois artistiques. Inutile de dire que nous entendons poursuivre dans cette voie.

On parle beaucoup de «nouveaux matériaux», de «laboratoires»…

On nous attend ailleurs. Mais pour autant, nous travaillons sur tous les sujets qui «travaillent» l’horlogerie. Nous nous sommes ainsi penchés très sérieusement sur l’acier et ses évolutions, comme pour la Fiftysix et l’Overseas.

Nous travaillons régulièrement le platine, nous avons créé un bracelet mixant soie et fil de platine, pour donner un exemple. Mais l’essentiel de nos recherches, nous les menons sur l’horlogerie elle-même, sur le développement de complications. A la fin, les vrais juges sont les clients.

L'OBJET: « Mon père était un grand collectionneur de disques. Il aimait le jazz et m'a transmis sa passion. J'ai hérité de sa collection et j'ai toujours aimé ça, surtout Sidney Bechet qui est magique. L'ironie de cette histoire est que lorsque je suis arrivé chez Vacheron Constantin, j'ai découvert que la maison avait l'autographe de Sidney Bechet dans un de ses livres d'or. Il l'a signé à New York en 1953 quand il est venu acheter une montre au magasin. »
L’OBJET: « Mon père était un grand collectionneur de disques. Il aimait le jazz et m’a transmis sa passion. J’ai hérité de sa collection et j’ai toujours aimé ça, surtout Sidney Bechet qui est magique. L’ironie de cette histoire est que lorsque je suis arrivé chez Vacheron Constantin, j’ai découvert que la maison avait l’autographe de Sidney Bechet dans un de ses livres d’or. Il l’a signé à New York en 1953 quand il est venu acheter une montre au magasin. »
Photo©Fabien Scotti/Europa Star