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L’horlogerie à l’âge de la complexité numérique

ÉDITORIAL

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décembre 2019


L'horlogerie à l'âge de la complexité numérique

L’horlogerie est pleinement entrée dans l’ère de la complexité numérique. Contrairement aux réseaux bien huilés du passé, la jungle d’aujourd’hui est plus ou moins impénétrable. La montre en tant qu’objet a également été fondamentalement transformée. Jamais la montre mécanique suisse n’avait été aussi désirée, populaire et, pour certains modèles emblématiques, inaccessible. Mais pour les acteurs qui se retrouvent au mieux du fossé, coincés quelque part entre l’Apple Watch et la «Pepsi», ce chemin fascinant est surtout semé d’embûches.

T

out vient du numérique, qui bouleverse fondamentalement notre quotidien et notre essence même d’Homo sapiens. Vus à cette échelle, les bouleversements qui touchent actuellement l’horlogerie, une industrie vieille de 400 ans, peuvent sembler microscopiques.

Mais à notre échelle de «microscope horloger», que nous portons depuis quatre générations sur cette industrie, ces changements paraissent immenses! Et ils s’accélèrent à une vitesse exponentielle (l’une des propriétés les plus frappantes du numérique).

Commençons par la distribution, totalement bouleversée depuis l’arrivée du numérique.

Contrairement aux réseaux bien huilés d’autrefois, elle est une jungle dont personne n’aperçoit vraiment le bout. Les ventes en ligne ont surtout été favorables au marché secondaire (la montre ayant la particularité d’avoir une durée de vie longue) et à l’écoulement des invendus (marché gris), mais aussi à la contrefaçon. Les possibilités d’achat d’une montre sont aujourd’hui si nombreuses que tout le monde se perd dans cette complexité: pre-owned ou neuf, en ligne ou en boutique, chez un revendeur agréé ou non, et tant d’autres interrogations. Cela prendra du temps pour que la Toile s’organise.

Aujourd’hui, le prix de revente détermine de plus en plus la cote réelle des montres. Cela induit un autre effet frappant du bouleversement numérique: la polarisation croissante entre les gagnants et les perdants de l’industrie. Du côté des marques, on assiste à une consolidation autour des quelques marques qui bénéficient de la plus forte cote réelle et suscitent une désirabilité sans précédent autour de modèles phares très recherchés. Du côté des détaillants, on a vu la fermeture de nombreux points de vente et la constitution en parallèle de véritables géants de la distribution internationale (Bucherer, Watches of Switzerland, Wempe).

Dans les deux cas, les acteurs «au milieu du gué» (fabricants ou détaillants sans une reconnaissance forte de la part des acheteurs finaux) ont pâti des bouleversements induits par la révolution numérique.

La montre en tant qu’objet est elle aussi fondamentalement transformée.

Après une période de doute sur son impact, la montre connectée s’affirme désormais au vu et au su de tous comme la montre standard du quotidien (comme la Swatch a pu l’être dans les années 1980 et 1990). Cela bien sûr seulement si la connexion reste au poignet et ne se déplace pas à l’avenir par exemple vers les yeux, à travers les lunettes connectées sur l’être humain «augmenté»…

Qu’est-ce que cela laisse à l’industrie horlogère suisse?

Des réflexions fondamentales et des choix stratégiques difficiles face à la complexité croissante des canaux de vente et des habitudes de consommation à l’âge numérique.

Mais aussi, par effet de contraste avec la rapide obsolescence de tout objet numérique, une fascination croissante pour la montre mécanique suisse «originelle» et authentique, vue comme un marqueur de personnalité individuelle. Cela se traduit par des volumes généraux en baisse, un prix moyen en hausse à l’exportation et une tendance chez tous les acteurs à monter en gamme et à se concentrer sur des modèles mécaniques, particulièrement avec une touche vintage (on le voit bien chez Tissot et plus généralement au Swatch Group, champion de la montre abordable Swiss made). Jamais, dans l’histoire de notre industrie, ne s’est-on autant tourné vers le passé pour construire son avenir…

Les réseaux numériques, sensés rendre notre vie plus «fluide» et plus simple, font exactement l’inverse: notre vie quotidienne est à la fois plus rapide et plus complexe. L’horlogerie n’échappe pas à ce bouleversement «ontologique».

Mais jamais sans doute, parallèlement, la montre mécanique n’aura été aussi désirée, populaire et, pour certains modèles iconiques, carrément sold out. Il reste ainsi un boulevard à long terme pour l’industrie horlogère suisse, qui va sans doute, à l’âge de la complexité numérique, se concentrer toujours davantage sur la montre mécanique de luxe. Mais pour les acteurs qui sont actuellement au milieu du fossé et qui ne font pas partie des happy few, coincés entre l’Apple Watch et la «Pepsi», cette route est semée d’embûches.

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