L’horlogerie indépendante


Norqain: la genèse d’une ascension éclair

PORTRAIT

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octobre 2023


Norqain: la genèse d'une ascension éclair

Centrée sur l’environnement de la montagne et de l’outdoor, la marque fondée il y a à peine cinq ans est aujourd’hui représentée chez les plus prestigieux détaillants. Derrière elle, on trouve une équipe très expérimentée, qui affiche sa volonté de préserver le segment de la montre suisse «accessible». Parmi ses partenaires-clés figure une autre nouvelle structure: le motoriste Kenissi.

C’

est l’une des nouvelles marques les plus en vue dans le secteur horloger - d’autant plus qu’elle opère sur un segment plus «grand public» que nombre d’autres nouveaux venus sur la scène horlogère faisant le choix de l’exclusivité. C’est justement le constat qu’ il manquait d’acteurs indépendants dans la montre mécanique suisse en-dessous de 5’000 CHF qui est à l’origine de l’aventure Norqain.

Mais les acteurs de cette marque familiale sont en revanche loin d’être novices en horlogerie - car les Küffer, qui détiennent la majorité de la société, constituent une véritable «famille horlogère» établie à Nidau: Ben Küffer, qui a travaillé douze ans chez Breitling, en est le fondateur et CEO, son père, qui a dirigé durant plusieurs décennies Roventa-Henex, en est le président, son frère dirige les ventes chez Norqain, sa soeur est directrice marketing et son épouse responsable du merchandising!

Ted Schneider, un membre de la famille Schneider, ancienne propriétaire de Breitling, est également étroitement lié à la naissance et l’éclosion de Norqain, tout comme plusieurs sportifs de renom: Mark Streit, Roman Josi ou encore Tina Weirather. Car Norqain est tout entière tournée vers le sport, l’outdoor, la montagne, une forme de «suissitude» active à l’international dans un esprit décontracté. Sans oublier un conseiller stratégique de choix: Jean-Claude Biver. Nous avons rencontré Ben Küffer.

Ben Küffer, fondateur et CEO de Norqain
Ben Küffer, fondateur et CEO de Norqain

Europa Star: Vous êtes issu d’une famille d’horlogers. Quel à été votre parcours?

Ben Küffer: Mon grand-père était dans l’horlogerie, il travaillait les verres saphir et les aiguilles. Mon père a quant à lui commencé comme stagiaire chez le Roventa-Henex à Tavannes (grande entreprise du private label, ndlr), il en est devenu le CEO à 35 ans puis le copropriétaire à 40 ans, à la suite d’un management buyout. Il a été un excellent modèle pour nous et nous a transmis sa passion des montres mécaniques. C’est cette passion qui est aujourd’hui le moteur de notre marque.

Parmi ceux qui ont cru dès le début dans l’aventure Norqain figure la famille Schneider, les anciens propriétaires de Breitling…

Et là aussi, c’est une longue histoire! A 18 ans, j’ai commencé par un stage chez Breitling et j’y suis resté pendant 12 ans, jusqu’à la vente de la société par les Schneider en 2017. Je faisais presque partie de la famille, il était donc naturel que je pense à faire autre chose suite à ce rachat. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à scruter l’offre le marché horloger, en réalisant qu’il n’y avait presque plus aucune marque indépendante sur le segment des montres mécaniques en-dessous de 5’000 francs.

D'un poids de 78 grammes seulement, ce modèle Wild One Squelette aux couleurs turquoise est réalisé en Norteq, un matériau ultra-robuste et ultra-léger développé par Norqain.
D’un poids de 78 grammes seulement, ce modèle Wild One Squelette aux couleurs turquoise est réalisé en Norteq, un matériau ultra-robuste et ultra-léger développé par Norqain.

Comment ce constat initial a-t-il mené à Norqain?

Notre volonté était dès le départ d’offrir au client un produit de grande qualité face aux augmentations de prix. Mais était-ce encore possible d’y parvenir en tant qu’indépendant? Il y avait une condition sine qua non, c’était d’investir à long terme, sans actionnaires qui cherchent le profit immédiat, car il fallait accepter des marges moins importantes que dans le plus haut de gamme. En octobre 2017, Ted Schneider est venu me rendre visite à Nidau pour prendre de mes nouvelles après que je me sois déchiré les ligaments croisés au football – j’en ai profité pour lui partager mes plans, ceux d’une nouvelle marque indépendante positionnée entre 2’000 et 5’000 francs…

Il y a cru?

Instantanément – contrairement à beaucoup d’autres personnes que j’avais sondées! Il m’a tout de suite dit qu’il m’aiderait à concrétiser cette idée. Une autre figure-clé de ce projet est le hockeyeur Mark Streit, qui est un ami et un grand collectionneur de montres. Je lui en ai parlé et il m’a dit qu’il effectuerait encore une saison en NHL puis que nous en rediscuterions l’été suivant. Mais il s’est blessé et a dû revenir plus tôt que prévu… Nous avons repris les discussions et il a été convaincu. Dans la foulée il a aussi embarqué un autre hockeyeur de renom, Roman Josi, également intéressé par l’horlogerie. Nous étions réunis, nous étions quatre, nous avions nos réseaux, nos expériences, et nous étions prêts à démarrer cette aventure collective!

Quelles en ont été les étapes?

Avant celle du financement, la question de la stratégie était cruciale. On ne compte plus les investisseurs qui ont financé à perte… Nous avons donc commencé en travaillant très dur à convaincre les détaillants de notre stratégie, avant même de réunir le financement de la production. Nous avons choisi de démarrer en persuadant la distribution! Et bien sûr nous avons défini l’identité de la marque. Ce qu’est cette marque, c’est en réalité ce que nous sommes, ce qui nous réunit et ce que nous aimons nous-mêmes: l’outdoor, la course, la montagne, le sport, la nature, l’aventure, les défis… Cela, les gens le sentent, ils y croient. Et par conséquent ils adhérent à notre marque.

Les craquelures dorées mises en valeur sur le cadran de la Neverest Glacier s'inspirent des crevasses de la cascade de glace du Khumbu, l'étape la plus dangereuse de l'ascension vers le sommet de l'Everest.
Les craquelures dorées mises en valeur sur le cadran de la Neverest Glacier s’inspirent des crevasses de la cascade de glace du Khumbu, l’étape la plus dangereuse de l’ascension vers le sommet de l’Everest.

Et il a fallu aussi convaincre les fournisseurs…

Nous avons envoyé des lettres partout – bien sûr en premier lieu aux fournisseurs que nous connaissions déjà bien, comme Biwi. Le défi auquel nous faisions face est que nous arrivions avec des petites quantités pour démarrer. L’une des premières lettres que nous ayons adressée était destinée à la nouvelle manufacture Kenissi: en effet, à côté des mouvements fournis par Sellita, nous cherchions un aspect différenciant en offrant un calibre «manufacture» – et pas in-house, nuance importante. Nous avons eu rendez-vous chez Kenissi pour partager notre projet, celui d’écrire de nouvelles histoires pour les nouvelles générations. Bien sûr, nous avions déjà des contacts personnels mais à l’époque nous n’avions pas encore vendu une montre, nous étions trois employés et cinq personnes au board… Et pourtant, ils nous ont donné un accord oral de collaboration. Cela a été un moment-clé pour Norqain!

 Muni d'un guichet date à 3 heures, ce modèle Adventure Sport automatique de 37 mm se distingue par le motif typique de la marque sur son cadran.
Muni d’un guichet date à 3 heures, ce modèle Adventure Sport automatique de 37 mm se distingue par le motif typique de la marque sur son cadran.

Finalement, quand a été lancée effectivement la marque?

Les premières discussions ont eu lieu en 2017, la marque a été fondée en 2018 et nous sommes entrés sur le marché avec huit premiers détaillants en Suisse en janvier 2019. C’était très dur de convaincre les détaillants, car beaucoup voulaient des produits en consignation. Nous aurions pu ouvrir 100 portes à ce titre mais sans plan marketing, cela aurait été une erreur – ce dont beaucoup de nouvelles marques ont malheureusement pâti. Nous préférions aller lentement mais sûrement. Et nous voulions sélectionner les meilleurs. Malgré tout, c’est allé plutôt vite: aujourd’hui nous comptons 200 points de vente dans 40 pays, dont Bucherer ou Wempe, et des boutiques en propre à Zermatt et Singapour. Nous ouvrirons aussi bientôt une nouvelle boutique à Zurich.

Norqain: la genèse d'une ascension éclair

Pourquoi pensez-vous qu’ils vous aient fait confiance?

Nous avions mis en place dès le départ un plan ambitieux de notoriété en ligne et leur permettons de toucher une moyenne d’âge plus jeune. C’est un point très important pour les détaillants. Et ils se sont aussi rendus compte qu’il y avait effectivement un déficit d’offre dans le segment des marques indépendantes en-dessous de 5’000 CHF. L’argument Kenissi a également joué un rôle important.

Mais à peine vous êtes-vous lancés en 2019 qu’est survenu le Covid…

Et heureusement que nous avions dès le départ ciblé une clientèle locale, plus accessible à ce moment-là que les visiteurs asiatiques! Mais nous venions d’engager toute une équipe, donc nous n’étions forcément pas rassurés. Une lueur d’espoir a été un message que j’ai reçu spontanément de la part de Jean-Claude Biver, que je ne connaissais pas personnellement. Il s’intéressait aux produits destinés aux nouvelles générations et est venu à Pâques 2020 me rencontrer à Nidau. Il a trouvé que nous mettions exactement le doigt sur ce que toutes les marques dans notre catégorie devraient faire. Mais il m’a posé une question essentielle: «Où est votre modèle vraiment sportif? Pas une smartwatch ni un modèle sport-chic, mais la montre qu’on met pour aller courir sans hésitation.» Et il a poursuivi: «Viens, allons voir les fournisseurs ensemble, on va créer la montre de sport ultime.» Deux semaines après, nous étions en route et il a totalement clarifié la direction que nous prenions. Depuis lors, c’est notre conseiller très spécial.

Jean-Claude Biver, conseiller stratégique: «Il est très important d'avoir des marques suisses indépendantes fortes dans différents segments de prix et Norqain pose un défi au statu quo.»
Jean-Claude Biver, conseiller stratégique: «Il est très important d’avoir des marques suisses indépendantes fortes dans différents segments de prix et Norqain pose un défi au statu quo.»

Quel a été le destin de l’entreprise lorsque les effets du Covid ont commencé à s’atténuer?

Nous avons connu une croissance de l’ordre de 50% en 2021 et nous avons vraiment commencé à sentir une croissance rapide en 2022 avec un taux de 115%, notamment grâce au lancement de la Wild One. Dès le début, nous avons mis en place une structure clair avec trois collections – Aventure, Freedom, Independence – dont nous n’avons pas dévié, et un prix moyen de 3’700 CHF. Notre équipe est jeune avec une moyenne d’âge de 35 ans, nous sommes motivés et tous prêts à faire l’effort supplémentaire qui fera la différence. En parallèle, nous avons aussi beaucoup d’expérience au board avec Jean-Claude Biver en conseiller stratégique, Ted Schneider et ses réseaux dans la distribution, mon père Marc Küffer et sa connaissance de la production, la skieuse Tina Weirather dans le monde du sport et Lorenz Frey-Hilti de la famille Emil Frey, grand spécialiste du digital. C’est une formule gagnante.

Norqain: la genèse d'une ascension éclair

Où se trouvent vos marchés principaux, cinq ans après la fondation de Norqain?

Dans l’ordre: Etats-Unis, Japon et Suisse. Le partenariat avec la NHL nous a aidé pour notre notoriété en Amérique du Nord, tout comme notre rôle de chronométreur officiel du TCS New York City Marathon. Nous avons mis en place une communication accessible, cool, pas arrogante, centrée sur l’outdoor, qui correspond bien à l’esprit américain et nous avons une très bonne équipe sur place. Un marketing efficace, conçu main dans la main avec les détaillants locaux, pèse beaucoup dans la balance. C’est pour cela que nous sommes contents de ne pas avoir cédé au système de la consignation. De plus, toutes nos ventes en ligne sont associées à nos détaillants. Face aux boutiques en propre lancées par un nombre croissant de marques, ils apprécient notre démarche claire et coopérative – et ils ont aussi besoin d’alternatives dans leurs points de vente.

Comment se structure votre société?

Nous sommes 34 personnes à Nidau, où nous allons bientôt rapatrier une partie de la production, qui se fait aujourd’hui chez Roventa-Henex à Tavannes. La production de la Wild One se fera à Nidau.

Bloomberg mentionne 10’000 montres produites l’an dernier chez vous. Correct?

Je ne peux pas vous le confirmer. Mais c’est une source généralement crédible (sourire).

Quels types de clients touchez-vous?

Nous avons deux clientèles principales. D’un côté, le passionné d’horlogerie ouvert à de nouvelles marques et qui reconnaît la qualité de nos produits. De l’autre, le sportif, pas forcément collectionneur de montres mais qui apprécie notre démarche. Sur le segment que nous opérons, nous arrivons aussi à convertir de nouveaux clients à l’horlogerie en général. Le sponsoring d’un grand événement populaire comme le Marathon de New York, décroché grâce à nos réseaux dans le monde du sport, est important de ce point de vue. Tout comme le fait qu’un sportif populaire comme Stan Wawrinka, qui connaît personnellement Roman Josi et Mark Streit, ait spontanément commencé à porter notre modèle Wild One – de seulement 78 grammes – lors du dernier tournoi ATP de Cincinnati.

Vu le rôle de la famille Schneider et vos douze ans passés chez eux, peut-on considérer Norqain comme un «spin-off» de Breitling?

Non, car nos identités sont très différentes. Nous avions justement envie de faire autre chose.

La Wild One Hakuna Mipaka est une édition limitée à 300 pièces développée en collaboration avec l'ambassadeur de la faune sauvage Dean Schneider, qui a créé la réserve du même nom en Afrique du Sud.
La Wild One Hakuna Mipaka est une édition limitée à 300 pièces développée en collaboration avec l’ambassadeur de la faune sauvage Dean Schneider, qui a créé la réserve du même nom en Afrique du Sud.

Norqain: la genèse d'une ascension éclair

D’où vient l’idée de développer le Norteq, un nouveau matériau composite ultra-léger?

Lorsque Jean-Claude Biver nous a dit qu’il nous fallait faire la montre de sport ultime, nous sommes arrivés à la conclusion que celle-ci devait incorporer un matériau différent. Nous nous sommes associés à Biwi pour développer le Norteq – un processus nécessitant de nouveaux outils – qui est un mélange de fibres de carbone à la fois flexible et très résistant pour le boîtier, donc idéal pour une utilisation en extérieur. On le retrouve dans notre modèle phare Wild One, proposé dès 4’950 CHF, soit au sommet de notre pyramide de produits et de prix.

Quel est votre plus gros défi actuel?

Gérer la croissance. L’an dernier, nous nous sommes un peu laissés emporter par les événements et avons beaucoup grandi. La bonne nouvelle, c’est que le sell-out dépasse aujourd’hui le sell-in. Nous sommes donc en phase avec la réalité du terrain. Cela va nous permettre de mieux maîtriser notre développement.

WildONE_Hakuna_Mipaka