Le marché horloger français


Nouveau départ pour L. Leroy?

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septembre 2023


Nouveau départ pour L. Leroy?

C’est l’une des surprises d’Only Watch 2023: la présence d’une montre signée L. Leroy! Signe avant-coureur d’un retour en grâce de la marque française, près de 10 ans après sa dernière tentative? Le groupe Festina, auquel appartient la belle endormie, veut (de nouveau) y croire.

C’

est une marque dont on ne sait pas très bien si l’on doit la mettre dans le grand livre (fermé) de l’Histoire ou dans le catalogue (ouvert) des maisons actives. Un entre-deux indécis, un pied dans le passé, un autre dans le présent. Et une indéniable difficulté à se projeter dans l’avenir.

Dynastie majeure de l’horlogerie, à couteaux tirés avec Berthoud ou Breguet, les Leroy furent longtemps détenteurs de la montre la plus compliquée au monde (la Leroy 01, toujours visible au Musée du Temps de Besançon). De ce glorieux héritage, il ne reste pas grand-chose, si ce n’est un nom prestigieux acquis par Miguel Rodriguez, propriétaire du mastodonte Groupe Festina (5 millions de montres par an, 91 pays, 2’000 collaborateurs).

Leroy 01
Leroy 01

Une place au soleil

Comme tant de ses pairs (comme le Belge Joris Ide avec Lebeau-Courally), l’industriel espagnol rêve de s’offrir, avec L. Leroy, une place au soleil de la Haute Horlogerie. Pour y parvenir, il s’adjoint les services successifs de deux CEO, Guillaume Tripet et Oliver R. Muller. D’ambitieux développements sont notamment engagés avec l’appui de l’horloger Karsten Frässdorf. Mais ceux-ci n’aboutissent pas: si le «Chronomètre Observatoire» est présenté au GPHG, il ne sera pas commercialisé.

Nouveau départ pour L. Leroy?

Probablement échaudé par ces investissements, Miguel Rodriguez prend les mesures qui s’imposent. Sans CEO, sans nouveauté, L. Leroy se rendort. Seuls quelques détaillants subsistent sur leurs propres stocks, notamment le parisien Dubail, inconditionnel soutien de la première heure. Plusieurs modèles boutiques lui furent d’ailleurs dédiés en son vaisseau amiral de la place Vendôme.

Retour inattendu à Only Watch

2023, coup de tonnerre: parmi les 62 lots de la vente caritative Only Watch, figure une L. Leroy. Elle s’inspire d’une montre d’époque (1810), que le Musée Patek Philippe possède aujourd’hui. Pour qui sait la lire, elle emporte sa part de belles promesses.

Déjà, c’est une création originale, ce que l’on n’avait pas vu depuis près de 10 ans. Ensuite, elle se dote de métiers d’arts raffinés, habillant une répétition minutes que la marque avait déjà en catalogue. Enfin, elle s’offre différents matériaux inédits, dont le titane, ce que L. Leroy s’était toujours refusé (la marque n’a jamais travaillé que l’or, à 100%). Doit-on y lire le retour de la belle maison? En tout cas, cette pièce unique a l’art de concilier le désirable avec le possible. Et aiguise quelques appétits.

Nouveau départ pour L. Leroy?

«Celui des collectionneurs est toujours présent», aime à croire Hugo Lesizza. En 10 ans de groupe Festina, ce spécialiste des ventes et de l’export des griffes maison (Festina, Lotus, Calypso, Candino, Jaguar) pilote le renouveau de L. Leroy. «La tendance actuelle est de sortir des grandes marques institutionnelles, ce que nous confirment les quelques ventes que nous faisons encore chez les détaillants Pisa, Dubail ou Cellini.» Un feu qui couve, sur lequel se reprend à souffler Miguel Rodriguez. Mais cette fois, l’homme entend procéder différemment.

Nouveau départ pour L. Leroy?

Une joint-venture genevoise

En premier lieu, il n’y aura pas de CEO dûment nommé: Hugo Lesizza sera le visage de L. Leroy. Il pilotera la marque entre Genève et Barcelone. Les anciennes bases Vaucher sont définitivement oubliées. Pour la suite, et malgré des compétences industrielles colossales (Soprod, MHVJ), le groupe Festina a décidé de faire appel à un partenaire genevois pour développer ses nouveaux modèles.

Une joint-venture est donc créée. «Mouvement, boîte, sertissage, métiers d’art: nous allons tout verticaliser, précise Hugo Lesizza. L’Osmior, collection historique de la marque, va rester notre fer de lance. De même, nous allons demeurer sur les hautes complications que nous maîtrisons déjà, à l’image du tourbillon et de la répétition minutes. Le chronographe monopoussoir va également être revu. Et pour nous ouvrir sur un positionnement plus attractif, nous allons proposer des boîtes en acier ou titane.» Ce que la pièce Only Watch préfigure donc.

Préservation des prix

Le positionnement de L. Leroy, il y a dix ans, s’étirait entre 25’000 et 175’000 CHF. La marque n’entend pas lui imprimer l’augmentation naturelle des prix du luxe, ni l’inflation. Elle devrait donc rester dans la même fourchette tarifaire. Pour y parvenir, elle compte sur l’emploi de matériaux moins onéreux que l’or – ce que Breguet s’est également autorisé à faire en 2018, en déclinant sa Marine en titane. Greubel Forsey, parmi beaucoup d’autres, suit actuellement une voie similaire.

Dans l’immédiat, la marque se consolide. On l’a vue, discrète, au salon WatchTime de New York ou encore au SIAR de Mexico. Pour le moment, ce seront les seuls salons où l’on pourra officiellement rencontrer L. Leroy. La marque était néanmoins officieusement présente aux Geneva Watch Days 2023, hébergée par Perrelet. Plus loin, plus tard, le GPHG est une option étudiée de près. En revanche, Watches and Wonders ne l’est pas. La porte de Palexpo est dans l’immédiat fermée à L. Leroy «pour des raisons de place».

Cinquante montres d’ici 18 mois

Le développement de la marque va ainsi s’opérer très progressivement entre 2023 et 2025. «À partir du second semestre 2024, nous devrions pouvoir proposer une cinquantaine de montres finies, distribuées chez Dubail (Paris), Pisa (Milan), Cellini (New York), Swiss Gallery (Londres) ou encore Carat (Saint-Barthélemy).» Ce qui, au total, représente moins d’une dizaine de montres par boutique.

Car en parallèle Leroy entend développer le segment tant convoité du bespoke, ces créations sur mesure qu’elle veut réaliser, à la demande, pour des collectionneurs privés. En somme, un déploiement commercial assez conventionnel, mesuré et prudent, certainement instruit de l’expérience.

Pour mesurer l’intérêt actuel du marché, les résultats de la vente Only Watch seront décisifs. La pièce est estimée entre 150’000 et 180’000 CHF. Seules 20 montres égalent ou dépassent cette estimation, soit un petit tiers de la vente Only Watch. Parmi elles, les propositions de Ferdinand Berthoud, F.P. Journe, Voutilainen ou encore Audemars Piguet. La concurrence sera rude. Pour L. Leroy, ce sera plus qu’un test: un examen de réadmission.