est la belle histoire d’un joaillier peu ordinaire qui crée des bijoux qui chantent le terroir valaisan. Lors du dernier salon GemGenève dédié à la joaillerie, qui s’est tenu du 4 au 7 novembre 2021, Grégoire Maret présentait ses parures à nulles autres pareilles. Dans les vitrines de son stand, qui avait tout du cabinet de curiosité, les visiteurs pouvaient découvrir ses colliers talismans qui déconcertent ceux qui pensent qu’un bijou est l’alliance de pierres et de matériaux précieux.
Certains bijoux étaient ornés d’une gemme d’un rose à la fois intense et laiteux, de la calcite cobaltifère, provenant de mines de charbon valaisannes désaffectées, d’autres étaient sertis d’un matériau inusité dans la joaillerie: du cep de vigne densifié. Le bijoutier-joaillier, diplômé de l’Ecole Technique de la Vallée de Joux, est passionné de son canton du Valais et aime valoriser son terroir à travers ses créations.
«J’ai eu l’idée de créer des bijoux vernaculaires: utiliser ce que l’on a autour de nous et le valoriser.»
La calcite cobaltifère, une nouvelle gemme suisse
Prenons ses bijoux ornés de calcite cobaltifère pour commencer. À l’origine de ce chapitre, il y a la découverte de deux amis cristalliers. Ils ont trouvé cette gemme au cœur de mines de charbon valaisannes abandonnées depuis 1943 dans la région d’Isérable. Par un beau jour de chance, ils ont découvert des coulures d’un rose très intense, des stalactites et des motifs en draperies, qui contrastaient avec le noir du charbon. C’était au début des années 1990. La pierre a été analysée par le laboratoire de Lausanne en 1995 et a été décrite comme étant de la calcite cobaltifère, une nouvelle gemme suisse qui doit sa couleur aux infiltrations d’eau calcaire chargée de cobalt dans la mine.
Lorsque les deux chasseurs de cristaux ont fait part de leur découverte à Grégoire Maret, l’imaginaire de ce dernier s’est emballé. Tombé sous le charme de cette gemme rebaptisée «rose de mine», il a réalisé un pendentif qu’il a présenté lors du salon GemGenève de 2018. Devant le succès remporté, il en a créé d’autres pour les amateurs de raretés.
Du cep de vigne comme objet précieux
Lors de l’édition 2021 du salon de la joaillerie, Grégoire Maret a décidé de surprendre encore. Pour réaliser la dernière collection de sa marque Pierre d’Alexis, il a utilisé du cep de vigne densifié comme s’il s’agissait d’une pierre précieuse.
- La Dame de Coeur, une création de Grégoire Maret
Ce deuxième chapitre a commencé lors d’une exposition autour du thème de la vigne et du vin qui s’est tenue au Mazot-Musée de Plan-Cerisier en 2019. «J’ai eu l’idée de créer des bijoux vernaculaires: utiliser ce que l’on a autour de nous et le valoriser», explique Grégoire Maret. Le cep est une matière difficile à maîtriser: il ne s’agit pas de bois, mais d’une liane sarmenteuse. Généralement, les vignes qui ne sont plus productives sont arrachées et brûlées. Grégoire Maret avait envie de valoriser cette matière destinée à la déchetterie et d’en faire un objet précieux.
Le cep est une matière difficile à maîtriser: il ne s’agit pas de bois, mais d’une liane sarmenteuse.
Technique innovante de densification
«J’ai demandé à mon ami ébéniste Mathieu Rouiller s’il pouvait créer de petites billes en cep. Et comme il travaille avec la haute école du bois (la BFH à Bienne, ndlr), il leur a demandé de densifier du cep.» Une équipe avait déjà mis au point un procédé de densification du bois afin de fabriquer des matériaux de construction. «Nous avons fait des premiers tests mais le résultat était friable et cassable.»
Il a donc fallu peaufiner la technique qui consiste à imprégner le cep d’une résine synthétique avant de le chauffer à haute température, puis de le compresser. Cette matière est ensuite transformée en petits lingots de 3 cm qui sont façonnés à la main à l’aide de limes puis polis et huilés avant d’être sertis comme une pierre de centre, au cœur d’une monture d’or ou de platine. La matière noble est à l’extérieur et le déchet de la vigne est valorisé au centre du bijou.
- Des lingots de cep de vigne
«C’est plus qu’un bijou, confie Grégoire Maret. Nous sommes tous liés à la vigne dans le Valais. Cela fait partie de nos racines: mon grand-père Alexis était vigneron. Il y a une magie autour de ce matériau! Le cep densifié est aléatoire et capricieux, mais poétique. Chaque lingot provient du cœur du cep et j’utilise le cœur du lingot. C’est une manière de revaloriser le travail du vigneron qui élève ses vignes pendant 35 ou 40 ans. Pour moi c’est cela le nouveau luxe.»
«L’exemple même du bijou responsable»
Ce natif de la commune viticole de Fully se fournit en ceps dans son environnement proche. «La vigne dont j’utilise les ceps a poussé à deux kilomètres de chez moi. Il faut qu’ils soient traçables afin que je puisse certifier leur origine. Ce que je fais est l’exemple même du bijou responsable.»
Le projet a séduit la HES-SO Valais et notamment Dr. Emmanuel Fragnière, qui y enseigne le Service Design et l’Innovation. Avec ses étudiants, il a décidé d’accompagner le développement économique de la collection de bijoux en ceps de Grégoire Maret. «Ces bijoux ont une valeur d’attachement, explique-t-il. Imaginez: je pourrais avoir un bijou fabriqué avec le cep d’une vigne que mon grand-père aurait travaillé pendant 40 ans. On touche aux racines les plus profondes des gens. Ces bijoux racontent une histoire. Il s’agit aussi d’une opportunité pour le tourisme durable.»
- La taille du lingot de cep
«C’est une manière de revaloriser le travail du vigneron qui élève ses vignes pendant 35 ou 40 ans. Pour moi c’est cela le nouveau luxe.»
À terme, Grégoire Maret espère sensibiliser les propriétaires de grands crus de différents pays à sa démarche et utiliser leurs ceps afin de créer des bijoux. Mais c’est une histoire d’avenir.
Son prochain rêve? «Pouvoir développer une manufacture spécifique et revaloriser tous les savoir-faire. Pour ma première collection, j’avais fait intervenir un graveur à l’ancienne. C’est un métier qui se perd: j’aimerais réunir des sertisseurs, des émailleurs autour de ce projet du cep de vigne. Le luxe doit créer de la richesse et celle-ci doit être partagée.»