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LUDWIG OECHSLIN

DR LESS

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mars 2017


LUDWIG OECHSLIN
Q

uand on parle à Ludwig Oechslin de «simplification», il nous corrige aussitôt: «Mon but en-soi n’est pas la simplification pour elle-même mais de faire des montres utiles, fiables, précises et qui fonctionnent à long terme. Réduire le nombre de pièces, donc simplifier le mouvement, permet d’atteindre ce but. En augmentant le nombre de composants, on accumule des possibilités de fautes. Certains paramètres deviennent tout simplement incalculables, notamment en ce qui concerne les problèmes de friction. Mathématiquement, la précision est calculable. Physiquement, elle est relative. A mes yeux, la fonctionnalité prime sur la beauté et sur le nombre de composants accumulés. Mon horlogerie est le contraire de tout ce que fait la Haute Horlogerie.»

Dr Ludwig Oechslin est un personnage atypique parmi les grands horlogers de notre temps. D’une certaine façon, cet ex-conservateur du Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds (MIH) ressemble à ces hommes de la Renaissance pour qui les frontières entre les différentes disciplines n’existaient tout simplement pas. Qu’on en juge: après des études et une licence en sciences antiques, grec, latin et archéologie, il mène de front un apprentissage d’horloger tout en étudiant «en autodidacte» la mathématique, l’astronomie et la mécanique. Il trouvera aussi le temps d’étudier la physique théorique dans la philosophie des sciences et passera un doctorat à l’Ecole Polytechnique de Zürich avec une thèse portant sur «les prêtres astronomes mécaniciens.»

«Mais ce qui a été fondamental pour moi, nous détaille-t-il, est l’analyse que j’ai dû effectuer de l’horloge de Farnese du Musée du Vatican. C’est une horloge extraordinaire, très compliquée, avec des rouages épicycloïdaux sur plusieurs niveaux. Ce qui est fascinant c’est que Bernardo Facini, le constructeur de l’horloge farnésienne n’avait pas tous les outils mathématiques nécessaires aux calculs de ces rouages, une bonne partie de son travail était donc empirique. En travaillant sur cette horloge j’ai développé mes propres outils mathématiques, outils qui m’ont permis par la suite de développer de nouvelles constructions potentielles. Devoir tout recalculer et reconstruire selon une mécanique préétablie oblige à de profondes réflexions. Et grâce à l’analyse, j’ai pu retrouver des idées perdues qui sont devenues aujourd’hui des idées novatrices.»

La Trilogie

Directement issue de ces recherches, la première réalisation de Ludwig Oechslin, présentée en 1985, marquera durablement les esprits. En compagnie de son maître-horloger Jörg Spöring, de Lucerne, il construit en 1981 une horloge astrolabe. Rolf Schnyder, qui venait de reprendre Ulysse Nardin, lui demande d’en faire une montre bracelet. Ce sera L’Astrolabium Galileo Galilei, avec son mouvement entièrement basé sur des épicycloïdes et qui indique la position du soleil, de la lune et des étoiles dans le ciel à n’importe quelle heure donnée. Sans oublier l’indication du lever et du coucher du soleil et de la lune, les phases de lune, les éclipses du soleil et de la lune, le mois et le jour de la semaine. Le tout dans une montre de 40 mm de diamètre pour une épaisseur, glace comprise, de 12,8 mm. Et une exactitude de 144’000 ans. Du jamais vu.

Vont s’ensuivre deux autres montres qui, avec l’Astrolabium, formeront une Trilogie astronomique: la Planétarium, «plus simple mécaniquement, car les 5 planètes tournent sur un seul axe avec une précision de quelques milliers d’années, mais plus compliquée mathématiquement» puis la Tellurium, qui utilise le principe d’un dôme coloré montrant la partie éclairée de la Terre. «Mais il fallait trouver une solution extrêmement fine pour le cadran d’une montre. J’ai eu l’idée d’un fil qui pouvait se déformer grâce à 2 points de torsion aux extrémités. La Lune est montée sur un épicycloïde de telle sorte qu’elle regarde toujours le soleil.»

Mais au-delà de ces performances astronomiques, la quête de fiabilité dans laquelle s’est lancé Ludwig Oechslin trouve un de ses aboutissements dans la Perpetual Ludwig que l’horloger crée pour Ulysse Nardin en 1996. Délaissant les traditionnels leviers au profit de l’utilisation exclusive de roues et d’engrenages, il parvient à éliminer tout risque de mauvaise manipulation qui jusqu’alors était le risque majeur couru par un Quantième perpétuel. La «simplification» opérée est bel et bien au service de la fiabilité.

S’ensuivra encore pour Ulysse Nardin la géniale Freak, apparue en 2001. Son nouvel objectif, qui lui a demandé dix ans de travail, est alors de réaliser «un échappement plus simple et plus fiable que l’échappement à ancre. J’y suis parvenu grâce à un échappement entièrement symétrique: les 2 roues donnent la même impulsion à une toute petite pièce centrale. C’est très simple du point de vue théorique par rapport aux angles complexes de l’échappement à ancre. La construction en est facilitée et la fiabilité aussi. D’autre part il y a très peu de friction, ce qui rend inutile l’huilage. Pour cet échappement, nous avons utilisé le silicium: il fallait en effet un matériau très résistant et très léger pour diminuer l’inertie». Cet échappement est monté sur un carrousel qui fait un tour en une heure. «Et tout est épicycloïdal, à l’exception du barillet qui fait toute la face postérieure de la montre et assure une réserve de marche de huit jours.

On remonte le mouvement grâce à une lunette à l’arrière de la montre et on la met à l’heure grâce à la lunette à l’avant de la montre.» Il suffisait d’y penser, mais «penser» ainsi n’est pas donné à tout le monde.

CALENDRIER ANNUEL

CALENDRIER ANNUEL

Le but d’Oechslin est non seulement technique, passant par la réduction maximale du nombre de pièces, mais aussi fonctionnel et ergonomique en offrant la plus simple et plus directe façon d’afficher les indications calendaires. Ici, pour son Calendrier Annuel, les «trous» aménagés dans le cadran servent d’indicateurs analogiques: 31 trous sur le pourtour pour l’indication de la date, 7 trous à 6h pour l’indication du jour de la semaine et 12 trous à 12h pour l’indication du mois. L’ajustement de la date se fait une fois par an, le 1er mars. Techniquement, Oechslin est parvenu à concevoir le mécanisme de ce calendrier annuel avec seulement 5 composants (contre environ 150 usuellement).

CALENDRIER ANNUEL
CALENDRIER PERPÉTUEL

CALENDRIER PERPÉTUEL

Pour son Calendrier Perpétuel, dont l’affichage analogique par trous est identique à celui du Calendrier Annuel, Oechslin est parvenu à une «simplification extrême» avec seulement 9 composants additionnels et 3 composants modifiés. Cette réduction drastique signifie une baisse considérable des interactions entre les composants et donc une fiabilité supérieurement accrue. Par ailleurs, le réglage du Calendrier Perpétuel ne s’opère plus par un système traditionnel de poussoirs mais en utilisant tout simplement la couronne. La date est ainsi ajustable dans les deux sens. L’assemblage du Calendrier Perpétuel ne prend que 23 minutes.

CALENDRIER PERPÉTUEL
PHASE DE LUNE

PHASE DE LUNE

Une même simplification technique extrême a été apportée par Oechslin à la fonction phases de lune (avec une précision de 3,478.27 années) tout en proposant une lecture immédiate et quasiment didactique du jeu entre Terre, Lune et Soleil. _ Le centre de la montre représente la Terre et le disque doré à 12h représente le Soleil. La pleine lune est quand la Lune est positionnée à 6h, opposée à la Terre et au Soleil. La nouvelle lune est quand la Lune est cachée entre la Terre et le Soleil à midi. Elle est alors représentée par un disque noir à 6h. De plus, les 31 trous indiquent la date.

PHASE DE LUNE

Simplification radicale

De 2002 à 2014, Ludwig Oechslin a dirigé et a été le conservateur du Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds. A son départ d’Ulysse Nardin, il avait laissé à la marque toutes les nombreuses idées développées alors que, dans le domaine horloger, il travaillait exclusivement pour la marque. Parmi celles-ci, une idée allait donner naissance à la montre MIH qui a pu être produite car Rolf Schnyder en avait généreusement cédé les droits. «Je voulais faire une montre vraiment utile, avec un calendrier réunissant sur une seule ligne le jour, la date et le mois. Ça n’existait que sur des montres de poche de Patek Philippe. Il me fallait trouver une solution pour que ça soit grand, très lisible. J’ai déplacé la ligne sur le côté car au centre ce n’était pas possible. Ainsi est né mon calendrier annuel…»

Mais Oechslin a encore bien d’autres envies. «Au cours de mon mandat auprès d’Ulysse Nardin, j’avais proposé beaucoup de choses à Rolf Schnyder, dont certains projets qu’il estimait ‘trop simples’ pour sa marque. Il a accepté de libérer ce potentiel pour que je puisse l’utiliser ailleurs.» C’est ainsi qu’est née la marque Ochs und Junior.

Avec pour la première fois sa propre marque, Oechslin va dès lors pouvoir développer en pleine liberté toutes ses idées de «simplification» technique et de lisibilité optimale.