é en 1921, Georges Dubois habite toujours la petite maison acquise par son père en 1923. Vers l’âge de 15 ans, ne sachant que faire de sa vie mais ayant besoin de « gagner quelques sous », il est allé travailler pour un fabricant de bracelets de cuir et en livrait dans des ateliers d’horlogerie. « Je voyais tous ces horlogers penchés sur leur établi la loupe à l’œil et, franchement, ça ne m’a pas donné une bonne impression. Très peu pour moi. » Il veut devenir confiseur mais les horaires nocturnes lui déplaisent. Mais l’horlogerie va vite le rattraper. Il s’intéresse à la petite mécanique et, faute de place, doit intégrer une classe préparatoire à l’Ecole d’Horlogerie. C’est le déclic. « Ça m’a tout de suite plu, ce côté calme, pas excité, et l’amitié entre les horlogers, comme chez les motards. La précision, la passion, la concentration nous tiennent tous ensemble », commente-t-il d’un œil pétillant.
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- Georges Dubois
Il finit brillamment son école en 1941 et est engagé chez Rolex. « On était 17 personnes dans l’atelier, on avait une semaine de vacances payées par an et je gagnais 150.- CHF par mois. Mais j’ai bien connu Hans Wilsdorf, un type formidable, très sympa. » Après trois ans d’une maladie qui l’empêche de continuer, il guérit, « va se retaper chez un paysan » puis entre chez Patek Philippe. Nous sommes en 1948. Il y restera 38 ans.
« J’ai tout de suite apprécié parce que je pouvais y pratiquer pleinement mon métier. J’ai commencé par le mécanisme de remontage, on satinait, on polissait, on anglait. Et par la suite, j’ai presque tout fait : réparer les échappements, un travail au 100e. J’ai fait de l’emboitage, posé des cadrans émail, du réglage de spiraux, de l’équilibrage de balanciers et puis je me suis spécialisé dans le montage des pendules Dôme et de leurs parois émaillées. Pas le droit à l’erreur. Jusqu’à ma retraite, c’est moi qui les ai toutes montées », note-t-il avec fierté.
Quand on lui demande ce qu’il pense de l’horlogerie actuelle, Georges n’hésite pas un instant : « J’ai visité des ateliers… Ce ne sont plus des horlogers qui montent les montres mais des opératrices qui font chacune un tâche limitée. Ce n’est plus la même chose. Avant, il n’y avait que des horlogers ! J’ai eu une belle vie.» Son seul regret : sa femme, rencontrée chez Patek, disparue depuis 15 ans ! « Belle, oh oui. Et d’humeur si heureuse. Je n’aurais pas pu mieux tomber. Elle avait 10ans de moins que moi. » Et pour la première fois, ses yeux se teintent de nostalgie.
Au sous-sol de la maison de Georges Dubois, qui à ses heures perdues réparait des horloges anciennes et créait des objets, on découvre un atelier complet d’horlogerie et de petite mécanique, scrupuleusement aménagé au fil des décennies. Il a déjà fait don à sa commune d’une large partie de son imposante collection d’outils d’horlogers du XIXème et des débuts du XXème.
- 1. MICROMÈTRE « Le micromètre ? On devait en faire un à l’école d’horlogerie. Un sacré exercice de précision. Une fierté. Il cote au 1/10ème. »
- 2. MONTRE D’ÉCOLE « Ma montre d’école. On devait la réaliser intégralement. A la fin, j’ai reçu le Prix Golay & Stahl. C’est pour ça que Rolex m’a engagé. »
- 3. PETIT AVION EN BOIS « Cet avion, c’est un Catalina. Les proportions sont parfaitement exactes. Je l’ai commencé à la hache, l’ai taillé dans une bûche. C’était dans une cabane, durant la guerre, quand j’ai été mobilisé à la frontière. J’ai toujours adoré le bois. »
- 4.OUTILS « Parmi tous les outils, j’ai une préférence pour ce marteau, si élégant, si fin. Il est en laiton, et non pas en acier, pour ne pas abimer les pièces qu’on martèle. »
- 5. ELÉPHANT ET STATUE EN BOIS « L’éléphant, j’avais 18 ans quand je l’ai fait. C’était pour un copain. Pour sculpter la statuette, je me suis inspiré d’une image de la Côte d’Ivoire qui me plaisait bien. »
- 6. PISTOLET EN BOIS « Ma fille devait aller à une fête costumée. Alors je lui ai fait un pistolet en bois avec mes tours. Je crois que ça m’a pris une après-midi. »
- 7. CADEAU DE PATEK PHILIPPE « Cette montre, je l’ai reçue en 1973 pour mes 25 ans de boulot. Je ne l’enlève jamais, même quand je fais le jardin. Ça fait 35 ans que je l’ai au poignet. »