a trajectoire de Nicolas Baretzki suit une ligne de conduite et cette ligne s’appelle Richemont.C’est au sein du groupe qu’il a accompli l’essentiel de sa carrière.

Ce diplômé de l’école de commerce HEC Paris a passé huit ans chez Cartier, où il est entré en 1994, puis plus de onze ans chez Jaeger-LeCoultre dès 2002 où il a travaillé sous la direction du CEO Jérôme Lambert, à qui il voue une fidélité qui dure depuis deux décennies. Il l’a suivi chez Montblanc en 2013 et après avoir été le directeur international des ventes de la marque, depuis le 1er avril 2017 il en en occupe le poste de CEO.

En bon chef d’orchestre, Nicolas Baretzki dirige l’ensemble des activités de Montblanc: l’horlogerie, fabriquée en Suisse au Locle et à Villeret, les instruments d’écriture produits à Hambourg, en Allemagne, et les articles en cuir, accessoires, parfums et lunettes réalisés en Italie.

Le siège de Montblanc à Hambourg

Depuis son arrivée, il s’est employé à augmenter la cote de désirabilité de la marque et en nommant Marco Tomasetta en tant que directeur artistique, il a réussi à redonner un coup de jeune à la division maroquinerie qui en avait grand besoin.

Nicolas Baretzki, CEO de Montblanc depuis 2017

Lors d’un entretien, il s’est livré sur la stratégie qu’il a mise en place, à la fois au niveau global et pour chacun des métiers en revenant sur ces six années passées à la tête de la maison à l’étoile blanche.

Europa Star: Lorsque vous êtes arrivé à la tête de Montblanc en 2017, quel fut le plus grand défi que vous ayez dû relever?

Nicolas Baretzki: Au-delà de reprendre une maison, d’occuper un poste de CEO pour la première fois et de marcher dans les pas de Jérôme Lambert? (sourire) Montblanc a toujours grandi grâce à la volonté de ses dirigeants de la faire évoluer, de la transformer, d’innover, tout en prenant soin de ses racines qui sont la culture et l’écriture. Le plus grand défi, c’était d’être capable de continuer à avancer dans cette direction. Montblanc se construit en regardant vers le futur, sans pour autant remettre en cause le passé, mais en l’utilisant comme une force. C’est ce que j’ai fait depuis 2017 et ce que tout successeur continuera à faire.

Vous êtes à la tête d’une maison qui a des activités multiples: les instruments d’écriture, la maroquinerie, l’horlogerie. Quelles sont les qualités nécessaires pour pouvoir orchestrer ces différents métiers?

Quand on est dans une maison comme Montblanc, la première qualité est de savoir s’entourer. On ne peut pas être un expert dans tous les domaines et ma priorité fut de trouver la bonne personne pour la maroquinerie, pour le marketing, etc., et d’avoir une équipe forte qui apporte son expertise. Il faut être animé d’une forme d’humilité. C’est une maison qui demande beaucoup d’énergie: nous avons des activités en Suisse, en Italie, en Allemagne et il est donc important d’être très présent. Il est aussi nécessaire d’avoir une vision de marque, afin de ne pas entrer dans une logique de silo. Il existe un lien très fort entre les différentes activités de la maison et cela nous permet d’harmoniser notre message et de créer des campagnes globales. Un client vient avant tout chez Montblanc; ensuite il est attiré par certaines catégories.

1858 Automatic 0 Oxygen The 8000 41mm. Les montres 0 Oxygen sont dépourvues de tout oxygène afin d’améliorer leur performance et leur précision sur la durée, même dans des environnements montagneux extrêmes.

1858 Iced Sea Grey Dial

En 2021, vous avez nommé Marco Tomasetta, qui est passé chez Dolce & Gabbana, Fendi, Prada, Dior, Gucci, Chloé, Givenchy et Louis Vuitton, comme directeur artistique de Montblanc en 2021. Qu’est-ce qu’il l’a attiré auprès de votre marque, plutôt éloignée des podiums et du monde de la mode qu’il avait connus auparavant?

Nous avions besoin d’une personne qui ait une approche globale, une vision créative transversale et qui puisse s’imprégner de l’histoire et des origines de Montblanc. La maison a un double positionnement: le hard luxury et le soft luxury. Quand j’ai interviewé les différents candidats, j’ai été séduit par Marco et son book qui exprimait sa perception de Montblanc. Il était très attentif à l’histoire, aux icônes, il réfléchissait à la maison avant de penser à lui. Ce point est important chez Montblanc: ce n’est pas une maison où l’on met en avant des personnalités, mais le produit. Ce qui l’a séduit, c’est le potentiel qu’il a perçu. Il a utilisé la puissance de l’écriture et ses codes pour construire un message. Entrer dans une maison qui est au-delà du territoire de la mode et des podiums lui permet de travailler à la fois sur le contenu et la culture.

En octobre à Genève, Montblanc a ouvert un atelier provisoire pour faire démonstration de ses différents métiers.

Les instruments d’écriture sont les stars d’origine de Montblanc. Quelle est votre vision de ce métier?

J’ai une approche très pragmatique. L’écriture, dans un monde qui devient très digital, est une façon de se différencier et une vraie force. En voyageant tout autour du monde, j’observe la puissance retrouvée des livres, des bibliothèques, des librairies. Il y a un nombre croissant de blogs et de pages Instagram qui mettent en lumière l’art de l’écrit, de la calligraphie. L’écriture nous permet d’exprimer un savoir-faire et un artisanat. Nous avons un boulevard devant nous. Notre mission est d’inspirer et de convertir l’ensemble des générations au monde de l’écriture et de les inviter dans le nôtre qui est celui des instruments de luxe. C’est une belle mission. La crise du Covid nous a aidés: beaucoup de gens se sont retrouvés chez eux et ont redécouvert le goût de l’écrit.

Est-ce qu’il existe une forme de «pollinisation» transversale entre les différents métiers et comment cela se manifeste-t-il?

C’est ce que nous faisons de plus en plus grâce à une personne comme Marco qui supervise l’ensemble du processus créatif, tant au niveau des produits que de la communication. Nous travaillons autour de thèmes très légitimes pour Montblanc. Si l’on prend celui de la montagne, par exemple, on le retrouve au sein de toute notre gamme de produits: dans nos montres avec les collections 0 Oxygen ou Iced Sea, dans nos instruments d’écriture avec le Meisterstück Glacier et dans notre maroquinerie. Le message principal de la maison est un message de marque avant d’être un message de catégories.

Stylo plume High Artistry A Journey on the Orient Express Limited Edition 1, un hommage au train du même nom. Confectionné en or 18 K, il s’inspire des marqueteries décoratives intérieures de René Prou avec des diamants sertis dans un motif floral englobant le capuchon et le corps.

Dans les métiers de l’horlogerie, vous utilisez plusieurs niveaux de mouvements. Quelles sont les qualités nécessaires pour qu’une montre soit dotée d’un mouvement Minerva?

Pour vous répondre, je vais revenir à notre monde d’origine, qui est l’écriture. Nous proposons des produits classiques, des modèles thématiques et des pièces d’exception, comme la collection «High Artistry A Journey on the Orient Express Limited Edition» que nous avons lancée à Paris. Nous avons deux équipes différentes qui créent, l’une les instruments classiques et l’autre les éditions limitées. Ce sont des compétences et des processus de fabrication différents. L’approche est la même pour l’horlogerie. C’est une question de finition et de positionnement de prix. Lorsque l’on entre dans le domaine de Minerva, il s’agit de pure horlogerie et d’innovation. Par exemple, le modèle 1858 Unveiled Timekeeper Minerva, présenté lors de Watches and Wonders, avec une fonction chronographe qui se déclenche non pas par des poussoirs mais par la lunette elle-même, est une vraie révolution dans le monde de l’horlogerie.

Modèle historique Minerva

Le modèle 1858 Unveiled Timekeeper Minerva possède une fonction chronographe qui se déclenche non pas par des poussoirs mais par la lunette elle-même.

Minerva est un trésor mais souvent méconnu. Lors d’une présentation de vos montres chez Bucherer à Genève, personne dans l’assemblée n’a su dire que Montblanc possédait cette manufacture. Envisagez-vous de la mettre mieux en lumière et si oui, comment?

Je pense qu’il faudrait arrêter de différencier Minerva et Montblanc. Il existe une catégorie «horlogerie» chez Montblanc mais nous n’avons pas une horlogerie Minerva. Pour nos clients, ceci est très clair. Minerva est un trésor. C’est une manufacture qui a plus de 160 ans d’histoire, qui possède un patrimoine exceptionnel. C’est une source d’inspiration. Cette maison est très connue dans un cercle de collectionneurs qui achètent toutes nos dernières éditions en série limitée, toutes nos innovations. Mais il s’agit d’une manufacture qui a une capacité limitée en termes de production, et donc en termes de valeur. Minerva, ce n’est pas juste un nom: son histoire et sa technologie doivent en effet être plus mises en avant. Nous y allons étape par étape. Il fallait d’abord définir les codes d’une montre qui a un calibre Minerva.

1858 The Unveiled Secret Minerva Monopusher Chronograph Limited Edition

Quels sont ces codes?

Depuis 18 mois, nous utilisons une lunette cannelée en matériau précieux qui vient signifier que cette pièce a un calibre Minerva. Avec le modèle 1858 Unveiled Timekeeper Minerva, c’est une autre façon de mettre cette lunette en avant en lui donnant une fonction. Petit à petit, nous construisons des éléments forts, que ce soit un élément de design particulier, ou une fonction, qui permettent de reconnaître la qualité du calibre. Nous avons la chance d’avoir un cercle de collectionneurs qui croient énormément en ce que nous sommes en train de faire avec Minerva et qui sont des sortes d’«évangélistes» nous aidant à parler de ce trésor. Mais nous ne sommes pas dans l’urgence: nous ne pouvons pas construire mille mouvements Minerva dans l’année.

1858 Geosphere Chronograph 0 Oxygen The 8000

La crise du Covid a été pour certaines marques, dont la vôtre, un accélérateur des ventes en ligne. Etes-vous en train de repenser les boutiques Montblanc et l’expérience vécue par le client, tous produits confondus?

Le développement de l’ère digitale chez nous a commencé bien avant le Covid: notre premier site en ligne remonte à 12 ou 13 ans. Mais le Covid a en effet été un accélérateur. En créant un «Ink Bar», un bar à encre, nous avions la volonté de faire venir les clients dans les boutiques afin de tester différents types de plumes, de prendre des cours de calligraphie. On ne vient pas chez Montblanc seulement pour acheter un produit: on vient vivre une expérience. Mais inversement, nous nous sommes engagés dans une ère plus digitale: aux Etats-Unis, nous avons mis en place un système de cours de calligraphie gratuits pour faire redécouvrir aux gens la joie d’écrire et de bien écrire. Et chaque fois que nous mettons un cours en ligne, 1’500 personnes s’inscrivent. Depuis le début de cette opération, nous avons dû toucher plus de 200’000 personnes. Je n’oppose pas les mondes. Nous vivons dans un monde digital mais nous organisons des expériences uniques dans les boutiques, qui donnent envie d’interagir, d’entrer plus dans les détails et de vivre sa passion. Nous avons par exemple développé un outil extraordinaire qui permettra au client de personnaliser sa plume et qui sera dévoilé l’an prochain à l’occasion des cent ans du Meisterstück.

Et vous, écrivez-vous des lettres à la plume?

Oui, je n’écris qu’à la plume. Pas parce que je travaille chez Montblanc, mais parce que j’ai redécouvert le plaisir d’écrire avec une plume. Je n’ai pas une écriture très lisible et la plume me permet de la rendre plus agréable. La joie que l’on a de recevoir un courrier aujourd’hui est tellement fort! C’est un effort de prendre un papier, d’écrire, de poster une lettre, mais cela procure tellement de plaisir à celle ou celui qui la reçoit. Dans nos boutiques, nous avons d’ailleurs mis en place des boîtes aux lettres où les gens peuvent écrire et envoyer des cartes postales. Cela redonne de l’importance à l’écrit. Il y a quelque chose de vivant dans l’écriture. On ne peut que retomber amoureux des lettres manuscrites.

Coffret Iced Sea