- Europa Star Avril 1993
Né en Belgique en 1938, fils d’un fabricant de gants d’origine juive, Severin Wunderman devra son salut face aux Nazis en étant caché dans une école pour enfants aveugles, dont il était le seul enfant voyant. A l’âge de dix ans, sa mère étant décédée, il est envoyé vivre à Los Angeles. Au début des années 70, on le retrouve commercial aux USA pour la marque horlogère française Alexis Barthelay.
Lors d’un voyage à New York, il a une idée: il parvient à rencontrer Aldo Gucci et à le persuader de lui commander pour 250’000.-US$ de montres griffées à son nom. Mais Barthelay se trouvant bien en peine de les livrer, Wunderman propose alors à Aldo Gucci un autre deal: il va quitter Barthelay, monter sa propre structure et s’occuper lui-même de faire produire ces montres. Petit hic, il n’a pas un sou en poche: qu’à cela tienne, Aldo Gucci lui fera un chèque et paiera la commande d’avance!
On est en 1972, Wunderman crée Severin Montres, acquiert la licence horlogère Gucci (puis plus tard Fila) et durant les 25 prochaines années, il développera une affaire multimillionnaire en fabriquant et en distribuant les montres Gucci. Son intuition majeure: ne pas compter sur les réseaux traditionnels des détaillants horlogers mais distribuer essentiellement à travers les grands magasins en mettant en avant le nom Gucci; suivre les rythmes de la mode, coller aux tendances et appliquer les recettes du marketing «made in USA» à de l’horlogerie de qualité «Swiss made». En dix ans, il multiplie ses ventes par 100 et donne des idées à bien des marques qui se lanceront à leur tour dans la diversification horlogère.
Lors de sa visite à Lengnau en 1993, Europa Star se montre impressionné par la modernité du centre: «sur 4’000m2, on ressent physiquement la puissance de cette organisation qui traite plus d’un million de montres par an. L’immeuble est centré autour d’une vaste pièce forte centrale dans laquelle sont stockées en permanence 300’000 à 400’000 montres, et autour de laquelle tout les différents services sont organisés de façon totalement intégrée…» écrivions-nous.
Mais au même moment, une menace plane sur le Severin Group: la bataille pour le contrôle du groupe Gucci fait rage depuis quelques années. Investcorp, qui détient aussi Ebel et Breguet, notamment, est en passe de s’en emparer intégralement et la licence horlogère Gucci, en attente de renouvellement, ne court que jusqu’à mai 1994.
Le 14 octobre, Severin Wunderman joue son va-tout en publiant dans tous les journaux de Suisse une lettre ouverte vantant ses succès avec Gucci Watches. Il met en avant les emplois en jeu et plaide publiquement sa cause auprès d’Investcorp. Le lendemain, coup de théâtre, un accord est signé, la licence est prolongée d’une année, «le temps de négocier une nouveau contrat à long-terme qui bénéficiera aux deux compagnies.»
L’aventure va effectivement se poursuivre encore quelques années jusqu’en 1997, quand Investcorp revendra Gucci au groupe PPR de François Pinault (devenu aujourd’hui Kering) et rachètera du coup la licence horlogère à Severin Wunderman.
Avec ce pactole, il s’emparera de Corum, mais c’est là une autre histoire…