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Guillochage: les nobles sillons de Kari Voutilainen

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juin 2023


Guillochage: les nobles sillons de Kari Voutilainen

Avec sa discrétion légendaire, et autant de travail, d’obstination et de cohérence, Kari Voutilainen trace un chemin horloger d’excellence. Indépendant, maîtrisant de façon autonome quasi l’ensemble de ce qui sort de ses ateliers, doté d’un rare souffle artistique, il se paie désormais le luxe de sauvegarder et de revivifier un art qui, dans ses formes les plus créatives et artisanales, était en voie d’extinction progressive. Celui, ancestral, du guillochage.

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ne des premières qualités de Kari Voutilainen est sans doute sa grande discrétion. Sa souriante timidité naturelle cache de grandes ambitions. J’ai un souvenir personnel à cet égard. Au GPHG de 2007, il remporte le Prix de la Montre Homme avec son modèle Observatoire de très grande précision. Lors du photo-call rassemblant tous les vainqueurs, on voit tout le monde... sauf lui, dissimulé derrière la forte corpulence d’un des mâles alpha de la tribu horlogère.

Kari Voutilainen a le triomphe modeste. Mais depuis, sans jamais s’en être vanté, il cumule à ce jour le record enviable de neuf prix du GPHG. Devenu l’un des représentant les plus reconnus de la planète horlogère sans avoir fait d’autre bruit que la perfection du tic-tac et la beauté de ses garde-temps – et de ses cadrans –, il surplombe désormais tout le Val-de-Travers du haut de son vertigineux «Chapeau de Napoléon», la manufacture horlogère sans doute la plus escarpée au monde.

Guillochage: les nobles sillons de Kari Voutilainen

Mais il ne s’est pas pour autant arrêté à ces hauteurs.

Il n’est de loin plus la one-man manufacture de ses débuts (où tout l’outillage tenait sur une énorme et épaisse table) et travaille désormais directement avec une trentaine de collaborateurs. Chez Kari Voutilainen, on fait tout ou presque, sauf les pierres (que l’on rectifie, pourtant, si nécessaire), le ressort de barillet, le spiral (Moser) et le saphir.

On y dessine, construit, fabrique tous les composants des mouvements, échappements, platines, ponts, roues, pignons, goupilles (plus de 16’000 composants usinés par an). On y décore, angle et peaufine dans les règles les plus strictes de l’art, on monte, démonte et remonte les mouvements, on règle, on contrôle, on communique, on vend. Une véritable manufacture totalement indépendante.

Par ailleurs Kari Voutilainen est actionnaire depuis bientôt dix ans de l’entreprise Comblémine SA, 26 collaborateurs, où il élabore et produit tous ses cadrans – et dieu sait combien ils sont complexes.

Toujours discrètement, il est aussi en train de relancer l’important et historique legs horloger d’Urban Jürgensen après avoir racheté la maison en 2021 avec un groupe d’investisseurs et en être devenu le CEO. Fondée en 1773, la marque fête cette année ses 250 ans. Pour marquer cet anniversaire, il s’apprête à dévoiler de nouvelles collections qui revisiteront l’héritage de cette exceptionnelle dynastie horlogère – tout en y apportant «de nouvelles idées et solutions techniques», a-t-il déjà annoncé (et on peut le croire sur parole). Il connaît d’ailleurs parfaitement la maison pour y avoir collaboré à l’époque avec le regretté Peter Baumberger et le grand horloger Derek Pratt.

Un centre d’excellence dans l’art du guillochage

Mais ce n’est pas tout. Déjà connu et reconnu pour l’excellence de ses cadrans et la qualité de leurs guillochages (sans même parler des pièces uniques combinant guillochage et métiers d’art rares), il est en train, toujours avec sa discrétion légendaire, de mettre sur pied un véritable centre d’excellence dans l’art du guillochage (dont Urban Jürgensen est d’ailleurs un des hérauts).

Fondamentalement attaché à la préservation des métiers et à la nécessité de la transmission – son propre parcours en témoigne amplement (lire à ce propos notre portrait paru en juillet 2021, à retrouver sur europastar.com), Kari Voutilainen apprend récemment que Georges Brodbeck, un des meilleurs guillocheurs encore en activité mais proche de la retraite, cherche à perpétuer son art et à transmettre en de bonnes mains les précieuses machines de son atelier.

Georges Brodbeck aux commandes d'une de ses guillocheuses
Georges Brodbeck aux commandes d’une de ses guillocheuses
Photo: Guillaume Perret

Aux yeux de Kari Voutilainen, pas question de voir se disperser – voire passer en partie à la casse – le véritable patrimoine de l’art pluriséculaire du guillochage réuni dans l’atelier de Georges Brodbeck à Saignelégier. Il y a là toutes les guillocheuses possibles et imaginables: tours à flinquer qui permettent de dessiner des secteurs réguliers, guillocheuses à ligne, guillocheuses dites «à tapisserie» avec lesquelles il est possible de créer des «poches», comme, par exemple, des fleurs sculptées en profondeur, des décors à trois dimensions. Toutes ces machines, Georges Brodbeck, en formidable mécanicien de précision qu’il est, les a restaurées, modifiées, améliorées (car on ne fabrique plus de guillocheuses depuis la fin des années 1950).

Mais encore faut-il savoir les utiliser. Aujourd’hui, seul Georges Brodbeck est capable d’en exploiter toutes les potentialités combinées. Acheter ses machines était donc une chose, mais s’assurer de son concours pour former de futurs guillocheurs capables d’utiliser ces machines en était une autre. Car l’art et les «secrets» de Georges Brodbeck leur confèrent tout leur sens. Un patrimoine ne survit que s’il est vivant, transmis, exploité.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. En novembre 2022, Kari Voutilainen apprend par une connaissance qu’un autre atelier de guillochage est à vendre, celui de Wolfgang Lötterle, fameux guillocheur de Pforzheim, en Allemagne, qui, passés les 80 ans, a décidé de se retirer. Spécialiste en guillochage notamment des fameux briquets de table Braun, de fume-cigarettes, de stylos plumes et guillocheur attitré pendant de longues années pour les œufs de Fabergé, celui-ci possède des machines à guillocher aussi rares que particulières.

Ni d’une ni de deux, Kari saisit l’occasion et rachète tout l’atelier, soit une dizaine de machines exceptionnelles, en parfait état, dont des guillocheuses «à tapisserie», une guillocheuse pour stylos (aussitôt transformée pour pouvoir guillocher des cadrans) ou encore une rare machine datant de 1907, construite en bois et métal, une autre datant de 1920...

Une rare guillocheuse «à tapisserie»
Une rare guillocheuse «à tapisserie»
Photo: Guillaume Perret

Et là, comme il l’avoue lui-même, il commence à «y croire très fort».

Il fait venir le tout à Fleurier et convainc la municipalité de lui laisser acquérir l’ancienne École d’Horlogerie de la commune, bâtie en 1896. Il y réunit l’ensemble du parc de Brodbeck et celui de Lötterle pour la transformer en un pôle d’excellence du guillochage.

Son idée, son rêve est, selon ses propres mots, de «faire du guillochage quelque chose de central. Il y a tant de choses à explorer, tant de formes, de variations... Il y a tant à apprendre.» Georges Brodbeck y transmet déjà son art et sa science mécanique à Ali, l’un des collaborateurs de Kari Voutilainen, et cinq guillocheurs y sont à l’œuvre.

L'école d'horlogerie de Fleurier en 1905
L’école d’horlogerie de Fleurier en 1905

Il conserve cependant huit machines à guillocher dans son nid d’aigle du Chapeau de Napoléon, juste au-dessus de Fleurier, réservées au strict usage de ses propres cadrans. Et il entend transformer progressivement les trois étages du bâtiment de Fleurier en un centre spécialisé non seulement dans le guillochage – un étage entier étant déjà réservé aux pièces uniques et aux prototypes – mais également, au-delà, dans les métiers d’art, tels que la gravure ou l’émail.

Cet art consommé du guillochage, Kari Voutilainen en a déjà fait sa marque distinctive sur nombre de cadrans, démontrant les qualités expressives de cette technique artisanale. Vagues, courbes, entrelacements ou rigueur géométrique, jeux de reflets savants, miroitements, illusions optiques... la liste des potentialités du guillochage d’art est sans fin.

La nouvelle Worldtimer CSW Cushion Shape Worldtime

La nouvelle Worldtimer que Kari Voutilainen présente aujourd’hui en étonnera plus d’un. Avec son fort boîtier coussin en acier de 39 x 39 mm et de 12 mm d’épaisseur, ses quatre vis spéciales qui fixent la lunette (quatre vis identiques fixent le dos de la montre), les jeux de gris de son cadran, elle arbore une modernité audacieuse à laquelle le classicisme formel de Voutilainen ne nous avait guère habitué.

La CSW (pour Cushion Shape World-time), au style à la fois technique et sportif, fait ainsi la démonstration de la contemporanéité du guillochage.

Deux secteurs au guillochage différent, effectué sur des plaques d’argent, galvanisées ensuite au ruthénium puis décalquées, se partagent le centre du cadran. A l’extérieur, on trouve 24 divisions gravées qui rayonnent en soleil; au centre, un très fin guillochage de type Trivagues. Tout autour tournent les disques des villes symbolisant les 24 fuseaux horaires et celui des 24 heures, divisé en blanc et en noir pour le jour et la nuit.

Le boîtier en trois parties (ce qui facilite l’emboîtage et la pose des disques du Worldtime) reste pur car, fonctionnellement, la correction des heures universelles se fait sans poussoir dédié mais par simple pression de la couronne.

La Worldtimer CSW Cushion Shape Worldtime
La Worldtimer CSW Cushion Shape Worldtime

Le mouvement qui les anime est le Calibre propriétaire 216TMZ (tout comme la fameuse Ji-Ku de l’an dernier). Il est doté d’un nouvel échappement avec deux roues d’échappement à impulsion directe sur le balancier de 13,50 mm (sans raquetterie mais réglage par masselotte) avec spiral Philips/Grossmann qui bat à 18’800 alternance/heure.

La performance en est accrue de 30%, l’ensemble est insensible aux chocs et la réserve de marche est de 60 heures. Une configuration qui se prête parfaitement aux mouvements rotatifs des disques, tout en conservant une minceur de 30 mm x 6 mm. Il va sans dire que décoration et finitions du mouvement sont de tout premier ordre. Platine principale et ponts sont en maillechort, les roues en or rose et les aiguilles en or blanc, façonnées exclusivement par la main du maître.

Petit clin d’œil – mais qui en dit long sur le parcours personnel de Kari Voutilainen: parmi les villes du monde inscrites dans les 24 fuseaux de la Worldtimer, on trouve Môtiers, dans le Val-de-Travers, où Kari a eu son premier atelier d’indépendant, et Kemi, la ville finlandaise où il a grandi. Une profonde et artistique âme finlandaise logée dans une exceptionnelle mécanique helvétique.

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