es premières actions de Laurent Lecamp à la tête de l’horlogerie Montblanc ont consisté – comme pour beaucoup d’autres nouveaux dirigeants – à «revenir aux sources» et à «prendre de la hauteur». A l’exception près que, dans son cas, ces poncifs peuvent être appliqués littéralement!
C’est ainsi que suite à sa nomination il se rend, appareil-photo en bandoulière, sur le toit de l’Europe occidentale pour contempler les six vallées glaciaires du massif du Mont-Blanc formant le logo de la marque allemande depuis le début du 20ème siècle.
Les origines de la manufacture de Hambourg sont peut-être dans le stylo haut de gamme, mais son nom la prédestinait à se rapprocher de l’écosystème horloger. Et pas seulement géographiquement, le sommet se trouvant à quelques lieues de Genève et de sa riche tradition dans le domaine.
La hauteur du Mont Blanc (à l’époque on l’appelait plutôt «Montagne Maudite», les Alpes étant vues comme le bastion d’une nature dangereuse et inquiétante) aurait été ainsi évaluée pour la première fois par l’astronome et horloger genevois Nicolas Fatio au 17ème siècle, grâce à un poste d’observation établi depuis le château de Duillier. C’est aussi lui qui, le premier, préconise l’utilisation des rubis pour minimiser les frottements dans le mouvement d’une montre!
N’oublions pas de mentionner non plus que le pionnier de l’alpinisme, Horace Bénédict de Saussure, l’un des premiers à conquérir le sommet un siècle après les calculs de Fatio, se trouvait parmi les fondateurs de la Société des Arts, qui donnera naissance à l’Ecole d’horlogerie de Genève – une vénérable institution pédagogique, essentielle pour la bonne santé de l’horlogerie suisse – qui célèbre en 2024 son bicentenaire.
- Coffret en édition limitée, à la base en granit et couvercle en plexiglas décoré du relief du massif du Mont-Blanc: il contient trois modèles Montblanc Iced Sea Automatic Date, avec chacun un fond de boîtier muni d’une gravure laser colorée représentant une vue différente du Mont Blanc: la version bleue est ornée de l’Aiguille du Moine, la verte représente Les Drus et la grise représente Les Grandes Jorasses.
Est-ce à cela que pensait Laurent Lecamp en empruntant le petit train à crémaillère du Montenvers qui l’emmenait sur la mer de Glace? Son objectif était surtout d’ouvrir de nouvelles routes pour la marque, tiraillée entre plusieurs chemins possibles: Haute Horlogerie, héritage de Minerva, tendance sport-chic, voire montre connectée? Mais tout devait commencer par la conception d’une esthétique forte et différenciante, celle qui fait les grands noms de l’horlogerie et que l’on reconnaît à plusieurs mètres, sans devoir déchiffrer un nom sur un cadran.
Les multiples couleurs du glacier
Et ce cadran, justement, devait évoquer instantanément la vision qui s’offrait à lui en ce jour fondateur, celle d’un glacier majestueux, ce «camp de base» pour toute l’horlogerie Montblanc. De retour en plaine, tout juste nommé, Laurent Lecamp s’attelle à la retranscription de la photo-référence qu’il a prise, pour que celle-ci devienne le visage de la montre qu’il a en tête. Il s’en ouvre à sa nouvelle équipe. Nous sommes en 2021.
«Faire un glacier sur le cadran? C’est impossible! Sinon cela aurait déjà été fait, vous pensez bien», lui répond-on immédiatement dans le cercle des fournisseurs qu’il contacte. Pas de quoi le décourager: si cela n’a jamais été fait, cette caractéristique sera forcément originale et distinctive…
- Chaque cadran de la Iced Sea Automatic Date s’inspire de la Mer de Glace, le plus grand glacier du massif du Mont-Blanc, et donne l’impression de regarder directement à travers la glace grâce à une technique de fabrication spéciale, le «gratté boisé».
Finalement, la solution vient d’un fournisseur qui propose de remettre au goût du jour une ancienne technique, le «gratté boisé», afin d’évoquer les profondeurs d’un glacier avec tous ses minéraux emprisonnés au fil du temps. Cette technique fait partie des 30 étapes requises pour pour la production d’un seul cadran: il s’agit entre autres d’osciller entre surfaces planes, creusées et rayées, entre parties mat et polies et de vernir le tout avec la bonne teinte en préservant les surfaces ainsi créées.
Cette méthode n’est que très peu utilisée de nos jours car il faut être équipé d’une «gutta» – une plaque de bois agglomérée qui permet de tenir les pieds des cadrans et ainsi de les traiter manuellement – qui ne se trouve plus dans le commerce. Chaque cadran est frotté avec une brosse et une lessive naturelle, par des mouvements circulaires qui vont faire briller la plaque de base et ainsi faire ressortir la couleur après passage aux bains galvaniques.
Question couleurs, justement, si l’on imagine instinctivement un glacier blanc ou bleu, il en existe de teintes fort différentes, que l’on retrouve sur les cadrans créés par Montblanc. Des variations notamment en raison de la présence d’«impuretés» modifiant la couleur des glaciers.
La glace bleue se trouve dans la Mer de Glace du massif du Mont-Blanc et est créée par l’inclusion de bulles d’air dans la glace, tandis que la glace verte se trouve dans l’Antarctique et résulte de la présence d’algues microscopiques dans la neige. On parle de glace noire lorsqu’elle n’a pas d’inclusions ou de bulles d’air et absorbe donc suffisamment de lumière pour apparaître noire. Ce phénomène peut aussi résulter de cendres volcaniques dans sa structure, dont on peut voir des exemples dans les régions polaires.
La couleur grise s’inspire quant à elle de la glace de l’un des plus grands glaciers du Mont Blanc, la Mer de Glace. Sous certains éclairages, la glace apparaît grise et révèle les dépôts minéraux qui ont été capturés dans sa structure depuis des millénaires. En d’autres lieux, la neige peut se parer de couleurs acidulées, allant du vert pomme au rouge en passant par des nuances de jaune orangé. Cela se produit à des périodes précises de l’année, généralement au printemps et en été lorsque des algues microscopiques vivant au sein même de la neige se mettent à proliférer. Normalement invisibles à l’œil nu, ces organismes deviennent alors si nombreux que leur couleur peut être visible de très loin dans le paysage.
«Nous ne reproduisons que des couleurs qui existent dans la nature, précise Laurent Lecamp. Maintenant que nous avons acquis une légitimité sur ce type de cadran, nous voulons aller toujours plus loin dans les détails.» Et de souligner que depuis ce développement, de grands noms du circuit ont cherché à obtenir cette même technique auprès du fournisseur, en vain. Tout était bien, dès l’origine, dans le nom même de la marque, dans ces glaciers qui emprisonnent et conservent tout – y compris des hommes préhistoriques, comme Ötzi (-3200 av. J.-C.) – avec une puissance évocatrice très intense pour l’esprit humain…
Faire du dos un paysage
Ce sens du détail ne s’applique pas qu’au cadran, mais à tous les composants de la montre. Ainsi du son émis par la lunette tournante, évoquant le chant du dauphin. Ou l’interchangeabilité et l’ajustabilité instantanée du bracelet aux maillons en forme de V. C’est ici aux besoins pratiques de l’alpinisme et ses mousquetons, retranscrits sur le poignet, que l’on pense.
Dans cette réflexion complète sur les bases de Montblanc, l’«invisible» horloger n’est pas oublié – à savoir le dos de la montre. Plutôt que de se contenter du fond ouvert devenu mainstream dans l’horlogerie suisse, Laurent Lecamp a décidé de s’emparer du dos du boîtier pour tenter de changer la sociologie même de la montre: «Je voudrais qu’en prenant en main une montre Montblanc, on commence par la retourner et par regarder ce qui se cache derrière la boîte!»
- La marque a également développé une technique particulière de gravure laser en trois dimensions du fond du boîtier, offrant une profondeur et un réalisme exceptionnels. Sur ce modèle est représenté le mythique K2 dans l’Himalaya.
A cette fin, les modèles Iced Sea (devenus les plus vendus de la marque, dont les deux tiers en acier) sont munis au dos d’une gravure laser colorée en trois dimensions pouvant représenter le Mont Blanc, un autre sommet emblématique, des drapeaux de prières tibétains, un iceberg, un plongeur en eaux glacées…
«Pour moi, le luxe, c’est d’abord tout ce qui ne se voit pas, à la manière des coutures écarlates qui se dissimulent sous un gilet de veston. Et à nouveau je cherche une signature, un axe différenciant, un niveau de finitions esthétiques et techniques jamais vu sur ce segment, précise Laurent Lecamp. Ce fond est comme une photographie, il a un effet hypnotique. Comme en alpinisme, on est attiré par ce que l’on ne voit pas, par le mystère, par la curiosité de ce que l’on observera seulement en atteignant un sommet…»
Quatre étapes sont requises pour réaliser les gravures laser en trois dimensions au dos des montres, qui consistent en une oxydation de titane: l’«abaissement» visant à donner du relief a l’image, sa structuration avec un rendu mat ou brillant, la colorisation et enfin la gravure du pourtour. Il faut compter en moyenne 4h30 de travail par fond.
Pas d’oxygène, pas d’oxydation
L’alpinisme, c’est une certaine esthétique qui, on l’a vu, influence fortement la conception des cadrans. Mais c’est aussi un milieu «high-tech» et scientifique, où la performance est au centre des enjeux. A ce titre, nul n’a marqué davantage les esprits que Reinhold Messner, le premier à avoir conquis les 14 sommets de «8’000» dans le monde. Comment a-t-il réussi? Dans le style le plus simple, en traçant sa voie sans sherpas, sans accompagnant et surtout sans assistance à oxygène. Soit le style «alpin» appliqué à l’Himalaya…
Reinhold Messner est un «Mark Maker», un ami de la marque. Et son exploit datant de 1986 inspire désormais aussi la conception des garde-temps Montblanc, puisque ceux-ci sont munis de la technologie «Zero Oxygen».
Comment celle-ci fonctionne-t-elle? Les boîtes et les mouvements sont transférés dans une chambre stérile où les horlogers de Montblanc retirent complètement l’oxygène et – la nature ayant horreur du vide – le remplacent par de l’azote (un gaz neutre), avant de réaliser l’emboîtage à l’intérieur de la machine développée par la marque, munis de gants.
- Montblanc a développé la technologie Zero Oxygen que l’on retrouve par exemple sur ce modèle 1858 Geosphere 0 Oxygen The 8000, hommage aux alpinistes ayant conquis les sommets dépassant 8’000 mètres dans le monde. Cette technologie présente plusieurs avantages en éliminant la buée et en évitant l’oxydation, allongeant la durée de vie du mouvement.
Ce procédé complexe requiert beaucoup plus de temps qu’un emboîtage traditionnel mais la valeur ajoutée est conséquente: «Moins de friction des composants, plus de durabilité des fonctions, aucun souci lors de changement de température, pas de buée…» Chaque modèle est livré avec un certificat Zero Oxygen.
Laurent Lecamp a pu en tester lui-même les bienfaits lors de la dernière édition de l’Antarctic Ice Marathon, qu’il a courue aux côtés de Simon Messner, le fils de Reinhold. Celui-ci se déroule sur l’Union Glacier, à quelques centaines de kilomètres du Pôle Sud: un parcours de 42,2 kilomètres à pied sur neige et sur glace, à 700 mètres d’altitude, une température de -20 C° et un vent souvent violent… «J’ai eu de la peine sur la fin il a fallu serrer les dents sur les dix derniers kilomètres!» Avantages constatés sur place: les modèles Zero Oxygen ne prenaient pas l’humidité, ils n’étaient pas embués… et bien entendu ils ne devaient pas être rechargés!
«Le Zero Oxygen est un autre concept distinctif fort de l’horlogerie Montblanc, que l’on ne pourra pas nous prendre! L’oxydation agit sur le corps humain comme sur les montres: elle nous fait vieillir. Retirer l’oxygène du boîtier retarde le processus de vieillissement des composants et des huiles.» Et de préciser: «Là aussi, il y a eu au début une certaine réticence des équipes, car cela n’avait jamais été fait auparavant. C’est peut-être parce que je ne suis pas ingénieur que j’ose proposer des idées qui peuvent d’abord paraître naïves. Mais il ne faut surtout pas se limiter…»
Minerva, une inspiration perpétuelle
Hors des exploits technologiques sur les modèles sportifs, d’autres développements sont en cours dans une horlogerie plus traditionnelle. Un nom résonne haut et fort chez Montblanc: celui de la manufacture historique Minerva qu’elle a progressivement intégrée ces dernières années. Tous les calibres depuis 1902 peuvent encore y être envoyés pour restauration!
Là aussi, Laurent Lecamp travaille sur des élément distinctifs: la lunette cannelée pour contrôler la fonction chronographe, le mouvement retourné – la «crème de la crème» en terme de manufacture, avec des développements de calibres exclusifs pour certains collectionneurs. «La collection Iced Sea nous a permis de recruter énormément de nouveaux clients. En parallèle, nous pouvons satisfaire les plus grands collectionneurs avec l’héritage de Minerva et la maîtrise des grandes complications», conclut Laurent Lecamp. Un mariage d’artisanat et de science, d’esthétique et de performance – et des nouveautés à découvrir dès notre prochain numéro!
- La montre Montblanc The Unveiled Secret Minerva Monopusher Chronograph en édition limitée permet de voir l’intégralité du calibre MB M16.29 de la Maison qui a été inversé pour révéler toute la magie du mouvement du chronographe. Bien que retourner un mouvement puisse sembler simple, il s’agit en réalité d’une prouesse technique car la direction des aiguilles doit également être inversée. Cette édition limitée à 88 pièces présente un boîtier en acier inoxydable vieilli de 43 mm, une lunette crantée en or blanc et un bracelet en cuir d’alligator nubuck noir doté d’une boucle triple déployante en acier cranté munie d’un système de réglage précis.