le-carnet


La Suisse, valeur refuge. Et l’horlogerie?

juin 2025


La Suisse, valeur refuge. Et l'horlogerie?

Il y a dix ans, une annonce choc faisait fortement réagir l’industrie horlogère juste avant l’ouverture du SIHH, le 15 janvier 2015: l’abandon du taux plancher du franc suisse vis-à-vis de l’euro par la Banque nationale suisse. Un «tsunami» selon l’expression de Nick Hayek.

M

algré cette douche froide pour les exportations, il s’ensuivra des années records pour l’horlogerie suisse, portée par le luxe et les années de frénésie consumériste post-covid Si le franc suisse fait de longue date office de valeur refuge en période d’incertitudes, alors l’horlogerie suisse, elle, a pour un temps fait l’objet de valeur d’investissement «alternative» pour la liquidité créée par les banques nationales pour soutenir la reprise économique suite à la pandémie.

L’essor du marché secondaire en a été le meilleur reflet. La forte baisse des cotes a ensuite illustré la sortie de ce marché d’un certain nombre d’investisseurs passagers.

Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour faire du franc suisse la valeur refuge ultime: le pays est considéré par plusieurs observatoires comme le plus «sûr» politiquement, économiquement, au milieu de la tempête. Les taux négatifs sont à nouveau sur la table des outils disponibles pour la Banque nationale suisse.

Politiquement, les tensions sont maximales, dans plusieurs régions du monde. Les conflits passent à une intensité plus élevée.

Economiquement, l’annonce en plein Watches and Wonders, dix ans après le fameux SIHH du franc fort de 2015, de droits de douane drastiques par les Etats-Unis est intervenue alors que le marché américain avait largement soutenu la flambée post-covid de l’horlogerie suisse, compensant la méforme économique du précédent eldorado, chinois celui-là. Les défis conjoncturels, voire structurels, se sont ainsi abattus avec obstination sur l’industrie horlogère suisse depuis plusieurs mois.

Fera-t-elle preuve de la même résilience qu’il y a dix ans? Le marché secondaire semble en tout cas destiné à retrouver une forme de stabilité, le fond de la baisse ayant été touché selon plusieurs indices. Les cotes se retrouvent en moyenne plus basses qu’au pic de 2022, certes, mais plus hautes qu’avant la pandémie.

La Suisse, valeur refuge. Et l'horlogerie?

Même constat pour le marché du neuf. Les exportations annuelles sont revenues à un résultat moindre qu’à leur pic de 2023 – avec ce décalage, on voit là cet aspect prédictif que joue le marché secondaire: c’est désormais lui qu’il faut observer pour connaître la tendance du neuf et non l’inverse! Mais ces exportations restent plus élevées qu’avant la pandémie.

Que peut-on en déduire? D’abord que les «lendemains de fête» sont toujours difficiles à gérer. Mais aussi, en prenant une plus large perspective, que la montre suisse a touché un niveau de désirabilité, durant ce pic, qui lui a permis d’atteindre un statut auprès de nouvelles générations de clients qui était inimaginable quelques années auparavant. Nombre de ces clients sont repartis. Mais ce nouveau statut, lui, va drainer ses effets encore à long terme, même si, pris dans les affres conjoncturelles de cette année, il est parfois difficile de s’y raccrocher.

Ce qui risque de continuer en revanche, imperturbable depuis deux décennies, est la baisse des volumes, reflétant une spécialisation toujours plus grande des horlogers suisses dans le haut de gamme. Et comme il y a dix ans, cette nouvelle situation favorisant un franc fort ne fera rien pour l’arranger. Ni les nouvelles barrières douanières potentielles.

Cette période de ralentissement voit notamment la chaîne de sous-traitance faire recours au chômage partiel pour passer ce nouveau cycle dont personne ne peut dire combien de temps il durera.

Si la tendance ne va pas dans leur sens, plusieurs marques ont tenté ces dernières années d’offrir une horlogerie plus accessible, pour les classes moyennes plutôt que l’élite. Il serait regrettable que leurs valeureux efforts s’en trouvent contrariés. Car les volumes restent un pré-requis pour un écosystème horloger sain, du premier composant jusqu’à la vente finale.

L’histoire nous a appris à être prudents: la séquence d’il y a dix ans offre un bel éclairage rétrospectif – qui envisageait, en ce mois de janvier 2015, l’âge d’or qui s’ouvrirait pour l’horlogerie suisse? – quand nos archives nous montrent que l’exercice prospectif, lui, est autrement périlleux! Seule l’histoire dira si cet éditorial rejoint les textes qui ont eu tout vrai ou tout faux…

VOTRE NEWSLETTER HEBDOMADAIRE