le-carnet


Guerre des codes

CASSER LES CODES N’EST PAS CHOSE AISEE

janvier 2019


Guerre des codes

La dictature du temps court, du temps instantané, devient impitoyable. Elle aveugle tout le monde, à commencer par ceux qui la pratiquent. A peine une ou deux photos apparues de la Code 11.59 d’Audemars Piguet, et les réseaux se déchaînent avant même d’avoir pu toucher l’objet et d’avoir pu le soupeser. Une jungle remplie de tams-tams guerriers. Un assaut de toutes parts, un dénigrement moqueur, la curée.

L

es conservateurs ne sont pas ceux que l’on croit. On associe volontiers réseaux sociaux, instagrammers, twitters et autres influenceurs numériques drogués à l’instantanéité à la part la plus «disruptive» de la société. Il n’en n’est rien. Ceux qui se croient les plus modernes sont en fait les plus réactionnaires. Comme en politique, où l’on constate régulièrement que ceux qui maîtrisent le mieux les outils numériques sont les plus rétrogrades idéologiquement.

La Royal Oak (1972) est à la fois le veau d’or d’Audemars Piguet, représentant l’essentiel de son chiffre d’affaires de 1 milliard et 100 millions CHF en 2018 (dixit officiellement François-Henry Bennhamias) et son problème. Comment sortir de la quasi monoculture de la marque droguée à la Royal Oak et à sa soeur musclée Offshore? Une réflexion indispensable, complexe mais nécessaire car, comme on le sait, la monoculture finit pas appauvrir les sols et, un beau jour, le temps passant, on court le risque de se retrouver tout dépourvu.

Guerre des codes

Le pari risqué d’une collection complète

L’enjeu, pour Audemars Piguet, du lancement d’une nouvelle proposition était donc et reste stratégique. Plutôt que de tenter un ou des ballons d’essai, la marque a décidé de lancer d’emblée une collection complète - en l’occurrence 6 modèles déclinés en 13 références, équipés de nouveaux mouvements propriétaires. Un pari donc à haut risque, destiné à d’emblée marquer les esprits et élargir l’assiette de sa clientèle « en écrivant un nouveau chapitre » du livre de la manufacture. En agissant ainsi, en créant donc une forte attente et en misant beaucoup sur les réseaux mêmes qui allaient ensuite «dégommer» sa proposition, François-Henry Bennahmias et ses équipes ont pris un fort risque et ont fini par se faire manger par les premiers invités.

A son lancement en 1972 la Royal Oak laissa les professionnels de l’époque tout à fait perplexes. Jamais une montre étanche en acier n’avait été vendue au prix de l’or, soit 3’300.- CHF de l’époque. De plus, elle est jugée bien trop grosse - vous imaginez, 39 mm, alors que les montres de l’époque avoisinaient les 36 mm! -, un peu vulgaire avec ses vis apparentes, une vraie «patate». Éditée à 1’000 exemplaires, elle devra attendre quelques années avant de prendre son véritable envol.

Guerre des codes
La Royal Oak de 1972

Laisser du temps au temps

La grande différence entre 1972 et 2019 est que juger d’une montre voulait alors dire avant tout la toucher, la soupeser, l’examiner avant de diffuser son jugement. Le temps qu’elle passe d’un cercle à l’autre, d’un observateur à un autre, le jugement s’affinait, se pondérait, se nuançait. Rien de tout ça ne peut subsister dans l’instantanéité du buzz mondial - et comme on le sait bien, plus le buzz est meurtrier, plus il sera relayé.

Nous nous sommes donc personnellement interdit d’émettre le moindre jugement avant de pouvoir évaluer de visu l’objet véritable en question. Puis de prendre le temps avant de l’exprimer (nous avons tous fait l’expérience d’être sortis perplexes d’un film puis que celui-ci fasse lentement son travail souterrain et que notre opinion à son sujet s’en transforme).

Et donc personnellement, au risque de me faire lyncher par la horde de ses détracteurs, j’avoue humblement avoir trouvé l’objet Code 11.59 tout à fait intéressant, pertinent, fort bien dessiné, ergonomique, lisible, confortable (mais sans doute un peu cher).

Guerre des codes

Contrairement à la Royal Oak, immédiatement reconnaissable quel que soit l’angle sous laquelle on la regarde, la Code 11.59 est une montre d’un abord beaucoup plus complexe: fort différente vue de face et vue de profil, elle ne se dévoile pas d’un seul coup d’oeil mais mérite qu’on s’y penche plus longuement. Peut-être est-ce là une des raisons de la réaction furibarde des réseaux qui ne fonctionnent qu’à l’identification immédiate et à la reconnaissance sociale instantanée (d’où paradoxalement le succès de la Royal Oak, montre qui ne nécessite pas d’être un connaisseur pour être reconnue).

Allez la toucher !

D’un diamètre raisonnable selon les standards du moment - 41 mm - la Code 11.59 s’apprécie dans la qualité de ses détails et la beauté de ses finitions. Au premier abord, c’est son verre doublement incurvé qui frappe le regard. Il permet une parfaite lisibilité et vient souligner l’extrême finesse de la lunette. Vues de face, on ne devine pas que ses cornes sont évidées et tiennent comme en suspension son boîtier central, légèrement en retrait, et dont la forme octogonale agit comme le subtil rappel d’une filiation esthétique avec son aînée la Royal Oak. Cette construction particulière permet un délicat jeu décoratif de surfaces et de reflets tour à tour polis et mats, sablés. Ergonomique, elle se porte parfaitement et confortablement. Les très beaux cadrans, épurés et sobres, offrent une belle profondeur. Le soin apporté aux détails est remarquable, à l’image de la signature réalisée en or par croissance galvanique, ce qui lui confère une précision et une netteté absolues.

Faute d’avoir testé la montre, nous ne nous prononcerons pas sur les mouvements, sauf à noter qu’ils ont été spécifiquement conçus pour cette nouvelle collection.

Sans esbroufe, subtilement, la Code 11.59 - est-ce là un bon nom? On peut se poser la question car il évoque immanquablement une heure digitale - mérite qu’on prenne son temps pour l’apprécier pleinement. C’est ce que les réseaux n’ont pas su faire. Le temps leur donnera-t-il tort? Au final, c’est aux clients de le décider. Elle est désormais lancée, à elle de se débrouiller avec ses propres arguments. Et ils ne sont pas négligeables.

GALERIE

Guerre des codes
Automatique. Heure, minute, seconde centrale, date.

Guerre des codes
Chronographe flyback. Heure, minute, petite seconde, date.

Guerre des codes
Calendrier perpétuel. Semaine, jour, date, lune astronomique, mois, année bissextile, heure, minute.

Guerre des codes
Tourbillon volant automatique. Heure, minute.

Guerre des codes
Tourbillon squelette. Heure, minute.

Guerre des codes
Répétition minute Supersonnerie. Heure, minute, petite seconde.