le-carnet


Quand le marketing fait de l’ombre au produit

L’inflation des mots ronflants

janvier 2019


Quand le marketing fait de l'ombre au produit

Le récent SIHH a démontré une belle créativité horlogère. Malheureusement, et trop souvent, celle-ci a été masquée par des discours marketing finissant par tous se ressembler.

«P

assion», «émotion», «authenticité», «créativité», «ADN», «racines», «repousser les limites», «tradition et modernité», «quête éternelle», «absence de compromis», «perfection», «vision», «réinvention permanente», «pureté», «iconique», «esprit pionnier», «maîtrise»… bref, n’en jetez plus !

Glanées au gré des conférences de presse, ces épithètes se retrouvent dans tous les discours qui, immanquablement, précèdent la présentation des nouveaux modèles des grandes marques. Comme si le produit lui-même ne suffisait pas et qu’il faille systématiquement l’enrober dans un emballage pompeux, solennel, répétitif et bien souvent creux.

La différence de discours entre les grandes maisons établies et les horlogers du Carré était frappante. Même s’il est orgueilleux et ambitieux, l’horloger indépendant reste la plupart du temps humble face à son propre travail. Moins il en délègue la réalisation, plus il en parle avec modestie, comme on parle de son propre enfant, même si celui-ci est un surdoué. Tout le contraire des empires du luxe qui délèguent leur communication à des jeunes gens tous formés au même moule des grandes écoles.

Quand le marketing fait de l'ombre au produit

Nul hasard donc que leurs discours finissent par tous furieusement se ressembler. A tel point qu’ils en deviennent quasiment interchangeables et que ce qu’un tel affirme ici pourrait être repris à l’identique par tel autre.

«La passion qui anime nos horlogers» en est l’exemple le plus frappant. On a l’impression que moins une entreprise a de vrais horlogers à son service mais bon nombre d’opérateurs voués à des tâches répétitives, plus elle vante la «passion» et le «dévouement» de ses employés. Cette manie de l’hyperbole a ceci de nuisible qu’elle finit par faire de l’ombre à des produits par ailleurs intéressants, dont elle masque les véritables qualités.

Sans vouloir revenir longuement sur l’exemple de la Code 11.59 d’Audemars Piguet (cliquer pour lire à ce propos notre CARNET précédent), on peut néanmoins noter que le lancement de ce produit, précisément très intéressant, a été d’une certaine façon pollué par son emballage trop grandiloquent. A vouloir sans doute trop en faire, Audemars Piguet s’est fait prendre à son propre jeu, mais à revers et à ses dépens. Gavés par ailleurs de «passion», d’«émotion» et d’«authenticité» servies à toutes les sauces, les réseaux sociaux se sont rebellés et en ont profité pour déverser leur fiel. Dommage pour le produit qui ne le méritait pas.

De façon plus générale, ce type d’accident marketing, comme on dit «accident industriel», a occulté le fait qu’au-delà de leurs discours trop ronflants, la plupart des marques ont présenté cette année des produits pour le coup véritablement inventifs, souvent très bien dessinés, techniquement intéressants et de bonne qualité. On y reviendra en détail dans nos colonnes.

Quand le marketing fait de l'ombre au produit

Le contre-exemple parfait de cette inflation hyperbolique des discours marketing se trouvait au SIHH, chez Richard Mille avec sa collection Bonbon et ses «friandises horlogères qui invitent au retour à l’enfance, au plaisir d’un simple souvenir gustatif». Même si leur prix est tout aussi «bonbon» que leur aspect et que ces sucreries ne s’adressent qu’aux enfants très très riches, il faut convenir que ce discours frais et acidulé tranchait nettement avec la pompe solennelle de ses confrères.