out récemment, un important sous-traitant horloger, dont nous tairons le nom, nous expliquait, accablé, comment graduellement ses clients avaient changé. Peu à peu, les véritables connaisseurs et passionnés des métiers de l’horlogerie avec lesquels il pouvait discuter ouvertement ont été remplacés par des gestionnaires dépourvus de toute culture horlogère, issus d’autres industries ou de grandes écoles de commerce spécialisées dans le luxe, préoccupés uniquement par les chiffres et obsédés par le contrôle.
A tel point (et franchement, on n’en croyait pas nos oreilles) que désormais les grands commanditaires exigent d’avoir un accès permanent et exhaustif à l’avancée graduelle de la production de leurs pièces par les sous-traitants. Ce qui signifie tout bonnement avoir accès aux serveurs informatiques de l’entreprise choisie afin de pouvoir contrôler en temps réel le bon déroulement et la conformité de toutes les étapes de la production de leur commande.
Et comme si tout ça ne suffisait pas, ces obsédés du contrôle (une manie venue d’outre-Atlantique) ont pris l’habitude d’envoyer régulièrement des inspecteurs dûment mandatés pour procéder à des audits de cette production et de l’intégralité de la société, allant (sic) jusqu’à ouvrir les frigos pour vérifier ce qu’il s’y trouve.
Peu à peu, les véritables connaisseurs et passionnés avec lesquels il pouvait discuter ouvertement ont été remplacés par des gestionnaires dépourvus de toute culture horlogère.
Qu’il est loin le temps ou une poignée de mains ou un simple bon de commande suffisait. On était alors entre professionnels aguerris de la chose horlogère, on connaissait le niveau de qualité offert par le sous-traitant, on se faisait confiance, entre partenaires souvent grandis sur les mêmes bancs d’école.
Mais le plus grave, dans ce changement culturel profond qui a vu les financiers obnubilés par la share-holder value remplacer les artisans, est la mise en danger de ce qui fait la valeur suprême de l’horlogerie suisse, ses savoir-faire. Des savoir-faire qui se délitent peu à peu, au risque de disparaître dans les poubelles de l’Histoire. Le même sous-traitant nous expliquait ainsi que là où il avait un employé administratif, il lui en faut désormais cinq ou six, notamment pour répondre à l’inflation des normes et à la lourdeur des processus de certification et de contrôle.
A cette culture de la surveillance généralisée (un phénomène qui touche par ailleurs tous les aspects de la société contemporaine) s’ajoute une pression constante et farouche sur les prix. Au bout du compte, ce sont les petites structures qui trinquent et qui ne peuvent plus répondre à ces exigences technocratiques. Elles sont devenues incapables de se conformer aux appels d’offres comportant de telles exigences.
Or c’est là qu’on trouve l’inventivité, la créativité, la soif d’innovation, dans ces petites cellules dynamiques qui ont si longtemps constitué la trame essentielle du tissu horloger helvétique. La financiarisation du luxe, avec ses vues à court-terme, finira par tuer le luxe ou tout du moins le videra de la substance humaine qui fait pourtant sa véritable valeur et sa pérennité.
Là où il avait un employé administratif, il lui en faut désormais cinq ou six, notamment pour répondre à l’inflation des normes et à la lourdeur des processus de certification et de contrôle.
Mais ne nous décourageons pas. Et applaudissons à l’existence d’un Salon comme l’EPHJ qui réunit plus de 800 sous-traitants à Genève du 18 au 21 juin. Un Salon où les gens parlent encore entre eux. Avec passion et en toute convivialité. D’ailleurs, les collectionneurs ne s’y trompent pas, qui viennent visiter le Salon pour composer leur propre montre directement avec les sous-traitants!