l y a là un artisan grec de selles pour mulets, une tisserande écossaise de la lointaine Ile de Lewis, une vitrailliste un peu punk de Lituanie, un graveur sur cuir de Cordoba, deux cordellières de Norvège, mais aussi un plumassier français, un maître-horloger, une émailleuse, une peintre miniature, un créateur d’automates et un skateur micro-ébéniste, tous suisses, un graveur allemand, un créateur anglais de globes terrestres, une fabricante de poêles en céramique suédoise, un mosaïste en pierre dure de Florence…
Quinze histoires singulières
- Quelques uns des artisans, en compagnie du cinéaste Thibault Valloton (en chemise noire).
Ce qui les différencie, c’est la parfaite maîtrise des gestes bien particuliers de leurs arts séculaires – et pour certains en voie de disparition. Mais ce qui les rassemble est le plus important. Tous cherchent moins à reproduire une tradition qu’à la renouveler profondément. Tous évoquent l’importance de la transmission et le long apprentissage nécessaire pour parvenir à la maîtrise. Tous ont aussi une blessure secrète qui les a rendus amoureux fous de l’indépendance et de la liberté. Enfin tous ont un rapport fort, immédiat, vital à la nature.
L’homo faber, celui qui unit directement l’esprit et la main – en passant par le cœur – n’est-il pas le plus accompli des homos sapiens ? On aimerait qu’il soit son futur.
Conçus par le cinéaste lausannois Thibault Valloton, 15 petits films présentent ces artisans au public. Réalisés avec beaucoup de sensibilité et d’empathie, ils parviennent en 3 minutes à nous faire partager leur passion pour des artisanats menacés et leur farouche individualité.
Petit regret: on aurait aimé voir un plus grand nombre de leurs réalisations. Mais l’exposition vaut le détour, qui nous démontre que la passion et l’engagement peuvent continuer à enchanter notre monde.
Peter Bellerby, créateur de globes terrestres. Royaume-Uni
Il faisait un tout autre métier, rémunérateur mais en rien manuel, quand il décida de faire cadeau à son père d’une mappemonde (il faut dire que dans sa famille on trouve le fameux explorateur David Livingstone). Aucune ne lui convient. Alors il décide d’arrêter son travail et d’en confectionner une lui-même en utilisant les techniques traditionnelles de la menuiserie, du papier collé, de l’aquarelle. Une rupture qu’il ne regrette pas. Aujourd’hui, 22 employés confectionnent avec lui les plus beaux globes terrestres au monde, tout à la fois précis et poétiques.
Eric Charles-Donatien, plumassier, France
Mère antillaise, père français, grandi en banlieue de Paris, il a conquis la mode – et au-delà – en jonglant avec le plus fragile, le plus coloré et le plus léger des matériaux, la plume. «L’homme regarde de haut l’animal et voilà qu’il lui emprunte les plus belles de ses parures. Il veut retrouver l’animal», dit-il. 14 ans durant responsable artistique de Lemarié, célèbre plumassier de la haute-couture française, il collabore avec tous les grands noms. Désormais, il a son propre studio dans lequel il marie la plume avec le cuir, le bois, le métal pour créer parures, accessoires et objets d’art.
Bastien Chevalier, micro-ébéniste, Suisse
Bastien, c’était skate et graffiti. Mais s’il continue le skate, il a arrêté de graffiter les immeubles. Ça lui a valu une grosse amende qui l’en a dégoûté mais la passion du geste artistique ne l’a pas quitté. Elle a trouvé presque par hasard un nouveau terrain d’expression, tout à fait inattendu: la micro-mosaïque de bois. Depuis lors, Bastien découpe à la main de microscopiques pièces des bois d’essence diverses qu’il collectionne et compose ses micro-mosaïques ultra-contemporaines sur des cadrans de montres qui n’excèdent guère les 40 mm de diamètre. Il travaille pour les plus grands noms mais crée aussi ses propres motifs, ceux de sa génération, ceux du skate et du graff.
Philippe Dufour, maître horloger, Suisse
On ne présente plus Philippe Dufour, le maître-horloger de la Vallée de Joux, révéré par toute la communauté horlogère, considéré comme «trésor vivant» jusqu’au Japon, pays expert de l’artisanat. Tout concourt à sa légende mais elle correspond exactement à sa vérité: l’homme travaille seul – trop exigeant – dans une ancienne salle de classe de son village, fait sa montre de A à Z, en polit et décore le mouvement comme nul autre, a un carnet de commandes pour dix ans. Mais ce solitaire, garde-chasse, promeneur, conseiller municipal, tient comme nul autre à la transmission et offre généreusement ses conseils. Et dire qu’il est arrivé à reculons en horlogerie. Bon en tout mais «nul en mathématiques» à l’école, il ne lui restait que l’Ecole d’Horlogerie de la Vallée. Mais une fois la lime en mains, il ne l’a plus lâchée. Il avait trouvé sa voie. Et l’horlogerie son maître.
François Junod, créateur d’automates, Suisse
Sainte-Croix est la Mecque suisse des automates et François Junod son inventeur le plus échevelé. Son oncle est dans le métier et enfant il lui rend sans cesse visite dans son atelier empli de merveilles qui bougent tout seules. Ensorcelé, il reprend l’atelier mais lui, il veut «casser les codes» de cet art mécanique traditionnel, amener de la poésie, du rêve, de la magie, côtoyer les surréalistes. «La mécanique c’est simple, ça n’a pas changé, c’est toujours une histoire de rouages, de ressorts, de bielles, etc… Mais avec ces mêmes éléments de base, on peut tout créer». Auteur d’androïdes écrivant des poésies, comme pour Jaquet Droz, il crée aussi une œuvre singulière, personnelle, unique en son genre qui renouvelle totalement la pratique de cet artisanat d’art.
Izabela Kovalevskaja, vitrailliste, Lituanie
Izabela était tatoueuse, ses bras en témoignent encore. Mais elle voulait aller «au-delà» de cette pratique, amener de la couleur, de la lumière. Alors, elle s’est tournée vers le vitrail, un art qui était très répandu en Lituanie. Mais un art en voie de disparition depuis le retrait de l’Union soviétique et l’indépendance du pays. Un seul lieu encore où apprendre, quatre élèves seulement. Si Izabela utilise toutes les techniques traditionnelles dans la réalisation de ses vitraux, elle y apporte un imaginaire qui mélange son passé de tatoueuse et sa fascination pour le Moyen-Age. De quoi revigorer profondément cet artisanat en voie d’oubli.
Daniel López-Obrero, graveur sur cuir, Espagne
Cordoue est le seul endroit au monde où se pratique la gravure en relief sur cuir, qui porte le nom de la ville. Le «cuir de Cordoue» n’est pas né là par hasard. Comme l‘explique Daniel López Obrero, il est né de la rencontre de trois civilisations: chrétienne, juive et musulmane. Un atelier de cuir qu’il connaissait depuis son enfance allait fermer. Contre l’avis de ses parents, il décide de le reprendre, de tout apprendre et de se lancer. Aujourd’hui, de ce même atelier qui devait disparaître, sortent des merveilles qui continuent à raconter la singulière histoire de cette ville au croisement de toutes les influences de la Méditerranée.
Richard Maier, graveur d’art, Allemagne
De son propre aveu, Richard Maier a été choqué quand ses professeurs ont annoncé à ses parents que leur fils était «le plus mauvais élève depuis longtemps» de son école de gravure. Piqué au vif, il ne prend pas de vacances durant tout l’été et s’obstine à parfaire ses gestes. Aux examens finaux du semestre suivant, il devient le meilleur de son école. Depuis lors, il est parmi les graveurs d’art les plus renommés d’Allemagne. Ce qui l’a sauvé? Outre sa détermination, c’est la nature qu’il parcourt inlassablement et d’où il tire toute son inspiration
Annie MacDonald, Carloway Mill, tisserande, Royaume-Uni
Tout vient de son île de Lewis, dans les Hébrides: la liberté, la sécurité d’une île, la vie simple de labeur, la force de la nature, les couleurs de la mer, du ciel, des fleurs de la lande, la chaleur des relations humaines et les moutons, la laine des moutons, si belle, si légère. Un amour immodéré. Alors, elle deviendra tisserande, à tisser à la main les plus belles fibres, le Harris Tweed aux nuances subtiles, cette matière chaude, souple, résistante qui embellit en vieillissant. Une façon de perpétuer une forme de vie immémoriale.
Johanna Nestor, fabricante de poêles en céramique, Suède
Les forêts immenses, les aventures de l’enfance, les arbres qui défilent derrière la vitre de la voiture, la chaleur d’un vieux poêle traditionnel… Jeune designer, Johanna veut retrouver ces sensations de l’enfance, se rapprocher de cette nature tant aimée. Alors, elle se met à mouler les arbres et à les transformer en poêle de céramique intégralement faits à la main. Comme on le faisait autrefois, comme presque plus personne ne le fait désormais. Puiser dans la tradition, mais pour la transfigurer, la renouveler, la poursuivre.
Anita Porchet, émailleuse pour cadrans de montre, Suisse
«Prendre le temps, tout son temps, commettre des erreurs, accepter l’échec, apprendre de l’échec… C’est tout le contraire de la société actuelle», explique si calmement Anita Porchet, la star absolue de l’émail horloger. Du calme, de la patience, de la précision, dieu sait qu’il en faut pour maîtriser cet art si difficile de l’émail grand feu. Pour elle aussi, l’enfance est le creuset où tout prend forme. Quand ses camarades filent jouer à l’extérieur, elle se réfugie dans un vieil atelier, fascinée par ce qui s’y trame, le miracle de la transformation d’une matière «toute simple» en objet infiniment précieux, en œuvre d’art. Mais une seule condition est nécessaire pour y parvenir: la liberté. Et un facteur, que nos temps pressés ignorent pour leur malheur: le temps.
Isabelle Villa, peintre miniature, Suisse
«Parfois, je coupe tous les poils de mon pinceau pour n’en conserver plus qu’un seul». C’est tout dire de la finesse extrême de son artisanat. Une de ses plus belles réalisations: un microscopique globe terrestre entièrement peint, avec une méticulosité confondante. Elle aussi, c’est par hasard qu’elle entre en horlogerie. Peintre issue d’une école d’art, amoureuse de la nature et de ses sujets, elle relève le challenge de l’infiniment petit. Et désormais, elle peint de «grandes» toiles sur des surfaces plus petites qu’un ongle.
Leonardo Scarpelli, mosaïste en pierre dure, Italie
Son père, Renzo, refusait absolument que son fils reprenne son métier de mosaïste en pierre dure, issu droit de la Renaissance. Fini. Terminé. Le fils, Leonardo, ne l’a pas écouté. En secret, de nuit, il a travaillé à créer sa mosaïque. Pari gagné. Le père a été bluffé. Leonardo le dit: il est heureux. Heureux de parcourir les campagnes à la recherche de pierres à briser, pierres pour les cieux, pierres pour les visages, pierres pour chaque matière à représenter. Avec ces pierres, il compose de véritables tableaux qui tout en préservant la tradition, la renouvellent, la relancent, lui redonnent vie.
Ingunn Undrum & Sarah Sjøgreen, cordellières, Norvège
D’un fragile fil végétal, faire une corde résistante à tous les vents. Une simple barque, une voile une corde et le vent emporte la barque de l’autre côté du monde. Un artisanat ancestral, aussi vieux que l’humanité, propre à toutes les civilisations. Au début il y a la mer, le vent, la force de la nature. Inspirées par les éléments, les dernières cordellières traditionnelles de Norvège entrelacent les fibres usant de techniques remontant au Moyen-Age.
Konstantinos Vogiatzakis, artisan de selles, Grèce
Konstantinos travaille de l’aube à la tombée du jour. Son atelier n’a pas l’électricité. Il devait fermer, mais, jeune homme, il a voulu à tout prix apprendre le métier pour le sauvegarder. Un long apprentissage, des mois et des mois à simplement apprendre à tailler le bois, pour commencer. Car chaque selle est du sur-mesure pour le mulet ou l’âne auquel elle est destinée. Avec une bonne selle, l’animal ne sent plus la charge. Quand à la décoration, tout en perles de couleurs, elle est fonction du goût du propriétaire. Konstantinos est un des derniers à connaître ces secrets immémoriaux.