out commence en 1991, alors que l’Union soviétique vit sa dernière année: Alexander Shorokhoff est envoyé par Mikhaïl Gorbatchev pour étudier l’économie de marché pendant un an au ministère de l’économie de la région de Hesse, en Allemagne de l’Ouest.
Après avoir terminé ce mandat en 1992, il se voit proposer par Poljot, plus importante usine de montres de Moscou, un poste de représentant de cette marque pour l’Europe, à la tête d’une société de distribution. Mais en tant que designer, architecte et ingénieur, Alexander Shorokhoff avait une vision claire de ce qu’il voulait réaliser par lui-même.
- Alexander Shorokhoff, designer, ingénieur, fondateur de sa marque éponyme
«Il s’est rapidement rendu compte qu’il voulait faire plus que simplement distribuer des montres: il voulait créer ses propres modèles, explique sa fille Inga Duffy-Shorokhova. En 1994, il a ainsi fondé Poljot International et son propre atelier pour commencer à travailler sur ses propres designs pour les cadrans et les décorations des mouvements. Les mouvements provenaient toujours de Poljot, mais tous les autres composants, tels que les aiguilles, les boîtiers et les bracelets, ont été nouvellement conçus.»
Les premiers modèles reçoivent un accueil chaleureux grâce à leurs designs modernes et différents. C’est ainsi qu’il a l’idée de créer sa propre marque. Ce sera chose faite en 2001.
Reconnaissance pour la ligne Avantgarde
Né à Moscou en 1960, le fondateur crée sa première collection, Heritage, en hommage à ses origines et aux grands artistes russes comme Tchaïkovski, Tolstoï, Dostoïevski et Pouchkine. Sa fille explicite son approche: «Dès le début, il a voulu créer des montres mécaniques différentes, en séries limitées, très artistiques, mais abordables. Lorsqu’il est venu à Baselworld en 2002, ses créations ont rencontré leur public et il a pu ouvrir la distribution sur des marchés-clés comme le Japon, Hong Kong, Singapour et les Etats-Unis.»
- L’inspiration artistique russe est bien présente chez Alexander Shorokhoff, né à Moscou et établi aujourd’hui en Allemagne (article de 2004).
- ©Archives Europa Star
Le créateur franchit un cap en 2011 avec le lancement de la collection Avantgarde. Sa fille se souvient: «Elle était si colorée, excentrique, différente qu’elle a touché une corde sensible chez de nombreux collectionneurs. Nous ne le savions pas encore, mais cette ligne allait devenir la pierre angulaire de notre marque. Nous voulions être différents et la presse l’a accueillie avec enthousiasme. Nous avons été qualifiés d’audacieux, de colorés et d’artistiques. Les médias ont salué la créativité du cadran. Ce fut un moment décisif pour la marque, qui a également suscité la curiosité de nombreux clients.»
- La Cadamomo, calendrier complet, introduite en 2024, a été récompensée aux International Architecture and Design Awards en 2024.
L’étape suivante est l’introduction par Alexander Shorokhoff de la gravure manuelle des mouvements de ses montres. Une marque de fabrique qui reste sa spécificité à ce jour. «Le créneau était tout à fait identifié: des cadrans artistiques et colorés avec une fabrication artisanale différenciée des mouvements. C’est à ce moment-là que notre slogan «Art on the Wrist» est apparu et que nous avons su que nous avions trouvé notre véritable ADN. Mon père a dû enfreindre de nombreuses règles de l’industrie pour inventer les siennes.»
- La Wintergenta, édition limitée à 50 exemplaires, lancée à Inhorgenta à Munich cette année en hommage aux 50 ans du salon. Cadran en poudre de diamants et boîtier en argent massif entièrement gravé à la main.
C’est en cela qu’Alexander Shorokhoff est aujourd’hui reconnu, produisant environ 2’000 montres par an avec des designs variés et non conventionnels. Le prix des modèles varie de 1’300 à 5’000 euros, mais pour les éditions très exclusives ou le tourbillon en or, le prix peut atteindre 50’000 euros. Les principaux débouchés sont l’Allemagne et l’Autriche, les États-Unis, ainsi que certains pays d’Europe de l’Est.
Qui sont donc ses clients? Sans surprise, ils sont «très divers, jeunes et moins jeunes, des amateurs d’art aux informaticiens. Ils s’intéressent à l’art et à la culture, sont très ouverts d’esprit et recherchent quelque chose de différent, de spécial et d’unique. Ils ne suivent aucune tendance. C’est toujours étonnant de voir leur diversité lorsque nous les rencontrons.»
Le rêve d’une manufacture
Comme c’est le cas pour de nombreuses marques allemandes, Alexander Shorokhoff ne produit pas ses propres calibres... pour l’instant, comme le précise la fille du fondateur: «Nous faisons appel à des fournisseurs suisses comme ETA, Sellita, Dubois Dépraz ou Concepto pour notre tourbillon, par exemple - et parfois même à des mouvements Poljot d’époque. Nous voulons construire notre propre manufacture, mais c’est une perspective à long terme. Pour l’instant, nous souhaitons continuer à développer des designs innovants qui sont notre principale source de différenciation, comme notre Cadamomo à calendrier complet ou la Wintergenta, plus habillée. Nous travaillons également à l’utilisation de la technologie d’impression 3D pour nos cadrans, comme vous pouvez le voir sur notre nouveau modèle Colibri 2. Nous devons d’abord accroître notre visibilité, car créer sa propre manufacture nécessite d’énormes investissements.»
Justement, n’y a-t-il pas un risque d’augmenter fortement les prix en s’engageant dans la voie de la fabrication propre? «Ce n’est pas notre façon de faire, répond Inga Duffy-Shorokhova. Nous sommes très transparents avec nos clients et nos partenaires. Nous voulons conserver notre valeur, de sorte que les gens paient pour ce qu’ils obtiennent. Notre croissance sera lente parce que nous offrons de l’amour et de la passion à un prix juste, et non un produit qui sert uniquement à faire de l’argent. Les prix augmentent avec les coûts, mais si vous doublez votre prix, les gens ne vous feront plus confiance. Nous voulons rester fidèles à nous-mêmes et à nos clients.»
Alexander Shorokhoff est une marque différente à bien des égards, au-delà du design de ses cadrans. Elle incarne une facette moins conventionnelle de l’industrie horlogère allemande. Mais surtout, elle représente sa propre façon de faire.