est sous les bourrasques et les trombes d’eau du super cyclone Yagi que s’est déroulé le 43ème salon horloger d’Hong Kong, l’un des plus importants d’Asie. Mais à l’image de cette ville résiliente, ce ne sont pas les menaces météorologiques qui auront eu raison ni du salon ni du moral des Hongkongais. A peine la tempête passée, déjà les habitants redescendaient dans les rues de Wan Chai, quartier historique où se situe le Convention and Exhibition Center hébergeant la foire horlogère. En moins d’une heure, les rubans de scotch apposés en X pour protéger les vitrines des magasins étaient retirés et les machines à café vibraient à nouveau. Les activités pouvaient reprendre. Business as usual!
A l’occasion de cette 43ème édition de son salon dédié aux horloges et aux montres sous toutes leurs formes, la Hong Kong Trade Development Council (HKTDC) a repensé son événement-phare. Après les tensions politiques avec Pékin et la pandémie de covid qui ont fait chuter les ventes et forcé le marché à se restructurer, Hong Kong a vu sa place de plateforme privilégiée des échanges commerciaux entre l’Europe et la Chine continentale contestée. Le marché chinois, que l’on décrivait dans nos pages en 2019 comme «la corne d’abondance de la consommation contemporaine» est en récession. Cela se ressent dans les importations.
Si la Suisse reste le premier exportateur de montres à destination de la Chine, la Fédération de l’industrie horlogère suisse signale une réduction de -21,4% des exportations chinoises de janvier à juin 2024. A Hong Kong, cette diminution atteint -19,5%. Après un rebond en 2023 lié à la reprise des activités économiques post-covid, cette nouvelle baisse signale la nécessité d’évolution du marché chinois dont les secousses ont été ressenties lors de cette nouvelle édition de la foire horlogère d’Hong Kong.
Cette métropole qui s’est bâtie comme plateforme commerciale faisant le pont entre les marchés occidentaux et le marché chinois continental — quatrième centre le plus important de la finance globale, neuvième exportateur et huitième importateur mondial — doit aujourd’hui se réinventer. Les achats horlogers se relocalisent en Chine continentale tandis que cette dernière s’émancipe de plus en plus de la grande ville du sud comme interface économique avec le reste du monde.
Dans cette perspective, le salon du HKTDC tente de se replacer au centre du jeu en devenant un baromètre des tendances horlogères asiatiques, s’ouvrant aussi à un public plus large et plus diversifié, afin de transformer son salon en une foire populaire.
Sur deux étages, du 3 au 7 septembre, la HKTDC Hong Kong Watch & Clock Fair a reçu plus de 700 exposants provenant de quinze pays et régions. Cela inclut des pavillons dédiés aux provinces chinoises de Guangdong et Guangzhou, mais aussi Taïwan et la Corée du Sud qui fait sa première apparition depuis la fin de la pandémie. D’autres pays européens, moins connus pour leur production horlogère, comme la Belgique, le Danemark, la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni, étaient aussi représentés.
Face à une demande horlogère «de plus en plus diversifiée», ce «Salon De Time» a cherché à compenser l’absence des grandes marques du luxe horloger (seules quelques pièces de Bovet, Montblanc, Franck Muller, Corum, Baume et Mercier et d’autres étaient présentes par le biais du pavillon de l’importateur Prince Jewellery & Watch) en se concentrant sur les dernières tendances grand public et quelques innovations. Après tout, l’horlogerie, ce n’est pas que l’ultra-luxe et tant mieux!
Ainsi, la smartwatch est apparue sous de multiples déclinaisons dont les plus innovantes dépassent le domaine de l’horlogerie pour s’aventurer dans celui des soins à domicile. La marque Dayton s’est associée à la société allemande Oskron pour développer le système Link 2 Care. S’appuyant sur un logiciel propriétaire et une smartwatch équipée d’un accéléromètre, la société promet de révolutionner l’aide aux personnes âgées. En intégrant une puce GPS et un système d’alerte, les membres de la famille ou l’aide-soignant peuvent être avertis en cas de chute d’une personne âgée.
Grâce à une précision allant jusqu’aux plans de la maison, on sait si sa grand-mère est tombée dans la cuisine ou s’est affalée sur le canapé. Le système permet aussi de monitorer à distance les fonctions vitales du patient (fréquence cardiaque, niveau de stress, température corporelle). Il est possible d’ajouter au système d’autres équipements connectés comme un anneau intelligent ou un moniteur cardiaque. Une application traite ensuite les données grâce à une IA afin d’adapter les alertes et de fournir des conseils adaptés aux patients.
Autre tendance qui fonctionne bien en Asie: les collaborations avec la pop culture. Qu’il s’agisse de stars du cinéma, de jeux vidéos ou d’animés, de nombreuses marques présentes sur le salon ont exposé de nouveaux modèles à l’image de Pikachu pour la marque suisse Romago, de Dark Vador chez Solvil et Titus, de super-héros Marvel par l’Hongkongais Master Time Industrial ou encore un stand entier dédié à la première smartwatch de Bruce Lee. Avec cadran Ying et Yang et surtout le «rally strap», ce bracelet en acier percé exclusif à la version chinoise de la Seiko 6139-6010 Automatic, portée dès 1969 par l’acteur americano-hongkongais.
Changement de paradigme oblige, une attention particulière a été apporté à l’impact écologique de l’industrie horlogère. Si les processus de fabrication en Asie comme en Europe évoluent, tendant à minimiser les coûts énergétiques en plaçant des panneaux solaires sur les toits des manufactures, en utilisant plus efficacement l’eau ou en recyclant les métaux, certaines marques poussent la réflexion plus loin. Sur son stand, la société hongkongaise Gordon C. & Company Limited a fait des fibres naturelles une part importante de sa conception horlogère. Ses boitiers en écorce et ses bracelets en pelures de pommes composent des montres particulièrement légères.
La marque allemande Lilienthal Berlin présentait quant à elle la première montre au monde dont le boîtier est fabriqué à partir de marc de café recyclé. Cette réalisation, qui sent les grains fraichement moulus, a remporté le NY Product Design Awards, le Green Product Award et l’iF Design Award.
Le HKTDC a aussi eu la bonne idée de faire la part belle aux indépendants et de donner leur chance aux jeunes talents. Cela a conféré au salon une ambiance «start-up» plus stimulante que la mécanique bien huilée de la haute horlogerie ou le vernis glacé du luxe. La présence du pavillon suisse des horlogers indépendants reflète cette intention. Les discussions sont animées autour des marques helvètes telles Aerowatch, Marvin, Adriatica, Pilo & Co, Greco et David Van Heim. Le Swiss made semble encore bien fonctionner, tant le public asiatique s’est pressé devant ces vitrines.
Les visiteurs étaient d’ailleurs nombreux durant cette édition. Pour la première fois, les organisateurs ont décidé d’ouvrir le salon au public en permanence au lieu de réserver leur présence au dernier jour. Une fréquentation renforcée qui n’a, paradoxalement, pas forcément été pour plaire à tous les horlogers, venus rencontrer en priorité d’autres professionnels.
«Je comprends la démarche, mais cela peut nuire à notre travail, confie le directeur d’une grande marque européenne. Nous dédions du temps et du personnel pour répondre aux curieux venus observer nos produits, et avons dès lors moins de temps à consacrer aux fabricants et aux détaillants. La réussite d’un salon tient parfois en une seule bonne rencontre, renforçant notre marque ou déclenchant l’étincelle d’une nouvelle idée.»
Cette alchimie tant recherchée se trouve souvent un étage en dessous des moquettes feutrées du «Salon de Time», dans la partie de la foire réservée aux fournisseurs. Là, des dizaines de stands portent les noms des sous-traitants de l’immense tissu industriel de la région. Shenzen Koda Horologe, Guangzhou Besseron Watch Industrial, Zhanghzou Santai Timepiece, Hongkong Honesty Chronometer, Jieyang Chuanghong Watch Industry, Dongguan Wisdom Tech, Perfect Hard Development, Legend Watch Manufacturer, Bombay Diamonds, ou encore Golden Dragon Industrial. Toutes ces innombrables petites – et grandes – mains qui sont le ventre de l’industrie horlogère mondiale, donnant vie à certains de nos garde-temps favoris, du moins, ceux qui se vendent au plus grand nombre.
Difficile dans ce dense marché de faire un pas sans être abordé par une rabatteuse enjouée:
Sir, we have the latest models and latest materials in our factory: titanium and Damascus steel, come to our booth!
But…
Give me your business card please!
Sorry I’m just a journalist, not a watchmaker.
Oh ok, never mind.
On est là bien dans le salon des professionnels, où l’on retrouve l’énergie vibrante de la Chine industrieuse, où les poignées de main servent d’abord les contrats, avant la politesse.
Vous cherchez des glaces pour vos montres? Chin Mei Industrial en propose en versions minérales ou saphir, de toutes les courbures et toutes les épaisseurs. Il vous manque un bracelet en cuir? Chaque couleur de l’arc-en-ciel est disponible chez New Hing Yip Watch Straps. Vous n’avez pas encore trouvé vos aiguilles? Biu Chun Watch Hands a le modèle qu’il vous faut!
Tout se dégote sur ce grand marché du temps – de la plus fine pièce mécanique au mouvement le plus complet. Cela démontre l’étendue du savoir-faire et la densité de cette métropole industrielle du sud de la Chine. Selon Statista, la province de Canton possède le plus grand nombre d’entreprises du pays, avec 3,5 millions sociétés enregistrées en 2022.
Bien souvent, dans l’horlogerie chinoise, le front office est enregistré à Hong Kong afin de bénéficier de l’ouverture à l’international et d’une taxation avantageuse. Quant aux usines et aux ateliers, ils sont situés pour la plupart en Chine continentale. Le stratagème permet d’inscrire le sigle recherché «HK» à côté de la société. Une quête de prestige que certains fournisseurs poussent parfois jusqu’à l’usurpation, reproduisant sur la devanture de leur stand une image de la rade de Genève. Comme si l’industrie chinoise devait encore rougir de sa provenance sur le marché international.
C’est sans doute ce dont se fait écho le salon d’Hong Kong: une industrie locale encore en quête d’identité et de reconnaissance, alors qu’elle a de fortes compétences à revendre. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les résultats du 41ème Hong Kong Watch & Clock Design Competition. Les étudiants en design de plusieurs écoles se sont affrontés, présentant des concepts de montres inspirés, originaux, novateurs même.
Comme cet objet horloger de Lau Cheuk Lai nommé «Liminality», mêlant tradition bijoutière et intelligence artificielle, ou le «Chronomatrix» de Man Tsz Kit, mais dont le fonctionnement est resté obscur. Et pour cause, le concours, relégué au dernier jour du salon quand presque tous les journalistes internationaux étaient déjà partis, n’a pas bénéficié d’une traduction simultanée, à l’inverse des conférences des capitaines d’industrie.
Pourtant, le travail avant-gardiste de ces étudiants semble au moins aussi pertinent pour le futur de l’industrie horlogère chinoise que les PowerPoint et les Excel des directeurs de conglomérats, et aurait mérité une meilleure exposition. Car si l’industrie horlogère chinoise, et plus particulièrement hongkongaise, espère continuer à constituer une pièce maîtresse de l’échiquier horloger mondial, elle devra bien sûr compter sur son immense parc industriel Canton-Shenzen, mais aussi donner autant, voire plus de place aux cerveaux créatifs de ses écoles de design et d’ingénierie qu’à ceux de ses écoles de commerce.