Le marché secondaire


«Spéculer sur des montres de grande série n’est pas viable»

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octobre 2022


«Spéculer sur des montres de grande série n'est pas viable»

La vente en ligne a véritablement explosé pour un marché secondaire en plein essor - au point d’entraîner une spéculation sans précédent dans l’industrie horlogère, malgré une correction du marché cette année. Comment se positionne une maison de ventes comme Phillips face à ce phénomène? Celle-ci vient d’organiser une première session entièrement numérique et prépare sa grande vente de novembre. Entretien avec Alexandre Ghotbi, responsable des montres pour l’Europe continentale et le Moyen-Orient.

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n septembre dernier, Phillips organisait ses «Geneva Sessions», la première vente aux enchères intègralement en ligne de la maison de ventes organisée par des spécialistes de l’horlogerie à Genève. Les 53 lots cumulés ont atteint un total de CHF 2’664’774 - avec en pièce phare une Patek Philippe Nautilus en or rose réf. 5980/1R, vendue pour CHF 252’000.

Des résultats certes encore loin de ceux des ventes physiques record que la maison de ventes a enregistrés ces dernières années - avec notamment un week-end à plus de 60 millions de CHF au printemps à Genève pour sa session de deux jours (dont un jour consacré aux 50 ans de la Royal Oak). Parmi les lots phares figurait une Patek Philippe à calendrier perpétuel réf. 1518 en or rose «Pink on Pink» qui a trouvé preneur pour CHF 3’297’000.

Patek Philippe Nautilus en or rose réf. 5980/1R, le lot phare de la première vente en ligne horlogère de Phillips, organisée en septembre depuis Genève
Patek Philippe Nautilus en or rose réf. 5980/1R, le lot phare de la première vente en ligne horlogère de Phillips, organisée en septembre depuis Genève

Mais cette première édition numérique dénote de l’arrivée de la vente en ligne dans le monde traditionnel des enchères horlogères - même si l’on peut considérer le format des ventes physiques comme déjà «hybride»: lors de la session du printemps, 600 collectionneurs étaient présents dans la salle des ventes, tandis que 1’800 enchérisseurs se sont affrontés en ligne.

Il faut dire que la vente en ligne a véritablement explosé pour un marché secondaire en plein essor - au point d’entraîner une spéculation sans précédent dans l’industrie horlogère. Une progression qui a certes été ralentie par une baisse de cote des modèles les plus iconiques, après avoir atteint des sommets au printemps (voir les chiffres de Morgan Stanley ci-dessous).

Point de comparaison: l'évolution des prix de modèles phares sur le marché secondaire depuis janvier 2020, et leur prix boutique
Point de comparaison: l’évolution des prix de modèles phares sur le marché secondaire depuis janvier 2020, et leur prix boutique
Source: Morgan Stanley / WatchCharts

Pas de quoi freiner l’optimisme d’Alexandre Ghotbi, responsable des montres pour l’Europe continentale et le Moyen-Orient: «Les bonnes montres, avec les bonnes estimations et vendues via la plateforme appropriée, suscitent toujours des enchères enthousiastes.» Alors que Phillips en association avec Bacs & Russo prépare sa vente aux enchères genevoise des 5 et 6 novembre, qui comprendra notamment un ensemble de lots exceptionnels du grand maître-horloger britannique George Daniels (lire notre article sur les ambitions retrouvées de horlogerie britannique ici), nous l’avons rencontré.

Alexandre Ghotbi, responsable des montres pour l'Europe continentale et le Moyen-Orient chez Phillips en association avec Bacs & Russo
Alexandre Ghotbi, responsable des montres pour l’Europe continentale et le Moyen-Orient chez Phillips en association avec Bacs & Russo

Europa Star: Depuis le printemps, le marché secondaire a vu une correction de la valeur marchande de certaines pièces «iconiques», qui font l’objet d’une forte spéculation (voir le graphique ci-dessus). Notez-vous une corrélation avec vos propres résultats?

Alexandre Ghotbi: En tant que maison de vente, nous n’avons pas connu cette même «hype» sur les modèles vintage que sur la production moderne. A la différence du neuf, nous travaillons sur des montres qui ne sont pas en production – elles sont donc plus naturellement rares. Nous sommes une maison de vente aux enchères centrée sur des modèles exceptionnels, ce n’est pas notre rôle de vendre des modèles en série.

Là où on a vu les prix baisser, c’est lorsque des particuliers ou des intermédiaires avaient les pièces neuves les plus recherchées et les revendaient à prix d’or, alimentant une forte spéculation. Cette correction est assez saisonnière sur un marché très spéculatif. Par ailleurs, certains parlent de «crash» de la valeur, mais une Nautilus ou une Royal Oak acier neuve génère toujours plusieurs années de liste d’attente et on reste sur un prix de revente bien au-dessus du prix catalogue.

Patek Philippe réf. 1518 en or rose de la fin des années 1940, une pièce rare qui sera proposée lors de la vente de Phillips en novembre à Genève.
Patek Philippe réf. 1518 en or rose de la fin des années 1940, une pièce rare qui sera proposée lors de la vente de Phillips en novembre à Genève.

Un effet de vagues assez logique, donc?

Ce qui ne peut pas continuer éternellement, c’est de voir ce phénomène sur des montres produites en grande série. On a d’ailleurs vu la même spéculation à l’œuvre en mode accéléré à la sortie de la Moonswatch cette année, l’espace de deux semaines. Mais l’horlogerie, ce n’est pas la Bourse! C’est la passion, la bienfacture, le long terme et pas le retour sur investissement immédiat… D’ailleurs, il ne faut pas regarder la montre uniquement sous l’aspect de l’investissement, même si ce critère a pris de l’ampleur.

«Ce qui ne peut pas continuer éternellement, c’est de voir ce phénomène de spéculation sur des montres produites en grande série.»

Si l’on prend justement l’angle de la valeur de long terme, quelles types de productions se montrent les plus solides aux enchères?

Au-delà du duo Rolex et Patek Philippe qui domine le marché de longue date, je vois depuis quatre ou cinq ans l’émergence d’une nouvelle clientèle asiatique et moyen-orientale qui a cherché à acquérir d’autres types de designs. C’est largement à cette nouvelle clientèle que l’on doit la forte valorisation de la Crash de Cartier, mais aussi la production de Vacheron Constantin – et pas seulement l’Overseas.

Mais depuis 2018, c’est vraiment l’horlogerie indépendante qui a décollé: François-Paul Journe en est certainement le représentant le plus évident, aux côtés de Philippe Dufour. Cela généré tout un mouvement: ce printemps, par exemple, nous avons vendu un modèle de 2010 de l’horloger indépendant allemand Christian Klings, dont peu avaient entendu parlé, pour plus de 250’000 francs. Ce qui plaît chez les indépendants, c’est qu’ils travaillent sans compromis, sans artifice marketing et qu’on a une partie de l’âme de celui qui a fait cette montre au poignet.

Lors de la session de ventes du printemps 2022, ce modèle CK1 en or rose de l'horloger indépendant allemand Christian Klings a été vendu pour plus de CHF 250'000 par Phillips.
Lors de la session de ventes du printemps 2022, ce modèle CK1 en or rose de l’horloger indépendant allemand Christian Klings a été vendu pour plus de CHF 250’000 par Phillips.

Après trois ans de pandémie qui ont obligé presque tous les acteurs du marché à passer au numérique, comment vous positionnez-vous entre ventes physiques et en ligne?

On a bien vu qu’on ne pourrait jamais remplacer les réunions physiques, dans un métier de passion et pas de nécessité comme le nôtre. Les passionnés ont besoin de se retrouver. Mais il faut offrir aux clients la flexibilité de pouvoir acheter comme ils le désirent. En fait il n’y a rien de véritablement nouveau: internet vient s’ajouter au téléphone dans les achats à distance.

«Une nouvelle génération de collectionneurs asiatiques et moyen-orientaux apprécie des designs différents - c’est à eux que l’on doit notamment la forte valorisation de la Crash de Cartier.»

Néanmoins, vous avez mis en place de premières ventes uniquement en ligne. Quels critères de sélection appliquez-vous selon le canal de diffusion?

Cet automne, nous avons offert une sélection de 54 pièces en ligne. La plupart sont peut-être plus modernes que celles que l’on peut trouver dans nos ventes physiques. Mais ce n’est pas gravé dans le marbre. Le canal de vente ne dicte pas forcément le contenu.

L'oeuvre du grand horlogère britannique George Daniels sera mise à l'honneur lors de la vente Phillips de novembre.
L’oeuvre du grand horlogère britannique George Daniels sera mise à l’honneur lors de la vente Phillips de novembre.
Courtesy of Roger Smith

Comment évolue votre rapport aux marques? On vous voit de plus en plus collaborer avec certaines maisons pour le lancement de modèles de collection – par exemple avec Zenith et Voutilainen récemment (lire ici).

Nous sommes notamment sollicités par les marques pour nos expertises mais aussi pour notre clientèle. Je dirais que nous avons des rapports de confiance mais que les collaborations officielles restent des exceptions – pour l’instant…

Présentée en juin 2022, l'édition limitée Zenith X Voutilainen X Phillips de 10 pièces en platine Cal 135-O a connu un succès immédiat auprès des collectionneurs, se vendant en quelques minutes. Lors de sa vente de novembre Phillips proposera un onzième exemplaire, unique en son genre, avec un boîtier en niobium et un cadran guilloché saumon. Tous les bénéfices seront reversés à la Fondation Susan G. Komen® contre le cancer du sein.
Présentée en juin 2022, l’édition limitée Zenith X Voutilainen X Phillips de 10 pièces en platine Cal 135-O a connu un succès immédiat auprès des collectionneurs, se vendant en quelques minutes. Lors de sa vente de novembre Phillips proposera un onzième exemplaire, unique en son genre, avec un boîtier en niobium et un cadran guilloché saumon. Tous les bénéfices seront reversés à la Fondation Susan G. Komen® contre le cancer du sein.