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Nicolas Commergnat, un surdoué de l’horlogerie se lance

juillet 2023


Nicolas Commergnat, un surdoué de l'horlogerie se lance

Dans le monde de l’horlogerie indépendante, certains noms brillent de mille feux, reconnus par le grand public. D’autres préfèrent peaufiner leur art dans le calme et la sérénité, loin des regards. Oeuvrant en toute discrétion sur certains des modèles les plus compliqués, anciens et rares, notamment pour la maison de ventes Phillips, Nicolas Commergnat fait partie de ces derniers. Néanmoins, l’horloger a choisi de se lancer à présent en nom propre. Rencontre.

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ien ne prédestinait Nicolas Commergnat, né en 1985 dans le canton de Fribourg, à s’orienter vers l’horlogerie. Peut-être, tout du moins, la curiosité et l’esprit critique hérités de sa mère, journaliste à la Tribune du Commerce et La Suisse, ont-ils aiguisé son œil et sa pensée. Après sa scolarité obligatoire, il choisit de son propre chef d’essayer d’intégrer l’Ecole d’horlogerie de Genève. Il réussit son test d’entrée mais ses parents préfèrent qu’il suive une voie commerciale, plus sûre à leurs yeux. C’est ainsi qu’il devient employé chez l’assureur Generali Assurance… poste qu’il quite au bout de deux ans, devant l’évidence qu’il aspire à une autre voie.

Il a alors tout juste 18 ans et s’inscrit à l’école d’horlogerie au CEPTA (Centre d’Enseignement Professionnel Technique et Artisanal). C’est l’âge limite, mais il est pris. «Ce fut une très grande chance, déterminante pour la suite de mon histoire», souligne-t-il.

Nicolas Commergnat
Nicolas Commergnat

Admis en cursus d’horlogerie à Genève, Nicolas Commergnat peut enfin laisser libre cours à cette fibre de démonter, analyser et réparer des mécanismes, à déchiffrer ce langage de la micro-mécanique horlogère qui le fascine depuis plusieurs années. C’est bien son goût personnel, son intérêt pour l’astronomie et, au final, cette passion pour les montres, anciennes et modernes, qui le motive. Il fait ses armes durant trois ans en horlogerie, les affûte au cours de petits boulots et les promeut en restaurant des montres vintage pour ses amis collectionneurs.

Au cours d’un stage de deux mois chez Patek Philippe, lors duquel il est affecté au taillage de roues, il découvre la dimension industrielle du métier. Une question le tiraille dès lors: «Dois-je me tourner vers les artisans ou les manufactures?». Une rencontre va le faire basculer en faveur des premiers: celle de Philippe Cantin, professeur remplaçant dans son école, avec qui il garde contact. Cet horloger indépendant travaille avec le maître-horloger indépendant Svend Andersen à Genève. Celui-là même qui a fait s’épanouir des talents tels que Franck Muller ou Felix Baumgartner.

À la fin de son apprentissage, son ancien professeur lui propose de reprendre sa place chez Andersen. Il se lance donc à 22 ans en tant qu’horloger indépendant chez l’illustre horloger. Et l’histoire s’accélère. Son premier client est la maison de ventes aux enchères Christie’s, pour laquelle il réalise des restaurations des garde-temps, des plus anciens aux plus contemporains. Il passe le plus clair de son temps à réparer des montres de poche, au plus proche de l’horlogerie la plus traditionnelle. Il rencontre des collectionneurs, transforme des répétitions-minutes de poche en montres-bracelets, décortique des complications... «J’ai beaucoup appris de ces quatre années auprès de Svend Andersen, explique-t-il. Je me suis formaté pour la restauration, à trouver des solutions techniques.»

Fort de cette expérience et de sa volonté entrepreneuriale, Nicolas décide de s’associer en 2011 à un autre jeune horloger, Sébastien Billières. Ensemble, ils fondent les sociétés Alliance Genève Sarl et GMTI SA et se spécialisent dans l’assemblage de mouvement et l’emboîtage pour différentes marques horlogères genevoises, ainsi que dans la réparation de pièces d’horlogerie compliquées, en particulier des montres anciennes et vintage.

Nicolas Commergnat, un surdoué de l'horlogerie se lance

Au sein de ces structures, Nicolas Commergnat développe également des prototypes et des modules, toujours ludiques et faciles d’usage. De 2013 à 2015, il oeuvre dans l’ombre, notamment à la création du mouvement automatique de la marque Emile Chouriet, d’un module spécifique pour Chaumet, de la fameuse roulette russe d’Artya ou de répétions minutes (dont trois modèles uniques pour Emile Chouriet).

En 2015, les deux horlogers émérites se séparent pour se consacrer chacun à son expertise. C’est à ce moment qu’Aurel Bacs - rencontré chez Christie’s - demande à Nicolas Commergnat de s’occuper de toute la partie technique et support de sa société Bacs & Russo. Il mène depuis lors pour la société adossée à la maison Phillips des révisions complètes de mouvements, d’éventuelles réparations demandées par les clients, tout en s’assurant de ne jamais changer les composants. Il élabore aussi des rapports d’état technique précis et répare des boîtiers, des cadrans, des aiguilles. L’horloger précise: «En aucun cas, je ne délivre des certificats d’authenticité moi-même. Je donne des avis sur les pièces que je vois… et je ne les vois pas toutes.»

En parallèle de cette activité, le jeune horloger enseigne aussi afin de transmettre sa passion de l’horlogerie. Il co-développe notamment une formation pratique sur établi au sein du centre d’enseignement genevois IFAGE pour créer des modules horlogers. En 2018, il monte son propre atelier d’expertise, à deux pas de la gare Cornavin à Genève, et quitte l’IFAGE pour se dédier à cette activité. Il y traite de nombreux garde-temps sur mandat de grands collectionneurs.

Aujourd’hui, Alliance Genève représente toute son activité. Mais l’envie de faire plus lui trotte dans la tête depuis longtemps. Alexandre Ghotbi, responsable des montres pour l’Europe continentale et le Moyen-Orient chez Phillips, lui répète depuis des années qu’il devrait mettre à profit cette vision particulière qui est la sienne pour lancer sa propre marque.

Nicolas Commergnat, un surdoué de l'horlogerie se lance

«Je suis quelqu’un de très discret et je ne me sentais pas encore prêt pour cette aventure là», confie l’horloger, presque timide. La pause forcée du covid lui aura donné le temps de la réflexion. C’est ainsi qu’il se lance à présent, pour «faire une montre qui raconte mon histoire, mon parcours, ma philosophie». La première question qu’il se pose est simple: «Comment aurais-je fait à l’époque, au début des montres-bracelets?». Son premier modèle, nommé Level One, sera donc d’inspiration Art déco. Il s’agit avant tout d’un instrument de mesure du temps, simple et épuré.

Nicolas Commergnat a voulu respecter les processus du siècle dernier: créer un mouvement compact, fin et, bien entendu, réparable. «Le mécanisme doit être compris dans 50, 100 ans, et sa réparation doit être évidente.» L’horloger a aussi tenu à la produire entièrement à Genève, en hommage à sa propre histoire.

Level One, le premier modèle de Nicolas Commergnat
Level One, le premier modèle de Nicolas Commergnat

Le résultat est intemporel. L’ébauche du mouvement est produite par Jean-Marc Fleury de Suisse Précision Composants et Fleury Manufacture, qui travaille déjà avec de nombreux indépendants genevois et romands. Nicolas Commergnat réalise toutes les finitions et décorations lui-même: anglage poli, larges côtes de Genève. Il assemble les composants et emboîte dans son atelier à Genève. Comme un clin d’oeil à son activité de restauration chez Alliance Genève, chaque pièce est numérisée et donc identifiable de manière unique. Cela constitue, en quelque sorte, sa certification absolue!

Chaque montre répond de plus à tous les problèmes auxquels l’horloger est confronté dans son quotidien de restaurateur. Ainsi, le fond de boîte et la lunette sont «clipsés» afin d’éviter les pas de vis écorchés ou cassés, qui rendent les montres irréparables. Dans le même esprit, le verre est en hésalite, plus facile à polir sans avoir à le remplacer et qui ne se brise pas en morceaux pouvant abîmer le cadran.

Nicolas Commergnat, un surdoué de l'horlogerie se lance

La vision de sa marque porte sur le long terme. La série 1 de la Level One s’inspire des années 1920-30; les séries suivantes rendront chacune hommage à des périodes différentes de l’horlogerie, en reprenant des éléments identitaires de chaque époque dans la boîte, le cadran et les aiguilles. Viendront par la suite les modèles Level 2, 3, 4 et 5 qui introduiront des complications selon leur ordre d’apparence chronologique: chronographe, calendrier perpétuel, répétition minute et tourbillon. Une vision très claire de son parcours horloger. Bienvenue dans la lumière!